Contenu éditorial
Le texte évangélique
Dans l'évangile selon saint Luc, au chapitre 17, on lit :
« Lequel d’entre vous, quand son serviteur aura labouré ou gardé les bêtes, lui dira à son retour des champs : Viens vite prendre place à table ? Ne lui dira-t-il pas plutôt : Prépare-moi à dîner, mets-toi en tenue pour me servir, le temps que je mange et boive. Ensuite tu mangeras et boiras à ton tour ? Va-t-il être reconnaissant envers ce serviteur d’avoir exécuté ses ordres ? De même vous aussi, quand vous aurez exécuté tout ce qui vous a été ordonné, dites : Nous sommes de simples serviteurs : nous n’avons fait que notre devoir
sic et vos cum feceritis omnia quae praecepta sunt vobis dicite servi inutiles sumus quod debuimus facere fecimus (Lc 17, 10)
La question théologique : le mérite du serviteur de Dieu
Saint Thomas d'Aquin, Somme de théologie, Ia-IIae, q. 114, a. 1, première objection :
« Il apparaît que l'homme ne peut rien mériter de Dieu. En effet, personne ne mérite un salaire lorsqu'il rend à autrui ce qu'il lui doit. Aristote le remarquait déjà : Tout le bien que nous faisons ne saurait récompenser ce que nous devons à Dieu de manière suffisante, car nous lui devons toujours davantage (Éthique à Nicomaque, VIII, 1163b15). De là vient ce qui est dit dans l'évangile de saint Luc : “Quand vous aurez fait tout ce qui vous a été prescrit, dites : nous sommes des serviteurs inutiles, nous avons fait ce que nous devions.” Donc l'homme ne peut rien mériter de la part de Dieu. »
Comment répondre à cette objection ?
L’explication
Lors d’une visite pastorale dans une paroisse qui avait connu de grandes difficultés mais s’était relevée sous la poigne d’un prêtre de choc, un évêque disait : « Quelles grandes choses, mon père, l’Esprit Saint a réalisées par vous ! » ; et le prêtre de répondre : « Si vous aviez vu, Monseigneur, l’état de la paroisse lorsque l’Esprit Saint était seul à s’en occuper ! » Non pas que l’Esprit Saint ne puisse pas gouverner cette paroisse, mieux encore que ce prêtre. Mais d’ordinaire, il ne le veut pas.
Dans la parabole des talents (Mt 25, 14), le maître demande des comptes de ce qu’il a confié à ses serviteurs. C’est que Dieu veut non seulement le but, il veut aussi l’atteindre à travers la coopération de ses créatures. Il ne veut pas seulement la fin, mais aussi le moyen créé pour y parvenir.
De ces causes subordonnées à sa providence, la prière est une de celles que Dieu favorise. Sainte Catherine disait ainsi à son confesseur, qui lui demandait si sa prière était assez abandonnée à la volonté de Dieu, et si elle ne voulait pas le soumettre à la sienne :
« Dieu m’inspire le désir de demander dans la prière ce qui lui plaît, et il m’ôte le désir que je puis avoir de lui demander ce qui ne lui plaît pas; »
La prière collabore ainsi avec la providence et purifie par surcroît le désir de l’orant. Le Christ dit encore à Catherine (Le dialogue, réponse 1, chapitre 6) :
« Quant aux […] choses nécessaires à la vie humaine, Je les ai distribué[e]s avec la plus grande inégalité et Je n’ai pas voulu que chacun possédât tout ce qui lui était nécessaire pour que les hommes aient ainsi l’occasion, par nécessité, de pratiquer la charité les uns envers les autres. Il était en mon pouvoir de doter les hommes de tout ce qui leur était nécessaire pour le corps et pour l’âme ; mais J’ai voulu qu’ils eussent besoin des autres afin qu’ils fussent mes ministres pour la distribution des grâces et des libéralités qu’ils ont reçues de moi. »
Bref, les serviteurs de cette parabole sont tous sauf inutiles, et non parce qu’ils se pousseraient du col pour se rendre indispensables, mais parce que c’est la sagesse de Dieu de nous faire dépendre ainsi les uns des autres.
Si ces serviteurs ne sont pas inutiles, mais indispensables en vertu même de la libre providence, comment les qualifier ?
Jésus dans sa parabole tire une image de la vie courante. Dans le monde dont il nous parle, un esclave n’a aucun droit de propriété, même sur sa propre personne. Il est toujours redevable au maître, et incapable de racheter l’obligation qu’il lui a. Peu importe si cela nous choque, Jésus prend cela comme une évidence. La bizarrerie, l’incongruité, ce serait que le maître dise à l’esclave de retour des champs : « Assieds-toi, tu as assez travaillé pour aujourd’hui, restaure-toi. » Cette inconvenance mettrait tout le monde mal à l’aise, l’esclave en premier qui se demanderait ce que cela cache. L’ordre des choses, c’est que l’esclave après une journée de labeur serve encore le maître. Tout le monde y trouve son compte, et le sentiment de sa dignité. Lorsque le maître donne quitus à l’esclave qui a bien fait son travail, il sanctionne sa justice, qui consiste pour l’esclave à faire ce qu’il doit.
Mais la parabole ne s’arrête pas là. Jésus nous dit que « le maître fait une grâce à ce serviteur pour avoir fait ce qui lui a été ordonné » (v. 9). Cette grâce va bien plus loin que de la simple « reconnaissance ». L’esclave en effet ne cause pas la grâce du maître pour lui. En vertu de sa diligence et de son zèle, le maître le rétribuera justement. Mais la grâce ou la faveur du maître n’a pas d’autre motif ni cause que la bonté du maître. Lorsque le maître agrée l’œuvre du serviteur, son agrément procède de sa bienveillance et ne doit rien à la fidélité du serviteur. C’est pourquoi cet agrément ajoute quelque chose à l’œuvre bonne accomplie par le serviteur, supplément que ce dernier est incapable de lui conférer, quelque empressement qu’il apporte à l’accomplissement de sa tâche.
Qu’est-ce à dire sinon que la complaisance du maître qui ne doit rien aux efforts du serviteur est absolument gratuite ? Jésus nous parle d’un ordre de chose qui va donc au-delà de la justice. Cela ne la supprime pas, bien sûr. Quiconque croirait assez payer le boulanger auquel il achète son pain de sa complaisance à l’avoir reçu commettrait une injustice, cela ne prête pas à barguigner. Mais la grâce est d’un autre ordre. Elle nous dit comment Dieu, qui n’a besoin de rien parce qu’il possède tout, se réjouit du bien que nous lui faisons, non parce que nous le comblerions de quelque chose qu’il n’a pas, mais seulement parce qu’il est bon. C’est de lui-même qu’il tire toute bienveillance qu’il nous témoigne, et pas d’une reconnaissance qu’il ne nous doit pas. C’est pourquoi il peut nous témoigner de la bienveillance même quand nous ne sommes rien, et continuer à le faire tandis que le péché nous a rendus moins que rien.
Ainsi lorsque Dieu nous fait du bien, ce n’est pas d’abord en raison de nos mérites, mais de la grâce dont Il est libre d’user avec nous. Or cette grâce, il ne nous l’a pas ménagée, et l’histoire sainte est là pour nous montrer que la providence de Dieu est le dévoilement de cette bienveillance qui culmine dans l’offrande imméritée du Christ.
« Des serviteurs inutiles », lit-on parfois. Inutile Mère Teresa ? Ce ne serait pas seulement l’insulter elle, mais aussi les miséreux qu’elle a arrachés à une mort ignoble. Inutile saint Thomas d’Aquin ? Pas sûr qu’ils seraient d’accord, les générations de dominicains (et d’autres …) qui ont compris grâce à lui quelque chose de l’essence de Dieu, de la Trinité, de la procession des personnes divines. Inutile, la veuve anonyme qui a glissé une modeste obole dans le tronc du Temple ? Mais Jésus a agréé son offrande, nous disant comment plaire à Dieu. Qu’est-ce qu’ils ont en commun ? Non seulement d’avoir servi à quelque chose ; mais surtout ils ont agi en vertu de la gratuité de Dieu. Cette bonté, saint Thomas a estimé qu’il valait la peine de lui consacrer dans une gratuité en retour des milliers d’heures de labeur acharné, et de se consumer pour elle. Mère Teresa en a fait autant pour des malades et des mourants. Ainsi rendaient-ils à Dieu un hommage humble et ébloui, dans un parfait acte de charité.
Notre relation à Dieu est assymétrique ? Bonne nouvelle, car nous serons justes avec lui en ne nous réservant rien.
La réponse de saint Thomas
- La grâce est une bienveillance gratuite de Dieu, que le serviteur ne mérite pas et ne peut mériter. C'est en cela qu'ayant accompli son office il n'a rien à attendre de son maître et se dit à lui-même : je suis un serviteur inutile, je n'ai fait que ce que je devais faire. Ainsi, ce que le serviteur inutile reçoit de Dieu ne résulte en rien de son service : c'est un signe de la bienveillance de Dieu pour lui (Somme de théologie, Ia-IIae, q. 110, a. 1, resp., texte adapté) :
« Dans le langage courant, le mot grâce revêt une triple signification. Il désigne en premier lieu la dilection que l'on a pour quelqu'un. Par exemple, on dira que ce serviteur bénéficie de la grâce de son maître, en ce sens qu'il est aimé de son maître. En outre, on emploie le mot grâce pour signifier un don accordé gratuitement, lorsque l'on dit par exemple : je te fais cette grâce. Enfin on donne au mot le sens d'un remerciement pour un bienfait gratuit ; ainsi lorsque nous rendons grâce pour les bienfaits reçus.
Or de ces trois significations, la deuxième (le bienfait accordé gratuitement) découle de la première (la dilection pour le serviteur) : c'est en effet parce qu'on aime quelqu'un qu'on lui accorde des présents. Et la troisième (l'action de grâce) découle de la deuxième (le bienfait), puisque c'est à cause des bienfaits que l'on rend grâce. »
- Le serviteur inutile est utile pour les hommes (Écrit sur les Sentences, II, dist. 27, a. 3, ad 3) :
« Même en rendant ce qu'on doit, on mérite. En effet, quelqu'un mérite aussi à l'égard de Dieu en ce qu'il est établi à l'égard des hommes comme ayant une vie digne de louange. Car l'acte de justice est louable, comme le sont les actes des autres vertus. C'est pourquoi même l'acte de justice est méritoire (bien que certains ont parfois pu le nier), alors que pourtant l'acte de justice consiste à rendre ce que l'on doit, y compris ce que l'on doit à l'homme. Car en effet, si ce que l'on rend, on le rend pour le devoir à autrui, de sorte qu'on ne peut se l'attribuer comme sien ; cependant dans cette action de rendre il y a tout ce qui n'était en rien dû : le mode de l'opération dans laquelle se fonde cette reddition, ainsi que le droit à mériter, ainsi que la louange de celui-là même qui rend parce qu'il a rendu volontairement et par amour de ce bien qu'est la justice. »
- Les saints sont toujours des serviteurs inutiles (Commentaire sur Isaïe, collation sur le chapitre 44) :
« Les saints sont : élus par prédestination (Ep 1, 4: Il nous a élus…), formés par l'infusion de la grâce (Gn 2, 7: Le Seigneur forma… et insuffla…), rendus droits par la dilection (Ct 1, 3: ainsi t'aiment droitement…), serviteurs par le devoir qu'ils ont d'opérer (Lc 17, Nous sommes des serviteurs inutiles…). »
fr. Renaud Silly, o.p.
Quand l’Église a-t-elle été fondée ? La question peut sembler, au premier abord, enfantine. Tout chrétien répondra que l’Église a été fondée par le Christ au cours de sa vie terrestre. Mais peut-on donner une date précise de cette naissance ? Serait-ce au début du ministère public, lors de l’appel des Douze (cf. Mc 3, 13-19) ou de l’institution de Pierre comme chef de l’Église (cf. Mt 16, 18) ? Ces deux événements marquent, en effet, des étapes importantes dans l’édification de l’Église ; mais à trop mettre l’accent sur ses éléments visibles, hiérarchiques, juridiques, on risque d’oublier « l’action du Christ et de l’Esprit Saint hors des limites visibles de l’Église[1] ».
Il conviendrait donc de préférer une conception plus pneumatologique que bellarminienne de l’Église[2]. La fondation de l’Église, dans cette logique, pourrait coïncider avec l’envoi de l’Esprit Saint à la Pentecôte. C’est à ce moment que les disciples reçurent en plénitude « la force » (Ac 1, 8) de l’Esprit Saint, qui les introduisit dans la vérité tout entière (cf. Jn 16, 13). Mais peut-être faudrait-il adopter une vision plus sacramentelle, centrée sur l’institution du sacrifice eucharistique, « la source et le sommet de toute la vie chrétienne[3] » ? Comme le dit le cardinal de Lubac : « C’est l’Église qui fait l’Eucharistie, mais c’est aussi l’Eucharistie qui fait l’Église[4]. » La Cène, cependant, n’est pas encore le moment où tout est « achevé » (Jn 19, 30). L’institution de l’eucharistie anticipe le don total du Christ sur la croix. Faut-il donc repousser la fondation de l’Église au moment où Jésus meurt sur la croix et voir dans l’eau et le sang qui jaillissent de son côté ouvert le signe de sa naissance ? De toutes les dates proposées, cette dernière semble aujourd’hui emporter l’adhésion, comme l’indique, entre autres, le Catéchisme de l’Église catholique :
Mais l’Église est née principalement du don total du Christ pour notre salut, anticipé dans l’institution de l’Eucharistie et réalisé sur la Croix. « Le commencement et la croissance de l’Église sont signifiés par le sang et l’eau sortant du côté ouvert de Jésus crucifié [LG 3]. » « Car c’est du côté du Christ endormi sur la Croix qu’est né l’admirable sacrement de l’Église tout entière [SC 5]. » De même qu’Ève a été formée du côté d’Adam endormi, ainsi l’Église est née du cœur transpercé du Christ mort sur la Croix [cf. S. Ambroise, Lc. 2, 85–89][5].
La Passion est assurément le moment le plus important de l’édification de l’Église, car c’est au cours de cet événement que le Christ a le plus aimé l’humanité et manifesté son amour. Il ne faut cependant pas isoler la Passion de tous les autres actes salvifiques de sa vie. Le Christ n’a pas commencé de mériter le salut de l’humanité sur la croix. Il l’a fait dès le premier instant de sa conception[6]. Tous les acta et passa du Christ, parce qu’ils ont une valeur salvifique, ont une dimension ecclésiologique, étant entendu que la Passion du Christ est le plus éminent de tous les actes sauveurs. Si l’Église vient du Christ, elle est l’œuvre de toute sa vie et sa Passion est son chef d’œuvre.
Mais si l’on dit que l’Église n’a pas été bâtie d’un seul coup, en un seul acte, par le Christ, une deuxième difficulté surgit. N’y avait-il pas d’Église avant le Christ ? Plusieurs Pères de l’Église ont parlé de « l’Église depuis Abel (ecclesia ab Abel)[7] ». Faut-il dire que la société des justes, avant le Christ, n’était pas vraiment l’Église, qu’elle n’était qu’une préparation, une préfiguration de l’Église ou bien qu’elle n’était pas encore l’Église en acte mais seulement l’Église en puissance ?
Cette question fait entrevoir encore une autre difficulté, celle de n’envisager l’ecclésiologie que dans la dépendance de la christologie et de l’économie rédemptrice. Au lieu de voir l’Église comme l’assemblée des hommes et des anges, celle-ci est ramenée à la seule assemblée des hommes. Un autre risque théologique, lié au précédent, est de la voir uniquement comme le moyen de salut du genre humain et non comme la fin du dessein divin englobant les anges et les hommes.
Pour répondre à ces différents problèmes, nous proposerons sept remarques, comme autant d’éléments qu’il importe, selon nous, de tenir quand on se penche, de manière générale, sur la fondation de l’Église et, de manière particulière, sur sa relation au Christ, le Verbe incarné. Le fil rouge de notre réflexion est que l’Église, en tant que société des saints — anges et hommes — est l’effet des missions invisibles et visibles du Verbe et de l’Esprit Saint.
I. Là où est l’Esprit de Dieu, là est l’Église
Ubi Spiritus Dei, ibi Ecclesia. Cette première proposition s’inspire d’une formule de saint Irénée de Lyon :
Là où est l’Église, il y a l’Esprit de Dieu et là où est l’Esprit de Dieu, il y a l’Église et toute grâce : l’Esprit est vérité (Ubi enim Ecclesia, ibi et Spiritus Dei, et ubi Spiritus Dei, illic Ecclesia et omnis gratia : Spiritus autem veritas)[8].
L’intérêt de cet adage est de lier essentiellement la présence de l’Église à l’action de l’Esprit Saint et à la communication de la grâce sanctifiante qui n’est autre que « l’amour de Dieu (…) répandu dans nos cœurs par le Saint Esprit qui nous fut donné » (Rm 5, 5). Le mystère de l’Église est coextensif à celui de l’inhabitation trinitaire dans les créatures douées de raison. Là où est l’Esprit de Dieu, autrement dit là où les Personnes divines agissent surnaturellement, là est l’Église.
Cette proposition évite de réduire le mystère de l’Église aux seules structures ecclésiales sacramentelles instituées par le Christ. Elle rend compte de l’universalité de l’Église dans le temps et l’espace, en mettant l’accent sur la sanctification opérée par les trois personnes divines ; sanctification que l’on peut approprier à l’Esprit Saint : « L’Esprit habite dans l’Église et dans le cœur des fidèles comme dans un temple (cf. 1 Co 3, 16 ; 6, 19), en eux il prie et atteste leur condition de fils de Dieu par adoption (cf. Ga 4, 6 ; Rm 8, 15–16.26)[9]. »
II. L’Église des missions divines est l’Église de la grâce et de la gloire
Les missions divines invisibles et visibles du Fils et de l’Esprit fondent l’Église : par elles, la sainte Trinité opère de manière spéciale dans les créatures raisonnables et les rend semblables à elle. L’inhabitation trinitaire, par laquelle la créature jouit de Dieu, s’effectue de deux manières : selon la grâce, in via, selon la gloire, in patria. La grâce et la gloire sont, en effet, les deux modalités d’une même « participation de la divine nature » (2 P 1, 4), la première étant une « disposition » à la seconde : « La grâce est une disposition à la gloire. » L’Église est donc la société de tous les êtres graciés et glorieux : « L’Église vit en deux états, celui de la grâce dans le temps présent celui de la gloire dans l’éternité, et c’est une seule et même Église (…)[10]. »
Cette proposition évite de réduire le mystère de l’unique Église à l’un ou l’autre état. Elle souligne, de nouveau, l’opération spéciale de Dieu qui fonde l’Église : la divinisation des créatures spirituelles réalisée par la sainte Trinité.
III. L’Église est la société des anges et des hommes
Le mystère de l’Église est coextensif au don de la vie éternelle commencée (grâce) ou consommée (gloire). Cette participation à la vie trinitaire ne concerne pas uniquement les hommes. La société ecclésiale rassemble les anges et les hommes en qui œuvre la sainte Trinité : « Il n’y aura pas deux sociétés, celle des hommes et celle des anges, mais une seule, car tous ont la même béatitude : adhérer au Dieu unique[11]. » Il convient donc de ne pas avoir une vision anthropocentrée de l’Église. Quand on cherche l’origine de l’Église exclusivement à partir des mystères de la vie du Christ, on risque d’oublier que l’Église a une finalité qui dépasse l’économie de la rédemption des hommes : « L’Église ne relève pas seulement de la réalisation (πραγματεία) mais plus radicalement du dessein (οἰϰονομία), du projet de Dieu sur le monde, en particulier sur ses créatures spirituelles[12]. » Elle est la « congregatio fidelium[13] », la « communio sanctorum » des hommes et des anges.
Cette proposition évite de réduire l’Église à la société des seuls saints humains. Elle manifeste l’unité des créatures spirituelles et la communion des personnes réalisée par Dieu au ciel et sur la terre.
IV. La grâce dans ses deux modes
C’est la grâce qui fait des créatures in via des membres de l’Église et qui assure entre eux « l’unité de l’Esprit » (Ep 4, 3). Mais la grâce dont les anges ont bénéficié à leur création, celle qui fut offerte à l’origine à Adam et Ève, et celle qui est offerte aux hommes, après leur chute, ne sont pas différentes. La ratio de la grâce demeure la même : c’est toujours une certaine participation de la nature divine qui confère aux créatures spirituelles l’adoption filiale. Ce qui varie est le modus de la grâce[14], c’est-à-dire la manière dont Dieu donne la grâce aux créatures spirituelles. Chez les hommes, ce modus a varié en raison du péché originel. La sanctification que Dieu leur offre, depuis le péché originel, est une rédemption ; ce qu’elle n’était pas dans l’état de justice originelle.
Cette quatrième proposition évite de considérer que l’Église, dans sa ratio, a commencé d’être avec l’économie de la rédemption humaine. Elle rappelle que la fin surnaturelle de toutes les créatures, anges et hommes, est de vivre dans l’amitié avec Dieu et que la grâce puis la gloire sont les moyens offerts par Dieu pour atteindre cette fin dernière.
V. L’Église, corps mystique dont le Verbe est la tête et l’Esprit Saint est l’âme
L’Église est comparable à un corps parce que plusieurs membres — anges et hommes — le composent. De ce corps mystique, si l’on poursuit l’analogie, l’âme est appropriable à l’Esprit Saint, qui vivifie et unifie tout le corps, et la tête au Verbe de Dieu qui conduit le corps[15]. Cette analogie est vraie depuis l’origine :
Dans l’économie de la justice originelle, anges et hommes en grâce eussent formé le corps mystique du Verbe, tous adoptés et animés par le même Esprit de Dieu. Premier-né d’une multitude de frères, le Verbe eut été la tête invisible de ce corps de grâce, comme il l’a été effectivement pour les anges au cours de leur brève via[16].
Après la chute d’Adam et Ève, le corps mystique n’a changé ni d’âme ni de tête. C’est toujours dans le Fils et par l’Esprit que les hommes deviennent des fils adoptifs de Dieu, mais c’est par la foi dans le Fils incarné que les hommes, après la chute, sont sauvés.
Cette cinquième proposition évite de faire des seules missions visibles du Fils et de l’Esprit les actes fondateurs de l’Église. Elle montre la continuité entre les missions invisibles et visibles du Fils et de l’Esprit et le fait que l’Église, depuis l’origine, peut être appelée, par mode d’appropriation, l’Église du Verbe, en raison du dessein divin d’adoption filiale, et depuis la chute, l’Église du Verbe incarné.
VI. L’Église du Verbe incarné
Depuis le péché originel, en effet, Jésus Christ, le Verbe incarné, est l’unique médiateur entre Dieu et les hommes : « Car Dieu est unique, unique aussi le médiateur entre Dieu et les hommes, le Christ Jésus, homme lui-même, qui s’est livré en rançon pour tous. » (1 Tm 2, 5). C’est par lui et par lui seul, après le péché originel, que le salut est offert : « Car il n’y a pas sous le ciel d’autre nom donné aux hommes, par lequel nous devions être sauvés » (Ac 4, 12). Cela est vrai aussi bien avant qu’après l’incarnation du Verbe. Les hommes qui ont été justifiés, après le péché originel, l’ont été en vertu de leur foi, plus ou moins explicite, dans la Trinité et dans l’incarnation à venir. Les signes de la foi que les hommes instituaient quand ils suivaient la loi de nature[17], les signes, ensuite, que Dieu a édictés à Abraham, comme la circoncision[18] et les préceptes cérémoniels de la loi de Moïse[19] étaient des sacrements du Christ à venir[20]. Mais ils n’étaient pas des causes instrumentales du salut, comme le sont les sacrements de la loi nouvelle. À l’occasion de ces signes, les hommes professaient leur foi dans le Christ à venir. Celui-ci était déjà source de salut avant son incarnation effective :
La grâce capitale du Christ est à l’œuvre depuis le commencement du monde, ce par quoi les hommes ont commencé d’être ses membres[21].
Cette grâce, qui leur était donnée « par anticipation, par exaucement rétroactif de la grande intercession méritoire que le Christ fera monter de la croix[22] », faisait déjà d’eux des chrétiens. Mais cette incorporation était encore imparfaite, parce que ces hommes ne voyaient le Christ que « de loin » (He 11, 13)[23]. Il fallait attendre l’incarnation rédemptrice du Verbe, depuis la conception du Christ à l’Annonciation jusqu’à sa descente au séjour des morts, pour que 1) la plénitude de la Vérité soit révélée, 2) que le salut fût réalisé par mode d’efficience, de mérite et de satisfaction 3) et que la grâce fût communiquée aux hommes, principalement par les sacrements qu’il avait institués. Ceux-ci ont été signifiés par l’eau et le sang qui jaillirent de son côté ouvert sur la croix[24].
Cette proposition écarte deux erreurs principales : l’une, qui consiste à dire qu’il n’y a pas eu de saints avant l’incarnation effective du Christ ; l’autre, que Dieu a accordé son salut en dehors du Christ Jésus. Contre l’une et l’autre, nous tenons qu’« il n’y a qu’une seule économie salvifique du Dieu Un et Trine, réalisée dans le mystère de l’incarnation, mort et résurrection du Fils de Dieu, mise en œuvre avec la coopération du Saint-Esprit et élargie dans sa portée salvifique à l’humanité entière et à l’univers (…)[25]. »
VII. « L’Église, sacrement universel du salut »
L’Église n’a pas commencé d’être, dans le temps, avec l’incarnation rédemptrice du Christ. Celle-ci existait dès la création en état de grâce des anges et des hommes. Ce que le Christ a institué, c’est un modus nouveau de grâce qui s’impose depuis son incarnation comme le mode ordinaire par lequel Dieu veut sauver les hommes : le mode sacramentel[26].
Ce mode nouveau, que les sacrements de la loi ancienne préfiguraient, prolonge la dérivation de la grâce par contact de l’humanité. Les sacrements de la loi nouvelle sont ainsi la cause instrumentale séparée de la grâce. Ils sont « comme les mains du Christ étendues sur nous à travers le temps et l’espace[27] ». Par ce mode, le mystère de l’Église est rendu davantage visible aux hommes, principalement dans l’Église catholique, en qui l’unique Église du Christ « subsiste de façon inamissible[28] ».
Si la dispensation de la grâce, in via, s’effectue principalement et ordinairement par les sacrements, le Christ continue, cependant, d’accorder sa grâce d’une manière non sacramentelle, « par des voies connues de lui (viis sibi notis)[29] ». Le Christ n’a pas lié sa puissance aux sacrements[30]. Il continue de toucher des hommes, dans le secret des cœurs, par des voies non-sacramentelles. Ceux qui ne sont pas sanctifiés par la médiation d’un sacrement donné par un ministre de l’Église ne sont pas cependant sauvés en dehors de l’Église. Les grâces qu’ils reçoivent ont « une relation mystérieuse à l’Église (quamquam arcanam habet necessitudinem cum Ecclesia)[31] » et les ordonnent à elle. Il faut admettre, cependant, qu’elles ne sont que des suppléances aux grâces sacramentelles. Elles ne procurent pas les « effets spéciaux nécessaires à la vie chrétiennex[32] » propres à ces dernières. Elles incorporent réellement ceux qui les reçoivent au corps du Christ, puisqu’elles les associent au mystère pascal[33], mais d’une manière imparfaite. Ceux qui en bénéficient sont la partie immergée, imparfaitement sacramentelle, de l’Église. Ils sont disposés par elles à devenir formellement membres de l’Église.
Cette dernière proposition s’oppose à l’idée selon laquelle il y aurait deux économies rédemptrices qui coexisteraient depuis la venue du Christ : celle du Verbe non incarné, d’un côté, et celle du Verbe incarné, de l’autre ; la première touchant tous les hommes de bonne volonté, l’autre ceux qui appartiennent à l’Église visible[34]. Cette dernière proposition préserve l’unicité de l’économie salvifique, dont « la source » et « le centre »[35] est le mystère de l’Incarnation du Verbe, mais également le lien de tout homme, sauvé par le Christ, à son Église. Celui qui accueille la grâce sanctifiante, méritée par le Christ et communiquée par l’Esprit, participe de la vie divine mais aussi, car c’est tout un, de la vie de « la seule et unique Église de Dieu[36] », à des degrés divers. L’appartenance à la vie de l’Église, qui n’est autre que la vie du Royaume de Dieu, « puisqu’elle en est le germe, le signe et l’instrument (cuius est germen, signum et instrumentum)[37] » trouvera son achèvement dans la gloire.
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Au terme de ce parcours en sept étapes, nous comprenons mieux de quelle manière il faut entendre le fondement, l’institution ou la naissance de l’Église par le Christ. Ce qui est né du Christ, c’est-à-dire des acta et passa du Verbe incarné, en particulier de sa Passion, n’est pas l’Église en tant que telle, c’est-à-dire la société des saints anges et des saints hommes, car celle-ci existe depuis la création en grâce des anges et des hommes, mais « l’admirable sacrement de l’Église tout entière »[38], autrement dit, le modus sacramentel, visible, par lequel Dieu veut communiquer sa grâce aux hommes et les lier entre eux et aux anges par la divine charité. Ce modus sacramentel qui inaugure le Royaume de Dieu sur la terre trouvera, à la fin des temps, son point d’achèvement et d’éclosion quand Dieu sera « tout en tous » (1 Co 15, 28)[39].
Fr. David Perrin o.p.
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Jean-Paul II, Lettre encyclique sur la valeur permanente du précepte missionnaire, Redemptoris missio (1990), n° 18. « opus Christi et Spiritus extra visibiles fines [Ecclesiae] non excludat ». ↩
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Sur la conception ecclésiologique de saint Robert Bellarmin et sa définition de l’Église comme « evocatio sive caetus vocatorum » et « coetus hominis ita visibilis et palpabilis », cf. entre autres, Alexandra Diriart, Ses frontières sont la charité. L’Église Corps du Christ et Lumen Gentium, Préface de G. Cottier, Paris, Lethielleux, Groupe DDB (coll. « Études Charles Journet »), 2011, p. 288-324. ↩
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IIe Concile œcuménique du Vatican, Constitution dogmatique sur l’Église, Lumen gentium, n° 11. « totius vitae christianae fontem et culmen. » ↩
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Henri de Lubac, Méditation sur l’Église, Paris, Aubier (coll. « Théologie ») n° 27, 19543, p. 113. Le pape Jean-Paul II a consacré une de ces encycliques à ce thème. Cf. Jean-Paul II, Lettre encyclique sur l’eucharistie dans son rapport à l’Église, Ecclesia de eucharistia (2003). ↩
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Catéchisme de l’Église catholique (1992), n° 766. ↩
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Cf. Thomas d’Aquin, Sum. theol., IIIa, q. 34, a. 3. ↩
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Abel est le premier, après le péché, à mourir en juste avant Adam. Cf. Yves Congar, « Ecclesia ab Abel », Abhandlungen über Theologie und Kirche, Festschrift für Karl Adam, Dusseldorf, 1952, p. 79-109. La constitution dogmatique sur l’Église, Lumen Gentium, mentionne ce thème patristique : « Alors, comme on peut le lire dans les saints Pères, tous les justes depuis Adam, ‘‘depuis Abel le juste jusqu’au dernier élu’’ se trouveront rassemblés auprès du Père dans l’Église universelle. » IIe Concile œcuménique du Vatican, Constitution dogmatique sur l’Église, Lumen gentium (1964), n° 2. « Tunc autem, sicut apud sanctos Patres legitur, omnes iusti inde ab Adam, ‘‘ab Abel iusto usque ad ultimum electum’’ in Ecclesia universali apud Patrem congregabuntur. » ↩
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Irénée de Lyon, Adversus Haereses, livre III, chap. XXIV, 1, t. II, édition critique Adelin Rousseau et Louis Doutreleau, Paris, Cerf (« coll. « Sources chrétiennes ») n° 211, 1974, p. 473-475. ↩
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IIe Concile œcuménique du Vatican, Constitution dogmatique sur l’Église, Lumen gentium, no4. « Spiritus in Ecclesia et in cordibus fidelium tamquam in templo habitat (cf. 1 Co 3, 16 ; 6, 19), in eisque orat et testimonium adoptionis eorum reddit (cf. Ga 4, 6 ; Rm 8, 15-16 et 26). » ↩
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Super Col., cap. 1, lect. 5. « Ecclesia quidem habet duplicem statum, scilicet gratiae in praesenti et gloriae in futuro, et est eadem Ecclesia (…) ». ↩
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Sum. theol., Ia, q. 108, a. 8, co. « Sed hoc est contra Augustinum, qui dicit XII de Civ. Dei, quod non erunt duae societates hominum et Angelorum, sed una, quia omnium beatitudo est adhaerere uni Deo. » ↩
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François Daguet, Théologie du dessein divin chez Thomas d’Aquin. Finis omnium Ecclesia, Paris, Vrin, 2003, p. 16. ↩
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Cf., par exemple, Sum. theol., IIIa, q. 8, a. 4, ad 2. ↩
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Le modus regarde toujours les conditions d’exercice d’une forme ou d’une ratio : « Ce que la forme requiert d’abord, c’est la détermination ou la proportionnalité de ses principes, soit matériels, soit efficients, et c’est ce qu’on entend par le mode (…). » Sum. theol., Ia, q. 5, a. 5, co. « Praeexigitur autem ad formam determinatio sive commensuratio principiorum, seu materialium, seu efficientium ipsam, et hoc significatur per modum (…). » ↩
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Saint Thomas explique l’analogie de la manière suivante dans la Somme de théologie : « La tête a une supériorité manifeste sur les autres membres extérieurs ; le cœur, lui, exerce une influence cachée. C’est pourquoi l’on compare au cœur le Saint-Esprit, qui vivifie et unifie invisiblement l’Église ; et l’on compare à la tête le Christ, dans sa nature visible, parce que, comme homme, il l’emporte sur les autres hommes. » Sum. theol., IIIa, q. 8, a. 1, ad 3. « Ad tertium dicendum quod caput habet manifestam eminentiam respectu exteriorum membrorum, sed cor habet quandam influentiam occultam. Et ideo cordi comparatur spiritus sanctus, qui invisibiliter Ecclesiam vivificat et unit, capiti comparatur Christus, secundum visibilem naturam, qua homo hominibus praefertur. » ↩
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F. Daguet, op. cit., p. 168. ↩
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Cf. Sum. theol., IIIa, q. 70, a. 2, ad 1. « Immédiatement après le péché du premier homme, la science personnelle d’Adam, qui avait été plus parfaitement instruit des choses de Dieu, maintenait assez de foi et de raison naturelle chez l’homme pour qu’il ne soit pas nécessaire d’instituer pour les hommes des signes de la foi et du salut, et chacun témoignait de sa foi à sa guise par des signes qui la manifestaient. » ; « immediate post peccatum primi parentis, propter doctrinam ipsius Adae, qui plene instructus fuerat de divinis, adhuc fides et ratio naturalis vigebat in homine in tantum quod non oportebat determinari hominibus aliqua signa fidei et salutis, sed unusquisque pro suo libitu fidem suam profitentibus signis protestabatur. » ↩
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Cf. Sum. theol., IIIa, q. 70, a. 4, co. « La circoncision conférait la grâce parce qu’elle était le signe de la foi à la passion future : l’homme qui recevait la circoncision professait qu’il embrassait cette foi, l’adulte pour lui-même et un autre pour les enfants. Aussi l’apôtre dit-il (Rm 4, 11) : ‘‘Abraham reçut le signe de la circoncision comme sceau de sa justification par la foi.’’ C’est-à-dire que la justice venait de la foi signifiée par la circoncision, et non la circoncision qui la signifiait. » ; « Circumcisio autem conferebat gratiam inquantum erat signum fidei passionis Christi futurae, ita scilicet quod homo qui accipiebat circumcisionem, profitebatur se suscipere talem fidem ; vel adultus pro se, vel alius pro parvulis. Unde et apostolus dicit, Rom. IV, quod Abraham accepit signum circumcisionis, signaculum iustitiae fidei, quia scilicet iustitia ex fide erat significata, non ex circumcisione significante. » ↩
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Cf. Sum. theol., Ia-IIae, q. 103, a. 2, c. « Toutefois, dès le temps de la loi, les âmes croyantes pouvaient par la foi s’unir au Christ incarné et crucifié, et ainsi elles étaient justifiées en vertu de la foi au Christ qu’elles professaient de quelque manière en observant les cérémonies qui figuraient le Christ. Donc, si sous la loi ancienne on offrait certains sacrifices pour les péchés, ce n’est pas que ces sacrifices fussent capables de purifier du péché, mais ils constituaient une profession de la foi qui en purifiait. » ; « Poterat autem mens fidelium, tempore legis, per fidem coniungi Christo incarnato et passo, et ita ex fide Christi iustificabantur. Cuius fidei quaedam protestatio erat huiusmodi caeremoniarum observatio, inquantum erant figura Christi. Et ideo pro peccatis offerebantur sacrificia quaedam in veteri lege, non quia ipsa sacrificia a peccato emundarent, sed quia erant quaedam protestationes fidei, quae a peccato mundabat. » ↩
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Cf. Sum. theol., IIIa, q. 61, a. 3, c. « Avant la venue du Christ, il fallait déjà des signes visibles par lesquels l’homme professerait sa foi en la venue future du Sauveur. Ce sont ces signes qu’on appelle sacrements. Ainsi est-il évident que l’institution de certains sacrements s’imposait avant la venue du Christ » ; « Et ideo oportebat ante Christi adventum esse quaedam signa visibilia quibus homo fidem suam protestaretur de futuro salvatoris adventu. Et huiusmodi signa sacramenta dicuntur. Et sic patet quod ante Christi adventum necesse fuit quaedam sacramenta institui. » ↩
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III Sent., d. 13, q. 3, a. 2, qa 1, s.c. 2. « gratia capitis operata est a constitutione mundi, ex quo homines membra ejus esse coeperunt (…) ». ↩
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Charles Journet, L’Église du Verbe incarné. Essai de théologie spéculative, dans Œuvres Complètes, vol. III « Sa structure interne et son unité catholique » [t. II, 1951], Saint-Maurice, Suisse Éditions Saint-Augustin, 1999, p. 1048. ↩
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« C’est dans la foi qu’ils moururent tous sans avoir reçu l’objet des promesses, mais ils l’ont vu et salué de loin, et ils ont confessé qu’ils étaient étrangers et voyageurs sur la terre. » He 11, 13. ↩
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Cf. Sum. theol., IIIa, q. 62, a. 5, co. « Il est évident, d’après ce que nous avons dit antérieurement que c’est surtout la passion du Christ qui nous a délivrés de nos péchés par manière d’efficience, de mérite, mais aussi de satisfaction. De même encore est-ce par sa passion que le Christ a inauguré le régime cultuel de la religion chrétienne en ‘‘s’offrant lui-même en offrande et en victime à Dieu’’, dit l’épître aux Éphésiens (5, 2). Il est donc évident que les sacrements de l’Église tiennent spécialement leur vertu de la passion du Christ ; c’est la réception des sacrements qui nous met en communication avec la vertu de la passion du Christ. L’eau et le sang jaillis du côté du Christ en croix symbolisent cette vérité, l’eau se rapporte au baptême et le sang à l’eucharistie, car ce sont les sacrements les plus importants. » ; « Manifestum est autem ex his quae supra dicta sunt, quod Christus liberavit nos a peccatis nostris praecipue per suam passionem, non solum efficienter et meritorie, sed etiam satisfactorie. Similiter etiam per suam passionem initiavit ritum Christianae religionis, offerens seipsum oblationem et hostiam Deo, ut dicitur Ephes. V. Unde manifestum est quod sacramenta Ecclesiae specialiter habent virtutem ex passione Christi, cuius virtus quodammodo nobis copulatur per susceptionem sacramentorum. In cuius signum, de latere Christi pendentis in cruce fluxerunt aqua et sanguis, quorum unum pertinet ad Baptismum, aliud ad Eucharistiam, quae sunt potissima sacramenta. » ↩
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Congrégation pour la doctrine de la foi, Déclaration sur l’unicité et l’universalité salvifique de Jésus-Christ et de l’Église, Dominus Iesus (2000), no11. « De unica enim agitur Dei Unius et Trini salvifica oeconomia, quae ad rem deducitur in mysterio incarnationis, mortis et resurrectionis Filii Dei et Spiritu Sancto cooperante efficitur, quaeque in suo effectu salvifico ad homines cunctos et ad universum mundum pertingit (…). » ↩
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IIe Concile œcuménique du Vatican, Constitution dogmatique sur l’Église, Lumen gentium, no48. « Le Christ élevé de terre a tiré à lui tous les hommes (cf. Jn 12, 32 grec) ; ressuscité des morts (cf. Rm 6, 9), il a envoyé sur ses Apôtres son Esprit de vie et par lui a constitué son Corps, qui est l’Église, comme le sacrement universel du salut ; assis à la droite du Père, il exerce continuellement son action dans le monde pour conduire les hommes vers l’Église, se les unir par elle plus étroitement et leur faire part de sa vie glorieuse en leur donnant pour nourriture son propre Corps et son Sang. » « Christus quidem exaltatus a terra omnes traxit ad seipsum (cf. Io 12, 32 gr.) ; resurgens ex mortuis (cf. Rm 6, 9) Spiritum suum vivificantem in discipulos immisit et per eum Corpus suum quod est Ecclesia ut universale salutis sacramentum constituit; sedens ad dexteram Patris continuo operatur in mundo ut homines ad Ecclesiam perducat arctiusque per eam Sibi coniungat ac proprio Corpore et Sanguine illos nutriendo gloriosae vitae suae faciat esse participes. » ↩
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C. Journet, op. cit., p. 1050. ↩
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IIe Concile œcuménique du Vatican, Décret sur l’œcuménisme, Unitatis redintegratio (1964), no4. « Cette unité, le Christ l’a accordée à son Église dès le commencement. Nous croyons qu’elle subsiste de façon inamissible dans l’Église catholique et nous espérons qu’elle s’accroîtra de jour en jour jusqu’à la consommation des siècles. « (…) unius unicaeque Ecclesiae unitatem congregentur quam Christus ab initio Ecclesiae suae largitus est, quamque inamissibilem in Ecclesia catholica subsistere credimus et usque ad consummationem saeculi in dies crescere speramus.” ↩
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IIe Concile œcuménique du Vatican, Décret sur l’activité missionnaire de l’Église, Ad Gentes divinitus, no7. ↩
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Cf. Sum. theol., IIIa, q. 72, a. 6, ad. 1 ↩
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Jean-Paul II, Lettre encyclique sur la valeur permanente du précepte missionnaire, Redemptoris missio, no10. ↩
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Sum. theol., IIIa, q. 62, a. 2, co. ↩
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IIe Concile œcuménique du Vatican, Constitution pastorale sur l’Église dans le monde de ce temps, Gaudium et spes (1965), no22. « En effet, puisque le Christ est mort pour tous et que la vocation dernière de l’homme est réellement unique, à savoir divine, nous devons tenir que l’Esprit Saint offre à tous, d’une façon que Dieu connaît, la possibilité d’être associé au mystère pascal. » ; « Cum enim pro omnibus mortuus sit Christus cumque vocatio hominis ultima revera una sit, scilicet divina, tenere debemus Spiritum Sanctum cunctis possibilitatem offerre ut, modo Deo cognito, huic paschali mysterio consocientur. » ↩
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La déclaration Dominus Iesus a fortement combattu cette idée : « Il est donc contraire à la foi catholique de séparer l’action salvifique du Logos en tant que tel de celle du Verbe fait chair. Par l’incarnation, toutes les actions salvifiques que le Verbe de Dieu opère sont toujours réalisées avec la nature humaine qu’il a assumée pour le salut de tous les hommes. L’unique sujet agissant dans les deux natures, divine et humaine, est la personne unique du Verbe. Elle n’est donc pas compatible avec la doctrine de l’Église la théorie qui attribue une activité salvifique au Logos comme tel dans sa divinité, qui s’exercerait ‘‘plus loin’’ et ‘‘au-delà’’ de l’humanité du Christ, même après l’incarnation. » Congrégation pour la doctrine de la foi, Déclaration sur l’unicité et l’universalité salvifique de Jésus-Christ et de l’Église, Dominus Iesus, no10. « Fidei quoque catholicae contradicit disiunctio inter actionem salvificam Verbi qua talis et actionem salvificam Verbi quod caro factum est. Per incarnationem enim opera salvifica omnia, quae Verbum Dei perficit, efficiuntur semper in unitate cum humana natura, quam ad universorum hominum salutem assumpsit. Subiectum unicum operans in duabus naturis, humana et divina, persona est unica Verbi. Componi ergo nequit cum Ecclesiae doctrina theoria illa quae Verbo qua tali actuositatem salvificam tribuit, quae exerceatur “praeter” et “ultra” Iesu Christi humanitatem, etiam post incarnationem. » Nous renvoyons, sur cette question, au dossier de la Revue thomiste, Saint Thomas et la théologie des religions, 106 (2006). ↩
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Congrégation pour la doctrine de la foi, Déclaration sur l’unicité et l’universalité salvifique de Jésus-Christ et de l’Église, Dominus Iesus (2000), no11. ↩
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IIe Concile œcuménique du Vatican, Décret sur l’œcuménisme, Unitatis redintegratio, no3. « una et unica Dei Ecclesia » ↩
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Congrégation pour la doctrine de la foi, Déclaration sur l’unicité et l’universalité salvifique de Jésus-Christ et de l’Église, Dominus Iesus, n° 18. ↩
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IIe Concile œcuménique du Vatican, Constitution sur la sainte liturgie, Sacrosanctum concilium (1963), n° 5. « Car c’est du côté du Christ endormi sur la croix qu’est né ‘‘l’admirable sacrement de l’Église tout entière’’. » ; « Nam de latere Christi in cruce dormientis ortum est ‘‘totius Ecclesiae mirabile sacramentum’’. » Cette dernière expression est tirée de l’oraison suivant la 2e leçon du Samedi saint, dans le missel romain, avant la réforme de la Semaine sainte. ↩
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Après avoir envisagé la fondation de l’Église, il convient de s’interroger sur son état final dans la gloire. C’est ce que nous ferons dans un prochain article où nous envisagerons la question de savoir ce que devient, dans la patrie, le mode sacramentel. ↩
La raison d’être de tout sacrement est de nous communiquer la grâce qui vient du Christ, d’appliquer en nous, qui ne vivons plus à l’époque du Christ, la vertu de salut de l’œuvre qu’il a achevée sur la Croix [1]. Or puisque tout sacrement est un signe, cela signifie que Dieu a voulu, en même temps qu’il nous conférerait la grâce, nous faire connaître par des signes en quoi elle consiste et de quelle source elle jaillit. De sorte que par les sacrements, 1) nous sommes rendus participants, par la foi, de l’œuvre même de notre salut, et 2) nous sommes introduits dans une relation plus intime avec Dieu, consistant dans un culte véritable et dans l’union avec Lui par la charité[2].
Or l’eucharistie réalise de manière parfaite cette raison d’être des sacrements. En premier lieu parce qu’en présentant au Père l’offrande que le Christ fit de lui-même dans sa Passion, l’Église offre à Dieu le seul vrai et définitif sacrifice[3]. En second lieu parce que l’eucharistie contient substantiellement le Christ lui-même, là où les autres sacrements ne contiennent que la puissance de salut dérivant du Christ. L’eucharistie ne donne pas seulement la grâce, elle unit à l’auteur même de la grâce[4]. Enfin, en troisième lieu, dans l’eucharistie le Christ se donne à nous en nourriture spirituelle, c’est-à-dire pour une assimilation achevant la vie spirituelle dans l’union au Christ[5].
Lorsqu’il traite de l’eucharistie sous ce dernier aspect, celui de la réception de l’eucharistie, saint Thomas distingue entre l’effet du sacrement et son usage, c’est-à-dire entre la communion au Christ (Somme de théologie, IIIa, q. 79) et la manducation qui est l’acte sensible par lequel s’opère cette communion (IIIa, q. 80–81).
1. La communion au Christ dans la charité (IIIa, q. 79)
Dans ce qui suit, on évoquera la réception du sacrement par les fidèles. Mais il ne faut pas oublier que l’eucharistie produit des effets universels. Certes, la célébration de la Messe trouve sa finalité la plus visible dans la communion des fidèles, mais on ne doit pas oublier ses deux autres finalités. D’une part, en tant qu’elle représente la Passion du Christ, dont la vertu de salut s’étend à toute l’humanité, la Messe est le sacrifice offert pour le salut du monde. D’autre part, en tant qu’elle unit au Christ, la communion eucharistique unit aussi à son Corps mystique, l’Église. A la différence des autres sacrements, le sacrement de l’autel ne profite par conséquent pas seulement à ceux qui le reçoivent, mais aussi 1) à tous ceux qui sont unis de quelque manière à la Passion du Christ par la foi et la charité (en raison du sacrifice de la Messe) ainsi que 2) à tous ceux qui sont membres de son Corps mystique (en raison de la communion au sacrement du corps et du sang du Christ).
Cela posé, lorsque le fidèle reçoit le sacrement de l’eucharistie en communion, c’est la finalité propre du sacrement qui s’achève : les sacrements sont faits pour trouver leur terme dans des hommes. De ce point de vue, l’eucharistie ne produit son fruit que chez celui qui la reçoit[6]. Or ce fruit est double : l’union à Dieu et la rémission des péchés.
L’union à Dieu
Par la communion eucharistique, le fidèle assimile la chair vivifiante du Christ offerte lors de la Passion (« Ma chair, pour la vie du monde » Jn 6,52). Avec cette précision que cette assimilation se réalise sous le mode sacramentel de la nourriture et de la boisson, en mangeant et en buvant. La charité dont le Seigneur nous a aimés en mourant sur la Croix se répand alors dans le fidèle et le stimule à vivre de cette charité, à agir par elle. Cette présence active de la charité qui submerge le cœur de l’homme produit en lui une « délectation », un « enivrement » spirituel[7] qui sont un avant-goût de la gloire future. En effet, si la participation à la charité du Christ revêt ici-bas un caractère encore imparfait du fait de sa modalité sacramentelle, il n’empêche qu’elle nous introduit dans la véritable amitié avec Dieu et la véritable communion avec tout le Corps mystique du Christ[8]. Sous le voile de la foi, l’eucharistie ne nous procure pas une autre réalité que celle qui sera donnée dans la gloire : « Si quelqu’un mange, il vivra éternellement » (Jn 6,52). C’est ce caractère ambivalent de sacrement — propre au régime de la foi, valable sur cette terre — mais de sacrement de l’union véritable avec Dieu, qui justifie les appellations de « viatique » et de « pain des anges »[9].
La rémission des péchés
La réalité qui nous est donnée dans l’eucharistie (la charité, et la communion au Corps mystique) est indissociable de cet autre effet qu’est la rémission des péchés. De cela témoigne le trait le plus remarquable de ce sacrement : il est constitué de deux espèces séparées, le corps sous l’apparence du pain, et le sang sous l’apparence du vin. Par cette séparation constitutive du sacrement, est « représenté » ce moment où, sur la Croix, le sang fut répandu « en rémission des péchés », scellant ainsi l’Alliance nouvelle et éternelle[10]. En lui-même, et par la vertu de la Passion du Christ, le sacrement de l’eucharistie peut donc remettre n’importe quel péché.
Cependant ce n’est pas immédiatement pour cette fin que le Christ a institué l’eucharistie. Le pardon des péchés est plutôt l’effet propre 1) du baptême, qui fait naître à l’existence spirituelle, et 2) de la pénitence, qui la rétablit. Car du point de vue du sujet qui communie, le péché est plutôt un obstacle à l’union à Dieu : on ne peut se nourrir — corporellement ou spirituellement — que si l’on est vivant. De sorte que celui qui a conscience de sa mort spirituelle — en ayant commis un péché mortel — augmente plutôt son péché en communiant malgré tout : « Celui qui mange et boit indignement, mange et boit sa propre condamnation » (1Co 11,29). Au contraire, le pécheur qui, conscient de sa mort spirituelle, respecte le sacrement en s’en abstenant tout en ayant un ardent désir de le recevoir, pourra être remis de son péché, aussi grave soit-il[11].
Hors le cas du péché mortel, tout fidèle qui s’avance vers l’autel reçoit, en raison de son union à Dieu dans la charité, la rémission de ses péchés véniels et même, lorsque la ferveur est réelle, il satisfait pour la peine de son péché[12]. Tout péché en effet comporte deux aspects, la faute et la peine : le péché est une faute, une souillure de l’âme, pour s’être détourné du vrai bien et avoir fait le mal, et cette faute jette celui qui la commet dans l’asservissement à ses désirs limités et charnels — c’est la peine.
Saint Thomas compare les fautes vénielles dans l’ordre spirituel à cette déperdition d’énergie qui affecte notre corps lorsqu’il se dépense : de même que la nourriture matérielle refait nos forces, de même la communion eucharistique renouvelle la puissance active de la charité en nous et efface de ce fait les fautes.
Mais la charité peut aussi couvrir la peine parce qu’elle provoque en nous un choc spirituel qui nous détache de l’enfermement en nous-même provoqué par le péché, et nous pousse à offrir à Dieu ce que nous lui avions refusé en nous détournant de lui — ce qui est proprement satisfaire.
Il faut enfin noter que la communion eucharistique, en renouvelant la charité en nous, nous fortifie et nous protège contre les tentations de commettre de nouveaux péchés. La réception fréquente de l’eucharistie nous fait ainsi grandir spirituellement en affaiblissant en nous le foyer du péché[13].
2. L’usage du sacrement (IIIa, q. 80–81)
L’eucharistie se distingue des autres sacrements en ce qu’elle s’accomplit dans une matière, avant d’être reçue par les fidèles. Le baptême se réalise sur un cathécumène, l’eucharistie se réalise sur du pain et du vin. Un sacrement (du moins les sacrements de la Nouvelle Alliance, ceux institués par le Christ) consiste en effet dans une réalité invisible contenue dans un signe visible de cette réalité. Dans les autres sacrements, cette réalité est la puissance vivificatrice du Christ, tandis que dans l’eucharistie cette réalité est le Christ lui-même. C’est pourquoi on baptise un catéchumène pour qu’il reçoive la vertu du baptême, tandis qu’on consacre du pain et du vin pour qu’ils deviennent le corps et le sang du Christ.
Pour autant, les espèces choisies par le Christ en instituant l’eucharistie indiquent bien quelle est la suite naturelle du sacrement : le pain et le vin sont des nourritures destinées à la consommation par l’homme. La communion eucharistique est donc bien elle aussi un acte de nature sacramentelle : ce que l’on consomme sensiblement (la manducation, le fait de boire) est le signe qui nous conduit, par la foi, à communier invisiblement. La manducation sacramentelle produit la manducation spirituelle. Plus exactement, la manducation sacramentelle devrait produire la manducation spirituelle, car tout dépend de la manière dont on reçoit le sacrement. Si un obstacle vient empêcher la réception de l’effet du sacrement, alors la manducation sacramentelle ne produit pas la manducation spirituelle[14].
Péché et communion eucharistique
Ainsi, 1) celui qui ne confesse pas la foi de l’Église, 2) celui qui est séparé du Christ et de son Corps mystique, ou 3) celui qui est spirituellement mort par son péché, s’il s’approche de l’autel, recevra bien le corps et le sang du Christ, il mangera bien sacramentellement, mais il ne mangera pas spirituellement : sa communion sera alors mensongère parce qu’on ne reçoit en vérité le sacrement que si l’on vit déjà de ce qu’il signifie, à savoir la grâce de l’union à Dieu dans son Église. Sans la foi et la charité, c’est en vain, voire à son détriment car on ment et l’on se ment, que l’on reçoit la communion.
À nouveau, il convient de répéter avec saint Thomas que l’eucharistie n’est pas un sacrement qui établit dans la vie spirituelle ou qui rétablit cette dernière après le péché — comme le baptême et la pénitence — mais un sacrement de l’amitié spirituelle avec le Christ qui achève la vie spirituelle, le sacrement que le Christ donna à des « amis » (Jn 15,15) à la veille de sa Passion. S’approcher de l’autel ne saurait donc être un acte automatique, reposant sur le seul désir personnel ou sur l’habitude sociale : « Que chacun s’éprouve soi-même » (1Co 11,28).
C’est pourquoi il est plus profitable de s’abstenir d’aller communier lorsque, tout en désirant être uni au Christ, on sait que la communion sacramentelle ne produirait aucune communion spirituelle. Ce respect à l’égard du sacrement par amour du Christ peut même conduire à recevoir spirituellement ce que l’on ne peut recevoir sacramentellement[15]. Juger de l’opportunité de communier sacramentellement repose donc d’abord sur le fidèle. Cela dit, le prêtre, ministre de l’eucharistie, est aussi responsable de la dispensation des sacrements parce qu’il a reçu la charge de paître le troupeau du Seigneur. Il peut donc avoir son mot à dire. D’une part, il lui faut éclairer le discernement des fidèles, soit en répondant à leurs demandes hors de la Messe, soit par un avis général durant la Messe lorsqu’il l’estime nécessaire. D’autre part, le ministre doit refuser la communion aux fidèles qui sont des « pécheurs publics », car il serait scandaleux de donner la communion à celui dont on sait qu’il ne devrait pas s’approcher de l’autel pour communier. En dehors de ce cas, le prêtre ne peut refuser à un fidèle la communion[16].
Les conditions pour communier
Communier ne saurait être un acte banal. La production de l’effet proprement spirituel attaché à la réception du corps et du sang du Christ repose sur une disposition intérieure du fidèle à s’unir au Christ et à son corps mystique. C’est à cette fin que l’Église – et cela est de sa responsabilité car la dispensation des sacrements lui a été confiée par le Seigneur – fixe un certain nombre de règles prudentielles. Elles touchent principalement à trois domaines : la capacité, la préparation et la réception du sacrement.
En premier lieu, pour recevoir le sacrement de l’autel, il est nécessaire de pouvoir y discerner le corps et le sang du Seigneur, ce qui est la condition pour avoir une « dévotion » au sacrement, c’est-à-dire l’acte intérieur par lequel on s’offre à Dieu. De cette dévotion sont incapables ceux qui n’ont jamais eu la raison ou ceux qui ne l’ont pas encore suffisamment, comme les petits enfants[17].
En second lieu, on ne peut recevoir l’eucharistie comme n’importe quelle nourriture car elle est le « pain venu du Ciel » (Jn 6,32–33). Il est donc nécessaire de se disposer à la communion en se détournant des réalités terrestres et de ce qui nous attache à ces réalités. Pratiquement, il s’agit de l’abstinence et de la pureté sexuelle[18], et du jeûne de nourriture[19].
Enfin, en troisième lieu, il est recommandé de recevoir l’eucharistie aussi souvent que l’on est prêt, au mieux chaque jour (« Donne-nous notre pain quotidien »)[20]. Il faut préciser que le discernement à opérer avant chaque communion consiste dans un jugement objectif. Se reconnaître humblement pécheur et indigne de communier est de la lucidité, et l’on a alors raison de s’abstenir de communier si le péché s’oppose à la communion spirituelle. En revanche, en l’absence d’un tel empêchement, s’abstenir de communier tant qu’on ne s’en jugera pas digne n’est pas de l’humilité mais de l’orgueil car aucun chrétien n’est digne de manger le corps du Christ[21]. Ce sacrement est pour les « amis » du Christ, mais ces amis ne le sont pas devenus par leurs forces, ils le sont devenus par l’appel de Dieu et sa condescendance pour les hommes.
De cette catégorie des règles instituées par l’Église pour la dispensation de l’eucharistie, relève aussi la question de la communion sous les deux espèces. Une distinction doit être faite entre le célébrant et les fidèles. Parce qu’il est de l’essence même du sacrement de l’eucharistie, qui est la représentation de la Passion du Seigneur, de consister dans la consécration du pain et du vin, celui qui consacre et accomplit le sacrement doit communier sous les deux espèces. Si un prêtre ne communiait pas au corps et au sang qu’il vient de consacrer, le sacrifice ne serait pas complet, car le sacrifice eucharistique s’achève par la communion à tout le sacrement. Cela, l’Église ne peut le changer. La situation des fidèles n’est pas identique parce qu’ils n’ont pas la charge de réaliser le sacrement : pour eux, la finalité de la communion est l’union au Christ dans la charité. Or le Christ est tout entier présent sous les deux espèces. Dès lors, s’il convient de favoriser la communion sous les deux espèces parce que c’est leur conjonction qui réalise la perfection du signe sacramentel, l’Église peut, à titre prudentiel, pour des raisons de respect et de précaution, limiter à la seule espèce du pain la dispensation ordinaire de l’eucharistie[22].
Cf. Sum. theol., IIIa, q. 61, a. 4 ; q. 62, a. 1 ; a. 5. ↩
Cf. IIIa, q. 62, a. 5 ; Commentaire sur Jean 15,9-17 et 6,57. ↩
Cf. IIIa, q. 83, a. 1. ↩
IIIa, q. 65, a. 3. ↩
Cf. IIIa, q. 73, a. 1 ; a. 3 ; q. 79, a. 1. ↩
IIIa, q. 79, a. 7. ↩
IIIa, q. 79, a. 1. ↩
fr–8 ↩
Cf. IIIa, q. 79, a. 2 ; q. 80, a. 2. ↩
Cf. IIIa, q. 76, a. 2, ad 1 et ad 2. ↩
IIIa, q. 79, a. 3. ↩
IIIa, q. 79, a. 4–5. ↩
IIIa, q. 79, a. 6 ; cf. IIIa, q. 80, a. 10. ↩
IIIa, q. 80, a. 1. ↩
IIIa, q. 80, a. 3–5. ↩
IIIa, q. 80, a. 6. ↩
IIIa, q. 80, a. 9. ↩
IIIa, q. 80, a. 7. ↩
IIIa, q. 80, a. 8. ↩
IIIa, q. 80, a. 10. ↩
IIIa, q. 80, a. 11. ↩
IIIa, q. 80, a. 12. ↩
Pour comprendre l’attitude des chrétiens dans l’Antiquité à l’égard de l’avortement, il faut d’abord situer la conception que les hommes d’avant l’Évangile se sont faites de l’enfant à naître. Et distinguer autant que possible les civilisations et les périodes[1] ; les mentalités, les comportements et la législation. Il faudrait également, je m’efforcerai de le signaler, discerner les motivations.
On notera d’emblée que trois aspects sont liés, mais à distinguer : l’avortement, l’exposition des enfants et l’infanticide qui en est souvent la conséquence.
Grèce :
* Pratiques
* Enseignements des philosophes
* Législation
Rome :
* Le droit familial sous la République
* La législation sous le Haut-empire
Christianisme :
* L’héritage juif et le Talmud
* L’Écriture
* Les premiers Pères
* La première législation impériale
Grèce
En Grèce[2], le sort des fœtus était sans doute bien peu assuré, à en juger par le peu d’attentions qui entouraient la naissance d’un enfant présentant quelque infirmité, ou tout simplement la venue au monde d’une fille.
La pratique de l’avortement (ἄμβλωσις) devait être fréquente (encore que nous n’ayons pas d’informations directes sur le sujet), non encadrée par les cités. Le père, ayant droit de vie et de mort sur l’enfant jusqu’au cinquième jour après la naissance (jour marqué par la cérémonie des Amphidromia) pouvait faire avorter sa femme[3]; l’exposition des nouveau- nés, en revanche, était tout à fait banalisée, comme le montre le thème de la « reconnaissance » dans de nombreuses œuvres littéraires. Il s’agit de la reconnaissance comme membre de la famille par un frère ou une sœur ou des parents, après un certain nombre d’années. Le sort des enfants prématurés ou atteints d’une malformation était particulièrement précaire. La pauvreté des parents conduisait souvent ceux-ci à abandonner leurs enfants.
Cependant, au milieu de cet environnement sombre, nous disposons au Ve siècle, d’un document « réconfortant » en quelque sorte, le fameux serment d’Hippocrate de Cos (né vers 460). Il s’agit peut-être du plus ancien texte du corpus hippocratique, mais nous ne savons si nous est parvenu le texte original et s’il s’imposait à tous les médecins ou seulement à la confrérie hippocratique. L’existence de remaniements ultérieurs nous échappe. Selon certains, le serment serait issu de l’école pythagoricienne[4].
Après l’invocation d’Apollon, d’Asclépios (Esculape), d’Hygie et de Panacée, on y lit :
« Je ne remettrai à personne du poison si on m’en demande, ni ne prendrai l’initiative d’une telle suggestion ; semblablement, je ne remettrai à aucune femme un pessaire abortif ».
Cet article du serment a étonné, vu que les philosophes Platon et Aristote[5] ne voient rien à redire à l’avortement, voire le préconisent pour limiter la démographie. Les textes ne sont, à mon avis, pas très nombreux et les recommandations relativement modérées. On s’appuie surtout sur la pratique fréquente de l’exposition.
Jacques Jouanna, le savant éditeur des œuvres d’Hippocrate dans la collection Budé, met en garde le lecteur sur la reprise actuelle de ce serment et a eu la bonne idée de présenter en vis-à-vis la version primitive et son adaptation moderne, dépourvue naturellement de l’article qui nous intéresse particulièrement[6].
Il y a des « exceptions » à ce qui est l’opinion courante aujourd’hui, presque officielle. Certaines cités grecques condamnaient l’avortement. Malgré les apparences qui lui sont favorables, certains hésitent à propos d’Athènes en se fondant sur un texte du pseudo-Lysias, Κατ’ ᾿Αντιγένους ἀμβλώσεως[7] (Contre l’avortement d’Antigénès). Mais d’après un mémoire inédit (1814) de l’académicien Jean-François Boissonade[8] (1774–1857), un texte du médecin Galien de Pergame (129–199), cité dans le Florilège[9] de Jean Stobée (Ve s.) est décisif :
« Lycurgue et Solon, disciples des dieux, ont dans leurs lois prononcé nettement des peines contre l’auteur de l’avortement. »
Chez les Grecs d’Asie, du moins à Milet (malgré ses mœurs corrompues d’après certains), l’avortement était un crime, selon ce que rapporte Cicéron en 66 dans son plaidoyer Pro Cluentio Habito :
« Je me souviens que, pendant mon séjour en Asie[10], une femme de Milet, pour avoir reçu des héritiers subrogés[11] une somme d’argent et s’être fait avorter en conséquence par des produits médicaux (medicamentis), fut condamnée de la peine capitale : rien n’était plus juste, puisqu’elle avait anéanti les espoirs d’un père, le souvenir d’un nom, le soutien d’une race, l’héritier d’une famille, un citoyen destiné à la république[12] ».
Retenons les termes de ces griefs et passons maintenant au monde romain. Boissonade fait remarquer à juste titre que le silence d’Aristote est significatif. Lui qui connaissait si bien les institutions des cités – en tout cas, qui s’était documenté à fond sur celles-ci, – n’aurait pas manqué de citer à l’appui de ses conseils sur l’avortement, les nations où il était considéré comme licite.
Rome
Il faut tout d’abord rappeler qu’à Rome le droit de vie et de mort du père de famille, le paterfamilias, sur ses enfants[13]. Ce droit n’est pas aussi arbitraire qu’on l’a prétendu. À la fin de la République, il est rarement appliqué (on connaît à une date plus ancienne l’exécution prononcée par Manlius Torquatus sur son fils qui avait contrevenu aux ordres de son père, général en chef ; c’est un acte de justice envers un enfant coupable). Mais pour prendre une telle décision, celui qui possède la patria potestas, une autorité quasi sans limite, doit avoir fait une enquête et obtenu l’avis des proches parents par les hommes (les agnats) : c’est le concilium propinquorum. Naturellement, il est en droit d’exposer les nouveau-nés. Jusqu’au IIe s. av. J.-C., c’est le pater qui décide arbitrairement de l’entrée de l’enfant dans la famille. On déposait le nouveau-né aux pieds du pater. S’il prenait l’enfant dans ses bras (tollere puerum), l’enfant passait sous la patria potestas et faisait de lui un membre de la famille[14].
La loi des XII Tables (451 av. J.-C.) établie par les décemvirs accorda au père de faire disparaître un enfant monstrueux. L’article de loi n’est pas conservé, mais Cicéron y fait référence précisément (De legibus, III, 8). On suppose que, sauf ce cas particulier, fut maintenue l’interdiction de faire disparaître un enfant en bas-âge.
Cela s’harmoniserait avec ce que Plutarque nous apprend dans la vie de Romulus sur la punition des femmes coupables d’avoir empoisonné un enfant, mais le texte est trop vague et l’objet de discussions[15].
Sous la République, l’avortement est au pire une action immorale : si le père de l’enfant l’avait autorisé, il appartenait à la juridiction censoriale, chargée de la surveillance des mœurs, d’apprécier les motifs de l’avortement et de le punir le cas échéant. Il en allait autrement si l’avortement avait eu lieu à l’insu du mari, auquel cas ce dernier agissait en fonction de son autorité et, au besoin, en tant que pater familias, en recourant au « tribunal domestique » (concilium propinquorum cité plus haut). Quant à l’avortement accompli par une femme non mariée, l’État ne s’en occupe pas.
Sous le Haut-Empire, s’expriment quelques désapprobations. Le poète Ovide († vers 18 ap. J.-C.) se fait l’écho des gens assistant aux obsèques d’une femme ayant péri en voulant « tuer ses enfants en son sein » et s’écriant : « Merito ! (elle l’a mérité)[16] ». De son exil en Corse, le philosophe Sénèque adresse vers 42/43 à sa mère Helvia éprouvée, une consolation dans laquelle il énumère les qualités dont elle a fait preuve :
« Tu n’as pas dissimulé tes grossesses comme un fardeau choquant, ni cherché à éliminer le fruit espéré de tes entrailles[17]. »
Sous l’empereur Domitien, Juvénal († après 127), fustigeait les moralisateurs hypocrites et surtout n’avait pas de mots assez durs pour les femmes mariées de la haute société :
« Sur un lit doré on ne voit guère de femmes en couches, tant sont efficaces les pratiques et les drogues (artes … medicamina) qui rendent les femmes stériles et tuent à prix fait (conducunt) les enfants dans le sein de leur mère[18]. »
Dans le portrait qu’il trace de cet empereur, Suétone laisse percer son horreur vis-à-vis d’un homme qui éprouvait une passion si vive pour Julie, la fille de son frère, « qu’il causa même sa mort en l’obligeant à se faire avorter, après l’avoir rendue grosse[19]. »
C’est à peu près à la même époque que se développe le travail des jurisconsultes, dont une part importante fut conservée plus tard dans les codes de la période chrétienne et l’immense compilation appelée Digeste, ordonnée par l’empereur Justinien. Nous y reviendrons.
Une étape importante est accomplie sous la dynastie des Sévères (193–235). Le Digeste a recueilli un rapport du juriste Aelius Marcianus (début du IIIe siècle) :
« Le divin Sévère [193–211] et Antonin [Caracalla, 198–217] ont répondu que celle qui, après s’en être donné la peine, a expulsé son enfant, doit être envoyée en exil temporaire : il peut sembler indigne en effet qu’elle ait soustrait impunément des enfants à son mari[20]. »
L’avortement étant souvent provoqué par des produits assimilables à du poison, celui qui a procuré celui-ci à une femme peut être poursuivi pour empoisonnement (veneficium) et est passible de déportation, voire condamné à mort si elle en est morte[21].
À la même époque, se précise la personnalité juridique de l’enfant à naître. Celle-ci est exprimée dans une terminologie plus récente par persona, dans une langue plus ancienne et technique par caput, laquelle consiste dans « l’aptitude à être le sujet de droits et devoirs légaux, à jouer un rôle dans la vie juridique[22]. » Cette aptitude s’étend de la naissance à la mort, et s’étend même au-delà de ces deux extrêmes. Avant la naissance (seule limite qui concerne notre sujet) :
« En vertu de la règle que l’enfant conçu est réputé déjà né dans la mesure où son intérêt le demande[23]. »
Le latin le dit en ces termes selon le juriste Paulus (v. 200), communément nommé Paul, le conseiller de Papinien exécuté sous Caracalla (212) : « Nasciturus pro nato habetur ; infans conceptus pro nato habetur quoties de commodis eius agitur[24] ». Cependant ce principe se trouve restreint aux trois conditions nécessaires pour avoir la personnalité complète une fois adulte : être libre et non esclave ; être citoyen et non pas Latin ou pérégrin ; être chef de famille.
En somme, l’avortement n’est pas un crime, car des philosophes stoïciens[25] et des jurisconsultes voient dans le fœtus une part des entrailles de la mère, « pars viscerum matris », point de vue du juriste Ulpien († 228) : avant que le part ne soit mis au jour, il est une portion de la femme ou des viscères[26]. Papinien dit encore plus clairement : « Du part non encore mis au jour, on ne dit pas à juste titre qu’il était un être humain (homo)[27]. »
Autre point de vue du juriste Ulpius Marcellus (fin du IIe s.) dans le chapitre du Digeste consacré aux inhumations :
« Une loi royale [non conservée] dit qu’une femme qui est morte enceinte (praegnans) n’est pas inhumée avant que son part en soit détaché : celui qui agirait en sens contraire semble avoir fait périr un espoir d’être vivant avec la femme gravide[28]. »
La législation romaine impériale ne considère donc pas à cette époque le fœtus tout à fait comme une chose – même si on est encore loin de le considérer comme une personne, au sens que les modernes donnent à ce mot.
Une affirmation du philosophe stoïcien C. Musonius Rufus[29] (sous Néron), maître d’Épictète, dont les écrits sont conservés dans une compilation beaucoup plus tardive (Florilège de Stobée, Ve s. ap. J.-C.) nous servira de conclusion partielle :
« Les législateurs ont défendu aux femmes de se faire avorter et ont infligé des peines à celles qui n’obéiraient pas ; ils leur ont aussi défendu d’empêcher la conception et de se servir de drogues abortives. »
Chez les Juifs
Chez les Juifs[30], la fécondité – à l’inverse de ce que nous entrevoyons en Grèce et à Rome – étant tenue en haute estime, il semble bien que l’avortement volontaire ne fut pas pratiqué. L’avortement accidentel (Exode 21, 22) était sanctionné :
« Lorsque des hommes, au cours d’une querelle, viennent à heurter une femme enceinte et qu’elle accouche, sans autre accident, ils seront passibles d’une indemnité imposée par le mari de la femme et qu’ils paieront par-devant les juges. »
Flavius Josèphe (37–100) (Antiquités juives, IV, 278) revient sur ce cas :
« Si quelqu’un donne un coup de pied à une femme enceinte, et que la femme avorte, il sera condamné par les juges à une amende, pour avoir en détruisant le fruit de ses entrailles, diminué la population, et il paiera aussi un dédommagement au mari de cette femme. Si elle meurt du coup, lui aussi mourra, car la loi estime juste de réclamer vie pour vie[31]. »
La riche annotation d’É. Nodet à ce passage de Josèphe fait les rapprochements utiles avec l’interprétation par Philon d’Alexandrie du passage de l’Exode, ainsi qu’avec les traités rabbiniques. Selon la plupart de ceux-ci, le fœtus est vu comme étant une partie intégrante de la femme, comme le droit romain.
Dans le Contre Apion, grammairien d’Alexandrie hostile aux Juifs, Josèphe va au-delà de la loi. Il écrit :
« La loi a ordonné de nourrir tous ses enfants et a défendu aux femmes de se faire avorter ou de détruire par un autre moyen sa semence vitale ; car ce serait un infanticide de supprimer une âme (φυχήν) et d’amoindrir la race[32]. »
L’éditeur, Théodore Reinach, note que « la loi ne renferme aucune disposition contre l’avortement. Il est absurde [sic] d’interpréter comme telle la bénédiction, Exode xxiii, 26. » Il est permis de ne pas partager l’avis de Th. Reinach, car voici ce verset :
« Il n’y aura dans votre pays ni femme qui avorte, ni femme stérile. »
Le tort porté à la race rejoint les préoccupations des autorités romaines. En revanche, la suppression d’une âme est une accusation qu’on ne rencontrait pas jusqu’alors. En ce domaine, comme en celui de l’exposition des enfants, les Juifs se distinguaient absolument des autres peuples, comme l’a noté l’historien Tacite († v. 120) dans la notice ‒ somme toute très sévère et imprégnée de l’antijudaïsme antique – qu’il consacre aux Juifs dans les Histoires (v.103) :
« Cependant l’accroissement de la population est un de leurs soucis ; en effet c’est un sacrilège (nefas) de tuer tout enfant qui vient en surnombre[33] ».
Cette section consacrée au judaïsme nous a, grâce au Pentateuque, préparé la voie au moment d’ aborder le message évangélique. Nous ne trouvons pas de précepte explicite, signe peut-être (probable ?) que ceux et celles qui rencontraient la personne du Christ ne se livraient pas à de telles pratiques, ni n’étaient même pas tentés de les adopter. Les fidèles issus du judaïsme avaient été formés dans l’estime, le devoir même de la procréation. Et les chrétiens venant du paganisme n’étaient pas sensibles à l’argument démographique – limiter la population dans des limites compatibles avec les ressources locales. Quant aux fidèles nécessiteux, ils pouvaient vraiment compter sur la solidarité de leurs frères et le partage. Les « deux tableaux idylliques », selon le titre que donne le chanoine Émile Osty à cette évocation des premières communautés chrétiennes (Actes 2, 42–47 et 4,32–36), n’étaient certainement pas une invention de saint Luc.
D’autres textes de l’Écriture pouvaient exhorter les mères à garder leur enfant. Je pense à l’exclamation de Dieu dans Isaïe :
« Une femme oublie-t-elle l’enfant qu’elle nourrit ? [cesse-t-elle] d’avoir pitié du fils de ses entrailles ? Même si celles-là oubliaient, moi, je ne t’oublierai pas ! » (49, 15)
Il n’y a pas seulement des paroles de l’Écriture, il est certaines situations. Je pense à la Visitation qui affirme la réaction de Jean Baptiste, conçu il y a un peu plus de six mois, à l’arrivée de Marie, enceinte de Jésus, depuis quelques jours, quelques semaines tout au plus. Le peintre autrichien Marx Reichlich (vers 1460–1520) a bien exprimé ce mystère dans le tableau intitulé La rencontre entre Marie et Elisabeth, conservé à la Alte Pinakothek de Munich : il a représenté sur le ventre de leur mère les deux cousins en petit, qui se saluent.
Chrétiens de la période patristique
Nous pouvons maintenant relever quelques-unes des affirmations des premières générations chrétiennes[34] : les Pères de l’Église d’une part, la législation impériale d’autre part, après la conversion de Constantin au christianisme (313).
Le respect de la vie naissante fait partie des affirmations sur lesquelles les premières générations de chrétiens ne se montrent nullement hésitantes ou embarrassées. D’abord la Didachè (fin du Ier siècle), antérieure sans doute aux derniers écrits du Nouveau Testament :
« Tu ne feras pas périr d’enfants par avortement (ἐν φθορᾷ), ni n’en tueras après la naissance (γεννηθέν) » (2, 2 ; traduction personnelle).
La Lettre de Barnabé (19, 5), vers 90–120, est plus explicite encore :
« Tu ne feras pas mourir l’enfant dans le sein de sa mère, tu ne le feras pas mourir à sa naissance. »
L’écrit À Diognète (v. 180–210) se contente d’affirmer, comme une constatation, ou même une évidence, que les chrétiens ne se distinguent ni par le pays, ni par le langage, ni par les vêtements, l’habitat, un parler extraordinaire ou un genre de vie singulier. L’auteur poursuit :
« Ils se marient comme tout le monde, ils ont des enfants, mais ils n’abandonnent pas leurs nouveau-nés » (5, 6).
Les témoignages concordants se multiplient ensuite sur l’inexistence parmi les chrétiens d’enfants « exposés » (vers 155, Justin, Apologie, 27, 1 et 29, 1) ou promis à mourir faute de trouver quelqu’un pour les recueillir. Athénagore d’Athènes s’exclame dans sa Supplique au sujet des chrétiens (v. 176–177) :
« Nous qui disons que celles qui emploient des moyens pour faire avorter commettent des meurtres et devront rendre compte de l’avortement à Dieu, comment pourrions-nous commettre des meurtres[35] ? »
À la fin du siècle, Tertullien dans son Apologie (197) pousse plus loin la réflexion :
« Quant à nous, l’homicide nous étant défendu une fois pour toutes, il ne nous est pas même permis de faire périr l’enfant conçu dans le sein de la mère, alors que l’être humain continue à être formé par le sang (sanguis in hominem delibatur). C’est un homicide anticipé que d’empêcher de naître et peu importe qu’on arrache l’âme déjà née ou qu’on la détruise au moment où elle naît. C’est un homme déjà, ce qui doit devenir un homme (homo est et qui est futurus) ; de même, tout fruit est déjà dans le germe[36] » (Apologie 9, 8).
Nous avons là, semble-t-il, la première affirmation du caractère sacré de la vie d’un être qui n’a pas encore atteint toutes ses virtualités humaines – ce que nie absolument la doxa répandue à présent dans les opinions et les gouvernements en Occident.
Nous pourrions poursuivre avec l’Octavius (entre 210 et 245) de Minucius Felix[37] (30, 2), le Pédagogue de Clément d’Alexandrie († vers 220 ?)[38] et les Institutions divines de Lactance († 325 ?)[39].
Avec ce dernier, nous arriverions au IVe siècle et, entre autres, aux condamnations énergiques de Basile de Césarée[40] († 378) et d’Ambroise de Milan[41] († 397).
La paix de l’Église, instaurée par l’empereur Constantin tout récemment converti (édit de Milan en février 313) a deux conséquences importantes du point de vue qui est le nôtre : d’une part, la tenue de conciles régionaux généraux ou œcuméniques ; d’autre part, l’adoption de lois civiles inspirées d’un esprit chrétien[42]. Parmi les tout premiers conciles[43], on relève celui d’Elvire (dans un quartier de Grenade, v. 300–303). Le canon 63 prive de communion jusqu’à la fin la femme adultère qui tue le fruit de son union[44].
L’assemblée d’Ancyre (en Galatie, 314) se montre plus indulgente pour les prostituées :
« Les femmes qui se prostituent et tuent leurs nouveau-nés ou qui cherchent à les détruire dans leur sein ; [elles] étaient excommuniées par l’ancienne ordonnance (ὅρος) jusqu’à la fin de leur vie ; nous avons adouci cette mesure et leur ordonnons de faire dix ans [de pénitence] selon les divers degrés[45] ».
La même indulgence, « en raison de l’amour de Dieu pour les hommes », se lit dans le canon 3 du concile de Césarée de Cappadoce, conservé seulement en arménien[46], et en syriaque par suite, selon Bernard Outtier, d’une évolution « à partir d’une législation rigoriste inspirée de la Syrie[47] ».
À ces trois conciles, on peut encore ajouter dans les premiers siècles, celui de Lérida (6 août 546[48] ; huit évêques présents). Le c. 2 frappe la femme coupable d’une pénitence de sept ans ; si un clerc a participé au forfait, il est privé de ses fonctions pour toujours. Le dernier concile – disciplinaire et œcuménique – que nous retiendrons pour la période patristique est celui de 691–692, dit In Trullo[49] (sous la coupole du palais impérial de Constantinople) ou Quinisexte, en son canon 91 :
« Les femmes qui procurent des remèdes abortifs et celles qui absorbent des poisons à faire tuer l’enfant, nous les soumettons à la peine canonique du meurtrier[50]. »
N’est pas précisé ici en quoi consiste ce châtiment. Basile de Césarée considérait l’avortement comme un double homicide, car « le plus souvent les femmes succombent à de tels actes[51] ».
La législation impériale en la matière n’est pas de nature à jeter un vif éclairage sur la question, longuement débattue, de l’influence du christianisme sur le contenu des lois. Dans le répertoire de Périclès-Pierre Joannou, La législation impériale, je n’ai pas relevé, pour la période de 311 à 476, de lois spécifiques pour le cas d’avortement. En revanche sous Constantin, dès le 13. V. 315 (Code théodosien, IX, 15, 1), une loi assimile l’exposition d’un nouveau-né à un infanticide et prévoit d’aider les parents nécessiteux, pour leur éviter de recourir à l’exposition ; le meurtre d’un enfant est qualifié de parricide (16. XI. 318 ; C. Theod. IX,15,1) et donc puni du châtiment célèbre depuis Solon, destiné à frapper les esprits ‒ qualification répétée le 7. II. 374 (C. Theod. IX, 14, 1) par une loi de Valentinien Ier.
Conclusions
De ce tableau, naturellement non exhaustif, j’ai écarté certains aspects : la durée « légale » de la grossesse, sept mois étant parfois jugé suffisant[52] ; la question du moment de l’animation de l’embryon et ses répercussions sur le degré de gravité de l’avortement ; la responsabilité de ceux qui concourent à l’acte ; le rang social de la parturiente[53], libre ou esclave. On peut toutefois en tirer certaines conclusions.
La pratique de l’avortement en général n’a pas été, dans l’Antiquité antérieure au christianisme, aussi répandue que l’affirme la « science » actuelle. Sous certains aspects, dans l’Antiquité, l’embryon est l’objet d’une considération dont certains services hospitaliers sont bien dépourvus. À notre époque, plusieurs sages-femmes ont témoigné, en modifiant leur identité pour ne pas s’exposer à des poursuites, avoir vu des embryons remuer dans une poubelle, car ils étaient viables. D’autre part, les raisons pour lesquelles l’avortement était alors défendu et abhorré sont récusées par tous ceux ‒ et surtout toutes celles ‒ qui le revendiquent comme un droit : dans l’Antiquité l’interruption de la descendance motive à juste titre la colère du mari (surtout si l’épouse agit en secret, à son insu) et justifie la préoccupation de l’État, soucieux de maintenir une démographie satisfaisante, sans parler des intérêts de la famille au sens le plus large ou du groupe social.
Un tournant s’est visiblement produit au tournant des IIe-IIIe siècles ; c’est le moment où l’argumentation chrétienne progresse : les Pères de l’Église, reprenant la défense de la vie exprimée dans le judaïsme, vont encore plus loin en qualifiant très explicitement l’avortement d’homicide et surtout en précisant que la vie de l’embryon est déjà une vie humaine, dotée d’une âme créée par Dieu. On ne saurait cependant conclure à cette époque à une influence de la pensée chrétienne sur la législation civile.
Le long article philosophique sur l’avortement, signé, semble-t-il, de Lynda Gaudemard et qui est proposé d’emblée par Google[54] quand on cherche à se documenter sur l’avortement, tiré (?) de l’Encyclopédie philosophique — du moins est-ce le titre du site — affirme que l’existence de l’embryon (et du fœtus) n’est pas une vie humaine et qu’on ne peut inférer une réalité d’une potentialité. Les conditions apportées, selon l’auteur, à la définition de la personne humaine ne sont pas du tout rassurantes pour les êtres atteints de handicaps. La menace de l’euthanasie est bien là.
J’ajoute que les tenants de ces thèses ne nous expliquent nullement à partir de combien de semaines l’embryon/fœtus, devenu viable et personne humaine « à part entière », doit être défendu contre toute atteinte à son intégrité (certains revendiquent, on le sait, le droit d’avorter jusqu’à la veille du terme de la grossesse).
Le christianisme apparaît donc tout à fait novateur, quoiqu’il n’ait pas toujours rappelé assez clairement les impératifs du message évangélique, ni ‒ à l’heure actuelle ‒ pris assez le soin de développer et d’exposer les arguments philosophiques, disons purement rationnels, qui peuvent appuyer la nature humaine de l’embryon.
À côté de ces arguments on peut rappeler avec saint Paul[55] l’exigence fondamentale du don, du partage de tout notre être (et la IVe prière eucharistique qui le cite) : « Que notre vie ne soit plus à nous-mêmes, mais [au Christ] qui est mort et ressuscité pour nous ! » Inadmissible alors, de « disposer de son corps » selon le slogan en vogue, et encore moins de l’enfant qui en est l’hôte. Point de vue d’un homme, me dira-t-on, j’en conviens, mais je n’entends pas ici occulter ou même négliger la grande souffrance des femmes, dont beaucoup subissent de la part de leur compagnon de fortes pressions pour interrompre leur grossesse.
Benoît Gain
Professeur émérite de l’université de Grenoble Alpes
-
Pour la Mésopotamie, voir les articles 209–213 dans La Loi de Hammourabi (vers 2000 av. J.-C.) par V. Scheil, Paris 1904, § 210, p. 43. ↩
- E. Caillemer, « Ambloseos graphè », DAGR I, 1873, p. 224–225. ↩
-
G. Glotz, Histoire grecque. II : La Grèce au Ve siècle, Paris 1931 (19862), p. 576–583 (intéressant développement sur la question féministe). ↩
-
Indications tirées de R. Joly, Hippocrate. Médecine grecque (coll. Idées), Gallimard 1964, p. 204–207. Pour de plus amples textes médicaux dans le monde gréco-romain, cf. Christiane Bernard, Édith Deleury, France Dion et Pierre Gaudette, « Le statut de l’embryon humain dans l’Antiquité gréco-romaine », Laval théologique et philosophique 45, 2 (juin 1989), p. 179-195. ↩
-
Les références données par R. Joly (op. cit. supra) sont fausses. Il s’agit de Platon, République, V, 460 ; éd. É. Chambry, CUF, p. 66–67 : recommandation à peine voilée de l’infanticide des enfants difformes, comme à Sparte, d’après Plutarque, Lycurgue, 16, 1. — Aristote, Politiques, VII, 16 ; éd. J. Tricot, Paris 1987, p. 542–543 (notes étendues sur la limitation de la population ; Aristote ne fait aucune allusion à l’infanticide, auquel il préfère l’avortement, à condition que « l’embryon soit dans cette période comprise entre la conception et l’apparition de la vie végétative (…), c’est-à-dire en fait jusqu’au 40e jour. » Voir aussi d’Aristote, l’Histoire des animaux, VII, 3 ; 583b 10–13 ; Y. Panidis, « L’avortement chez Aristote : un acte mè hosion », Revue de philosophie ancienne 33 (2015), p. 3–38. Sur le lien entre « Surpopulation et exposition des enfants chez Aristote », voir Ch. Titli, Camenulae 4 (2010) ; sur une constitution permettant selon l’auteur un « Contrôle quantitatif de la population », voir Y. Panidis, philosophia 45 (2015), p. 195–221. ↩
- Hippocrate. T. I, 2 : Le serment, Les serments chrétiens, La loi, texte établi et traduit par J. Jouanna (CUF), Paris 2018, p. 4, n. 3. Traduction en vis-à-vis du texte originel et de l’adaptation moderne, p. viii-ix. Noter que deux recensions de « serments chrétiens » ont été conservées, toutes les deux éditées dans le même volume, l’une en prose (IB), probablement originaire d’un hôpital de Constantinople peu avant 1453 ; l’autre en vers (II). Au début du volume, anciens testimonia du Serment, parmi lesquels plusieurs d’auteurs chrétiens, dont saint Jérôme (ep. 52). — Des chrétiens se sont interrogés par ailleurs sur le bien-fondé du serment (les Esséniens le proscrivaient). — Pour L. R. Angeletti, dans « Le concept de vie dans la Grèce ancienne et le serment d’Hippocrate », p. 156–178, le médecin hippocratique, par sa manière de penser et d’agir dépasse la mentalité de son époque. ↩
- Éd. Hoelscher, p. 134 ; éd. F. Didot, Orat. Att. II, 256. ↩
- Cité par E. Caillemer, « Amblôseôs graphè », DAGR I, 1 (1873), p. 224–225. ↩
-
74, 61 et 75, 15. ↩
- Séjour d’études, en 80–79, à Athènes puis dans la province d’Asie, sur lequel nous sommes renseignés par le Brutus, 314–316. ↩
- Héritiers qui héritent si l’héritier désigné en premier lieu vient à disparaître. ↩
-
Cet exemple est cité dans le Digeste : XLVIII, 19 (de pœnis), 39 sous l’autorité du juriste Tryphonius. ↩
-
G. Humbert, « Abigere partum », DAGR I, 1873, p. 7–8 ; « Abortio », DAGR I, 1873, p. 9. Voir aussi l’article « Expositio », DAGR II, 1 (1892), p. 930–939, presque totalement consacré à la Grèce (G. Glotz) et la dernière page (939) à Rome (G. Humbert). ↩
-
J. Ellul, Histoire des institutions : 1–2 : L’Antiquité, Paris 1970, p. 340. ↩
-
Romulus, 22. Voir Plutarque, Vies parallèles, éd. publiée sous la direction de F. Hartog (coll. In quarto), Paris 2001, p. 112. ↩
- Ovide, Amours, II, 14, 36–40. ↩
- Consolation à Helvia, 16. ↩
- Juvénal, II, 32 et VI, 595–598. ↩
-
Suétone, Domitien, 22. Caligula, 5, au contraire signale une recrudescence d’exposition d’enfants à la mort de Caligula. ↩
- Digeste, xlvii, 11, De extraordinariis criminibus, 4. ↩
-
A. Berger, Encyclopedic Dictionary of Roman Law (Transactions of American Philosophical Society, n. s. 43, 2), Philadelphia 1953, p. 760. ↩
-
P. F. Girard, Manuel élémentaire de droit romain, 2e éd. revue et augmentée, Paris 1898, p. 87. ↩
- Ibid. ↩
- Digeste, I, 5, 7 ; éd. Th. Mommsen, Beroloini 1889, p. 7. Principe issu de la Loi des XII Tables, selon le juriste Ulpien : Digeste xxxviii, 16, 3, 7. ↩
- D’après Plutarque, Œuvres morales, Traité 58 (Opinions des philosophes), V, 15. ↩
- Digeste, xxv, 4, De inspiciendo ventre custodiendoque partu, 1,1 (le part est une portion de la femme ou de ses viscères). ↩
-
Digeste, xxxv, 2, Ad legem Falcidiam, 9,1. ↩
-
Digeste, xi, 8 : De mortuo inferendo et sepulchro ædificando, 2. ↩
- Sur Musonius, voir C. J. De Vogel, Greek Philosophy. III. The Hellenistic-Roman Period, Leiden 19642, p. 299–302. ↩
-
Très brève vue d’ensemble dans le Dictionnaire encyclopédique du judaïsme publié sous la direction de G. Wigoder, Paris 1993, p. 116–117. ↩
- Antiquités juives, éd. É. Nodet, t. II, Paris 20042, p. 93. ↩
- 2, 202 ; éd. Th. Reinach, CUF, Paris 1930, p. 94. ↩
- Histoires, 5, 5 ; trad. H. Goelzer, CUF, 1921, p. 297. ↩
- Deux exposés généraux : B. Honings, « Avortement », DECA, I, 1990, p. 323–324 (utile bgr.) ; J. Gaudemet, L’Église dans l’empire romain (IVe-Ve siècle) (Histoire du Droit et des Institutions de l’Église en Occident, III), Paris 1958, p. 557–559. Une seconde édition (1990) augmentée notamment d’un index ne semble pas avoir été enrichie pour notre sujet ; B. Sesboüé, « Les chrétiens devant l’avortement d’après le témoignage des Pères de l’Église », Études (août-sept. 1973), p. 263–282. — Je ne suis pas descendu jusqu’au Code de Justinien (534). ↩
-
C. 35 ; trad. G. Bardy, SC 3, 1943, p. 166–167, avec de nombreuses références, qui malheureusement n’ont pas été reprises dans la refonte de l’œuvre par B. Pouderon, SC 379, 1992, p. 205. Mais voir du même auteur l’article : « Tu ne tueras pas [l’enfant dans le ventre] », Revue des sciences religieuses 81, 2 (2007), p. 229–248. ↩
- Éd. J. P. Waltzing, CUF, Paris 1929, p. 22. Voir aussi Adversus nationes, I, 15–16 (traduction de Honings, cité supra n. 37, p. 323). ↩
- Minucius Felix, Octavius, éd. J. Beaujeu, CUF, Paris 19742, p. 52. ↩
- III, 21, 5 et 4, 30, les deux passages stigmatisant l’exposition des nouveau-nés. ↩
-
VI, 20. ↩
- Lettres 188, 2 ; éd. Y. Courtonne, CUF, t. 2, Paris 1961, p. 124. Première des lettres dites « canoniques », elle est recueillie parmi les Les canons des Pères grecs (voir infra). ↩
- Lettre 60, 1. ↩
- Un ouvrage très commode : P.-P. Joannou, La législation impériale et la christianisation de l’empire romain (311–476) (Orientalia Christiana Analecta, 192), Rome 1972. ↩
- Plutôt que d’avoir à recourir aux volumineuses collections des conciles, est pratique : F. Lauchert, Die Kanones […] der wichtigsten altkirlichen Konzilien (Sammlung ausgewählter kirchen-und dogmengeschichtlicher Quellenschriften, 12), Freiburg i. B. 1896 ; rééd. 1961. Nous n’ignorons pas les controverses relatives non seulement à la date du concile d’Elvire, mais même à son existence. — Pour l’Orient, la collecte des textes est grandement facilitée grâce à P.-P. Joannou, Codificazione canonica orientale. Fonti, serie I. Fasc. IX : Discipline générale antique (IVe-IXe s.) : Index analytique [… aux trois volumes], Grottaferrata 1964. ↩
- F. Lauchert, p. 23. ↩
- P.-P. Joannou, Codificazione canonica orientale. Fonti, serie I. Fasc. IX : Discipline générale antique (II-IXe s.). I/2 : Les canons des synodes particuliers [CSP], Grottaferrata 1962, p. 71. ↩
- Traduction du Chanoine Ch. Mercier, « Les canons des conciles œcuméniques et locaux en version arménienne », Revue des Études arméniennes, n. s. 15 (1981), p. 212–213. ↩
- Compte rendu de l’édition critique procurée par V. Hakobian de la collection canonique arménienne, Revue des Études arméniennes, n. s. 10 (1973–1974), p. 381. ↩
- Certains ouvrages anciens donnent la date de 524 ; nous suivons A. Weckwerth, Clavis Conciliorum Occidentalium septem prioribus saeculis celebratorum (Corpus christianorum), Turnhout 2013, § 199, p. 199–200. ↩
- Cf. Clavis Patrum Graecorum, IV2, n° 9444. ↩
- Joannou (cité supra, n. 48), I, 1 : Les Canons des conciles œcuméniques. Le 8e concile de Constantinople, 1962, p. 227. ↩
- Joannou, (cité supra, n. 48), II : Les canons des Pères grecs, 1963, Basile de Césarée, canon 2, p. 99–100. De santé délicate lui-même, Basile s’est beaucoup intéressé à la médecine. ↩
- Paul dans le Digeste XII, De statu hominum, I, 5 et I, 14. ↩
-
Voir Digeste XII, De statu hominis, 1, 5 et 1, 14. ↩
- Malgré la similitude de titre, cet article n’a rien de commun avec la vaste publication (papier) dont la section II : Les notions philosophiques. Dictionnaire, est publiée sous la direction de Sylvain Auroux. T. I : Philosophie occidentale, A-L, Paris, P.U.F., 1990. On y trouve trois contributions sur l’avortement : juridique, p. 215–216 (J. Fortin) ; féminisme, p. 217 (B. Koeppel) ; problème moral de l’avortement, p. 218–219 (S. Auroux). La bgr. est anglo-saxonne presque exclusivement ! ↩
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Rom. 14, 7 ; 2 Cor. 5, 15. Prière eucharistique IV, fin du résumé de l’histoire du salut : « Afin que notre vie ne soit plus à nous-mêmes, mais à Lui qui est mort et ressuscité pour nous, Il a envoyé d’auprès de toi, Père, … » ↩