Note sur la fondation de l’Église

David Perrin
Quand l’Église a-t-elle été fondée ? Peut-on donner une date précise à sa naissance ? Est-ce au début de la prédication du Christ ? Lorsque le Christ établit Pierre comme son chef ? À la Passion ? Lors de l’envoi de l’Esprit Saint à la Pentecôte ? Ou bien beaucoup plus tôt, avec Abel, fils d’Adam ? Pour répondre, il faut se rappeler que l’Église, en tant que société des saints — anges et hommes — est l’effet des missions invisibles et visibles du Verbe et de l’Esprit Saint.

Quand l’Église a-t-elle été fondée ? La question peut sembler, au premier abord, enfantine. Tout chrétien répondra que l’Église a été fondée par le Christ au cours de sa vie terrestre. Mais peut-on donner une date précise de cette naissance ? Serait-ce au début du ministère public, lors de l’appel des Douze (cf. Mc 3, 13-19) ou de l’institution de Pierre comme chef de l’Église (cf. Mt 16, 18) ? Ces deux événements marquent, en effet, des étapes importantes dans l’édification de l’Église ; mais à trop mettre l’accent sur ses éléments visibles, hiérarchiques, juridiques, on risque d’oublier « l’action du Christ et de l’Esprit Saint hors des limites visibles de l’Église[1] ».

Il conviendrait donc de préférer une conception plus pneumatologique que bellarminienne de l’Église[2]. La fondation de l’Église, dans cette logique, pourrait coïncider avec l’envoi de l’Esprit Saint à la Pentecôte. C’est à ce moment que les disciples reçurent en plénitude « la force » (Ac 1, 8) de l’Esprit Saint, qui les introduisit dans la vérité tout entière (cf. Jn 16, 13). Mais peut-être faudrait-il adopter une vision plus sacramentelle, centrée sur l’institution du sacrifice eucharistique, « la source et le sommet de toute la vie chrétienne[3] » ? Comme le dit le cardinal de Lubac : « C’est l’Église qui fait l’Eucharistie, mais c’est aussi l’Eucharistie qui fait l’Église[4]. » La Cène, cependant, n’est pas encore le moment où tout est « achevé » (Jn 19, 30). L’institution de l’eucharistie anticipe le don total du Christ sur la croix. Faut-il donc repousser la fondation de l’Église au moment où Jésus meurt sur la croix et voir dans l’eau et le sang qui jaillissent de son côté ouvert le signe de sa naissance ? De toutes les dates proposées, cette dernière semble aujourd’hui emporter l’adhésion, comme l’indique, entre autres, le Catéchisme de l’Église catholique :

Mais l’Église est née principalement du don total du Christ pour notre salut, anticipé dans l’institution de l’Eucharistie et réalisé sur la Croix. « Le commencement et la croissance de l’Église sont signifiés par le sang et l’eau sortant du côté ouvert de Jésus crucifié [LG 3]. » « Car c’est du côté du Christ endormi sur la Croix qu’est né l’admirable sacrement de l’Église tout entière [SC 5]. » De même qu’Ève a été formée du côté d’Adam endormi, ainsi l’Église est née du cœur transpercé du Christ mort sur la Croix [cf. S. Ambroise, Lc. 2, 85–89][5].

La Passion est assurément le moment le plus important de l’édification de l’Église, car c’est au cours de cet événement que le Christ a le plus aimé l’humanité et manifesté son amour. Il ne faut cependant pas isoler la Passion de tous les autres actes salvifiques de sa vie. Le Christ n’a pas commencé de mériter le salut de l’humanité sur la croix. Il l’a fait dès le premier instant de sa conception[6]. Tous les acta et passa du Christ, parce qu’ils ont une valeur salvifique, ont une dimension ecclésiologique, étant entendu que la Passion du Christ est le plus éminent de tous les actes sauveurs. Si l’Église vient du Christ, elle est l’œuvre de toute sa vie et sa Passion est son chef d’œuvre.

Mais si l’on dit que l’Église n’a pas été bâtie d’un seul coup, en un seul acte, par le Christ, une deuxième difficulté surgit. N’y avait-il pas d’Église avant le Christ ? Plusieurs Pères de l’Église ont parlé de « l’Église depuis Abel (ecclesia ab Abel)[7] ». Faut-il dire que la société des justes, avant le Christ, n’était pas vraiment l’Église, qu’elle n’était qu’une préparation, une préfiguration de l’Église ou bien qu’elle n’était pas encore l’Église en acte mais seulement l’Église en puissance ?

Cette question fait entrevoir encore une autre difficulté, celle de n’envisager l’ecclésiologie que dans la dépendance de la christologie et de l’économie rédemptrice. Au lieu de voir l’Église comme l’assemblée des hommes et des anges, celle-ci est ramenée à la seule assemblée des hommes. Un autre risque théologique, lié au précédent, est de la voir uniquement comme le moyen de salut du genre humain et non comme la fin du dessein divin englobant les anges et les hommes.


Pour répondre à ces différents problèmes, nous proposerons sept remarques, comme autant d’éléments qu’il importe, selon nous, de tenir quand on se penche, de manière générale, sur la fondation de l’Église et, de manière particulière, sur sa relation au Christ, le Verbe incarné. Le fil rouge de notre réflexion est que l’Église, en tant que société des saints — anges et hommes — est l’effet des missions invisibles et visibles du Verbe et de l’Esprit Saint.

 

I. Là où est l’Esprit de Dieu, là est l’Église

 

Ubi Spiritus Dei, ibi Ecclesia. Cette première proposition s’inspire d’une formule de saint Irénée de Lyon :

Là où est l’Église, il y a l’Esprit de Dieu et là où est l’Esprit de Dieu, il y a l’Église et toute grâce : l’Esprit est vérité (Ubi enim Ecclesia, ibi et Spiritus Dei, et ubi Spiritus Dei, illic Ecclesia et omnis gratia : Spiritus autem veritas)[8].

L’intérêt de cet adage est de lier essentiellement la présence de l’Église à l’action de l’Esprit Saint et à la communication de la grâce sanctifiante qui n’est autre que « l’amour de Dieu (…) répandu dans nos cœurs par le Saint Esprit qui nous fut donné » (Rm 5, 5). Le mystère de l’Église est coextensif à celui de l’inhabitation trinitaire dans les créatures douées de raison. Là où est l’Esprit de Dieu, autrement dit là où les Personnes divines agissent surnaturellement, là est l’Église.

Cette proposition évite de réduire le mystère de l’Église aux seules structures ecclésiales sacramentelles instituées par le Christ. Elle rend compte de l’universalité de l’Église dans le temps et l’espace, en mettant l’accent sur la sanctification opérée par les trois personnes divines ; sanctification que l’on peut approprier à l’Esprit Saint : « L’Esprit habite dans l’Église et dans le cœur des fidèles comme dans un temple (cf. 1 Co 3, 16 ; 6, 19), en eux il prie et atteste leur condition de fils de Dieu par adoption (cf. Ga 4, 6 ; Rm 8, 15–16.26)[9]. »

 

II. L’Église des missions divines est l’Église de la grâce et de la gloire

 

Les missions divines invisibles et visibles du Fils et de l’Esprit fondent l’Église : par elles, la sainte Trinité opère de manière spéciale dans les créatures raisonnables et les rend semblables à elle. L’inhabitation trinitaire, par laquelle la créature jouit de Dieu, s’effectue de deux manières : selon la grâce, in via, selon la gloire, in patria. La grâce et la gloire sont, en effet, les deux modalités d’une même « participation de la divine nature » (2 P 1, 4), la première étant une « disposition » à la seconde : « La grâce est une disposition à la gloire. » L’Église est donc la société de tous les êtres graciés et glorieux : « L’Église vit en deux états, celui de la grâce dans le temps présent celui de la gloire dans l’éternité, et c’est une seule et même Église (…)[10]. »
Cette proposition évite de réduire le mystère de l’unique Église à l’un ou l’autre état. Elle souligne, de nouveau, l’opération spéciale de Dieu qui fonde l’Église : la divinisation des créatures spirituelles réalisée par la sainte Trinité.

 

III. L’Église est la société des anges et des hommes

 

Le mystère de l’Église est coextensif au don de la vie éternelle commencée (grâce) ou consommée (gloire). Cette participation à la vie trinitaire ne concerne pas uniquement les hommes. La société ecclésiale rassemble les anges et les hommes en qui œuvre la sainte Trinité : « Il n’y aura pas deux sociétés, celle des hommes et celle des anges, mais une seule, car tous ont la même béatitude : adhérer au Dieu unique[11]. » Il convient donc de ne pas avoir une vision anthropocentrée de l’Église. Quand on cherche l’origine de l’Église exclusivement à partir des mystères de la vie du Christ, on risque d’oublier que l’Église a une finalité qui dépasse l’économie de la rédemption des hommes : « L’Église ne relève pas seulement de la réalisation (πραγματεία) mais plus radicalement du dessein (οἰϰονομία), du projet de Dieu sur le monde, en particulier sur ses créatures spirituelles[12]. » Elle est la « congregatio fidelium[13] », la « communio sanctorum » des hommes et des anges.

Cette proposition évite de réduire l’Église à la société des seuls saints humains. Elle manifeste l’unité des créatures spirituelles et la communion des personnes réalisée par Dieu au ciel et sur la terre.

 

IV. La grâce dans ses deux modes

 

C’est la grâce qui fait des créatures in via des membres de l’Église et qui assure entre eux « l’unité de l’Esprit » (Ep 4, 3). Mais la grâce dont les anges ont bénéficié à leur création, celle qui fut offerte à l’origine à Adam et Ève, et celle qui est offerte aux hommes, après leur chute, ne sont pas différentes. La ratio de la grâce demeure la même : c’est toujours une certaine participation de la nature divine qui confère aux créatures spirituelles l’adoption filiale. Ce qui varie est le modus de la grâce[14], c’est-à-dire la manière dont Dieu donne la grâce aux créatures spirituelles. Chez les hommes, ce modus a varié en raison du péché originel. La sanctification que Dieu leur offre, depuis le péché originel, est une rédemption ; ce qu’elle n’était pas dans l’état de justice originelle.

Cette quatrième proposition évite de considérer que l’Église, dans sa ratio, a commencé d’être avec l’économie de la rédemption humaine. Elle rappelle que la fin surnaturelle de toutes les créatures, anges et hommes, est de vivre dans l’amitié avec Dieu et que la grâce puis la gloire sont les moyens offerts par Dieu pour atteindre cette fin dernière.

 

V. L’Église, corps mystique dont le Verbe est la tête et l’Esprit Saint est l’âme

 

L’Église est comparable à un corps parce que plusieurs membres — anges et hommes — le composent. De ce corps mystique, si l’on poursuit l’analogie, l’âme est appropriable à l’Esprit Saint, qui vivifie et unifie tout le corps, et la tête au Verbe de Dieu qui conduit le corps[15]. Cette analogie est vraie depuis l’origine :

Dans l’économie de la justice originelle, anges et hommes en grâce eussent formé le corps mystique du Verbe, tous adoptés et animés par le même Esprit de Dieu. Premier-né d’une multitude de frères, le Verbe eut été la tête invisible de ce corps de grâce, comme il l’a été effectivement pour les anges au cours de leur brève via[16].

Après la chute d’Adam et Ève, le corps mystique n’a changé ni d’âme ni de tête. C’est toujours dans le Fils et par l’Esprit que les hommes deviennent des fils adoptifs de Dieu, mais c’est par la foi dans le Fils incarné que les hommes, après la chute, sont sauvés.

Cette cinquième proposition évite de faire des seules missions visibles du Fils et de l’Esprit les actes fondateurs de l’Église. Elle montre la continuité entre les missions invisibles et visibles du Fils et de l’Esprit et le fait que l’Église, depuis l’origine, peut être appelée, par mode d’appropriation, l’Église du Verbe, en raison du dessein divin d’adoption filiale, et depuis la chute, l’Église du Verbe incarné.

 

VI. L’Église du Verbe incarné

 

Depuis le péché originel, en effet, Jésus Christ, le Verbe incarné, est l’unique médiateur entre Dieu et les hommes : « Car Dieu est unique, unique aussi le médiateur entre Dieu et les hommes, le Christ Jésus, homme lui-même, qui s’est livré en rançon pour tous. » (1 Tm 2, 5). C’est par lui et par lui seul, après le péché originel, que le salut est offert : « Car il n’y a pas sous le ciel d’autre nom donné aux hommes, par lequel nous devions être sauvés » (Ac 4, 12). Cela est vrai aussi bien avant qu’après l’incarnation du Verbe. Les hommes qui ont été justifiés, après le péché originel, l’ont été en vertu de leur foi, plus ou moins explicite, dans la Trinité et dans l’incarnation à venir. Les signes de la foi que les hommes instituaient quand ils suivaient la loi de nature[17], les signes, ensuite, que Dieu a édictés à Abraham, comme la circoncision[18] et les préceptes cérémoniels de la loi de Moïse[19] étaient des sacrements du Christ à venir[20]. Mais ils n’étaient pas des causes instrumentales du salut, comme le sont les sacrements de la loi nouvelle. À l’occasion de ces signes, les hommes professaient leur foi dans le Christ à venir. Celui-ci était déjà source de salut avant son incarnation effective :

La grâce capitale du Christ est à l’œuvre depuis le commencement du monde, ce par quoi les hommes ont commencé d’être ses membres[21].

Cette grâce, qui leur était donnée « par anticipation, par exaucement rétroactif de la grande intercession méritoire que le Christ fera monter de la croix[22] », faisait déjà d’eux des chrétiens. Mais cette incorporation était encore imparfaite, parce que ces hommes ne voyaient le Christ que « de loin » (He 11, 13)[23]. Il fallait attendre l’incarnation rédemptrice du Verbe, depuis la conception du Christ à l’Annonciation jusqu’à sa descente au séjour des morts, pour que 1) la plénitude de la Vérité soit révélée, 2) que le salut fût réalisé par mode d’efficience, de mérite et de satisfaction 3) et que la grâce fût communiquée aux hommes, principalement par les sacrements qu’il avait institués. Ceux-ci ont été signifiés par l’eau et le sang qui jaillirent de son côté ouvert sur la croix[24].

Cette proposition écarte deux erreurs principales : l’une, qui consiste à dire qu’il n’y a pas eu de saints avant l’incarnation effective du Christ ; l’autre, que Dieu a accordé son salut en dehors du Christ Jésus. Contre l’une et l’autre, nous tenons qu’« il n’y a qu’une seule économie salvifique du Dieu Un et Trine, réalisée dans le mystère de l’incarnation, mort et résurrection du Fils de Dieu, mise en œuvre avec la coopération du Saint-Esprit et élargie dans sa portée salvifique à l’humanité entière et à l’univers (…)[25]. »

 

VII. « L’Église, sacrement universel du salut »

 

L’Église n’a pas commencé d’être, dans le temps, avec l’incarnation rédemptrice du Christ. Celle-ci existait dès la création en état de grâce des anges et des hommes. Ce que le Christ a institué, c’est un modus nouveau de grâce qui s’impose depuis son incarnation comme le mode ordinaire par lequel Dieu veut sauver les hommes : le mode sacramentel[26].

Ce mode nouveau, que les sacrements de la loi ancienne préfiguraient, prolonge la dérivation de la grâce par contact de l’humanité. Les sacrements de la loi nouvelle sont ainsi la cause instrumentale séparée de la grâce. Ils sont « comme les mains du Christ étendues sur nous à travers le temps et l’espace[27] ». Par ce mode, le mystère de l’Église est rendu davantage visible aux hommes, principalement dans l’Église catholique, en qui l’unique Église du Christ « subsiste de façon inamissible[28] ».

Si la dispensation de la grâce, in via, s’effectue principalement et ordinairement par les sacrements, le Christ continue, cependant, d’accorder sa grâce d’une manière non sacramentelle, « par des voies connues de lui (viis sibi notis)[29] ». Le Christ n’a pas lié sa puissance aux sacrements[30]. Il continue de toucher des hommes, dans le secret des cœurs, par des voies non-sacramentelles. Ceux qui ne sont pas sanctifiés par la médiation d’un sacrement donné par un ministre de l’Église ne sont pas cependant sauvés en dehors de l’Église. Les grâces qu’ils reçoivent ont « une relation mystérieuse à l’Église (quamquam arcanam habet necessitudinem cum Ecclesia)[31] » et les ordonnent à elle. Il faut admettre, cependant, qu’elles ne sont que des suppléances aux grâces sacramentelles. Elles ne procurent pas les « effets spéciaux nécessaires à la vie chrétiennex[32] » propres à ces dernières. Elles incorporent réellement ceux qui les reçoivent au corps du Christ, puisqu’elles les associent au mystère pascal[33], mais d’une manière imparfaite. Ceux qui en bénéficient sont la partie immergée, imparfaitement sacramentelle, de l’Église. Ils sont disposés par elles à devenir formellement membres de l’Église.

Cette dernière proposition s’oppose à l’idée selon laquelle il y aurait deux économies rédemptrices qui coexisteraient depuis la venue du Christ : celle du Verbe non incarné, d’un côté, et celle du Verbe incarné, de l’autre ; la première touchant tous les hommes de bonne volonté, l’autre ceux qui appartiennent à l’Église visible[34]. Cette dernière proposition préserve l’unicité de l’économie salvifique, dont « la source » et « le centre »[35] est le mystère de l’Incarnation du Verbe, mais également le lien de tout homme, sauvé par le Christ, à son Église. Celui qui accueille la grâce sanctifiante, méritée par le Christ et communiquée par l’Esprit, participe de la vie divine mais aussi, car c’est tout un, de la vie de « la seule et unique Église de Dieu[36] », à des degrés divers. L’appartenance à la vie de l’Église, qui n’est autre que la vie du Royaume de Dieu, « puisqu’elle en est le germe, le signe et l’instrument (cuius est germen, signum et instrumentum)[37] » trouvera son achèvement dans la gloire.

 

***

 

Au terme de ce parcours en sept étapes, nous comprenons mieux de quelle manière il faut entendre le fondement, l’institution ou la naissance de l’Église par le Christ. Ce qui est né du Christ, c’est-à-dire des acta et passa du Verbe incarné, en particulier de sa Passion, n’est pas l’Église en tant que telle, c’est-à-dire la société des saints anges et des saints hommes, car celle-ci existe depuis la création en grâce des anges et des hommes, mais « l’admirable sacrement de l’Église tout entière »[38], autrement dit, le modus sacramentel, visible, par lequel Dieu veut communiquer sa grâce aux hommes et les lier entre eux et aux anges par la divine charité. Ce modus sacramentel qui inaugure le Royaume de Dieu sur la terre trouvera, à la fin des temps, son point d’achèvement et d’éclosion quand Dieu sera « tout en tous » (1 Co 15, 28)[39].

 

Fr. David Perrin o.p.

 


  1. Jean-Paul II, Lettre encyclique sur la valeur permanente du précepte missionnaire, Redemptoris missio (1990), n° 18. « opus Christi et Spiritus extra visibiles fines [Ecclesiae] non excludat ».  ↩

  2. Sur la conception ecclésiologique de saint Robert Bellarmin et sa définition de l’Église comme « evocatio sive caetus vocatorum » et « coetus hominis ita visibilis et palpabilis », cf. entre autres, Alexandra Diriart, Ses frontières sont la charité. L’Église Corps du Christ et Lumen Gentium, Préface de G. Cottier, Paris, Lethielleux, Groupe DDB (coll. « Études Charles Journet »), 2011, p. 288-324.  ↩

  3. IIe Concile œcuménique du Vatican, Constitution dogmatique sur l’Église, Lumen gentium, n° 11. « totius vitae christianae fontem et culmen. »  ↩

  4. Henri de Lubac, Méditation sur l’Église, Paris, Aubier (coll. « Théologie ») n° 27, 19543, p. 113. Le pape Jean-Paul II a consacré une de ces encycliques à ce thème. Cf. Jean-Paul II, Lettre encyclique sur l’eucharistie dans son rapport à l’Église, Ecclesia de eucharistia (2003).  ↩

  5. Catéchisme de l’Église catholique (1992), n° 766.  ↩

  6. Cf. Thomas d’Aquin, Sum. theol., IIIa, q. 34, a. 3.  ↩

  7. Abel est le premier, après le péché, à mourir en juste avant Adam. Cf. Yves Congar, « Ecclesia ab Abel », Abhandlungen über Theologie und Kirche, Festschrift für Karl Adam, Dusseldorf, 1952, p. 79-109. La constitution dogmatique sur l’Église, Lumen Gentium, mentionne ce thème patristique : « Alors, comme on peut le lire dans les saints Pères, tous les justes depuis Adam, ‘‘depuis Abel le juste jusqu’au dernier élu’’ se trouveront rassemblés auprès du Père dans l’Église universelle. » IIe Concile œcuménique du Vatican, Constitution dogmatique sur l’Église, Lumen gentium (1964), n° 2. « Tunc autem, sicut apud sanctos Patres legitur, omnes iusti inde ab Adam, ‘‘ab Abel iusto usque ad ultimum electum’’ in Ecclesia universali apud Patrem congregabuntur. »  ↩

  8. Irénée de Lyon, Adversus Haereses, livre III, chap. XXIV, 1, t. II, édition critique Adelin Rousseau et Louis Doutreleau, Paris, Cerf (« coll. « Sources chrétiennes ») n° 211, 1974, p. 473-475.  ↩

  9. IIe Concile œcuménique du Vatican, Constitution dogmatique sur l’Église, Lumen gentium, no4. « Spiritus in Ecclesia et in cordibus fidelium tamquam in templo habitat (cf. 1 Co 3, 16 ; 6, 19), in eisque orat et testimonium adoptionis eorum reddit (cf. Ga 4, 6 ; Rm 8, 15-16 et 26). »  ↩

  10. Super Col., cap. 1, lect. 5. « Ecclesia quidem habet duplicem statum, scilicet gratiae in praesenti et gloriae in futuro, et est eadem Ecclesia (…) ».  ↩

  11. Sum. theol., Ia, q. 108, a. 8, co. « Sed hoc est contra Augustinum, qui dicit XII de Civ. Dei, quod non erunt duae societates hominum et Angelorum, sed una, quia omnium beatitudo est adhaerere uni Deo. »  ↩

  12. François Daguet, Théologie du dessein divin chez Thomas d’Aquin. Finis omnium Ecclesia, Paris, Vrin, 2003, p. 16.  ↩

  13. Cf., par exemple, Sum. theol., IIIa, q. 8, a. 4, ad 2.  ↩

  14. Le modus regarde toujours les conditions d’exercice d’une forme ou d’une ratio : « Ce que la forme requiert d’abord, c’est la détermination ou la proportionnalité de ses principes, soit matériels, soit efficients, et c’est ce qu’on entend par le mode (…). » Sum. theol., Ia, q. 5, a. 5, co. « Praeexigitur autem ad formam determinatio sive commensuratio principiorum, seu materialium, seu efficientium ipsam, et hoc significatur per modum (…). »  ↩

  15. Saint Thomas explique l’analogie de la manière suivante dans la Somme de théologie : « La tête a une supériorité manifeste sur les autres membres extérieurs ; le cœur, lui, exerce une influence cachée. C’est pourquoi l’on compare au cœur le Saint-Esprit, qui vivifie et unifie invisiblement l’Église ; et l’on compare à la tête le Christ, dans sa nature visible, parce que, comme homme, il l’emporte sur les autres hommes. » Sum. theol., IIIa, q. 8, a. 1, ad 3. « Ad tertium dicendum quod caput habet manifestam eminentiam respectu exteriorum membrorum, sed cor habet quandam influentiam occultam. Et ideo cordi comparatur spiritus sanctus, qui invisibiliter Ecclesiam vivificat et unit, capiti comparatur Christus, secundum visibilem naturam, qua homo hominibus praefertur. »  ↩

  16. F. Daguet, op. cit., p. 168.  ↩

  17. Cf. Sum. theol., IIIa, q. 70, a. 2, ad 1. « Immédiatement après le péché du premier homme, la science personnelle d’Adam, qui avait été plus parfaitement instruit des choses de Dieu, maintenait assez de foi et de raison naturelle chez l’homme pour qu’il ne soit pas nécessaire d’instituer pour les hommes des signes de la foi et du salut, et chacun témoignait de sa foi à sa guise par des signes qui la manifestaient. » ; « immediate post peccatum primi parentis, propter doctrinam ipsius Adae, qui plene instructus fuerat de divinis, adhuc fides et ratio naturalis vigebat in homine in tantum quod non oportebat determinari hominibus aliqua signa fidei et salutis, sed unusquisque pro suo libitu fidem suam profitentibus signis protestabatur. »  ↩

  18. Cf. Sum. theol., IIIa, q. 70, a. 4, co. « La circoncision conférait la grâce parce qu’elle était le signe de la foi à la passion future : l’homme qui recevait la circoncision professait qu’il embrassait cette foi, l’adulte pour lui-même et un autre pour les enfants. Aussi l’apôtre dit-il (Rm 4, 11) : ‘‘Abraham reçut le signe de la circoncision comme sceau de sa justification par la foi.’’ C’est-à-dire que la justice venait de la foi signifiée par la circoncision, et non la circoncision qui la signifiait. » ; « Circumcisio autem conferebat gratiam inquantum erat signum fidei passionis Christi futurae, ita scilicet quod homo qui accipiebat circumcisionem, profitebatur se suscipere talem fidem ; vel adultus pro se, vel alius pro parvulis. Unde et apostolus dicit, Rom. IV, quod Abraham accepit signum circumcisionis, signaculum iustitiae fidei, quia scilicet iustitia ex fide erat significata, non ex circumcisione significante. »  ↩

  19. Cf. Sum. theol., Ia-IIae, q. 103, a. 2, c. « Toutefois, dès le temps de la loi, les âmes croyantes pouvaient par la foi s’unir au Christ incarné et crucifié, et ainsi elles étaient justifiées en vertu de la foi au Christ qu’elles professaient de quelque manière en observant les cérémonies qui figuraient le Christ. Donc, si sous la loi ancienne on offrait certains sacrifices pour les péchés, ce n’est pas que ces sacrifices fussent capables de purifier du péché, mais ils constituaient une profession de la foi qui en purifiait. » ; « Poterat autem mens fidelium, tempore legis, per fidem coniungi Christo incarnato et passo, et ita ex fide Christi iustificabantur. Cuius fidei quaedam protestatio erat huiusmodi caeremoniarum observatio, inquantum erant figura Christi. Et ideo pro peccatis offerebantur sacrificia quaedam in veteri lege, non quia ipsa sacrificia a peccato emundarent, sed quia erant quaedam protestationes fidei, quae a peccato mundabat. »  ↩

  20. Cf. Sum. theol., IIIa, q. 61, a. 3, c. « Avant la venue du Christ, il fallait déjà des signes visibles par lesquels l’homme professerait sa foi en la venue future du Sauveur. Ce sont ces signes qu’on appelle sacrements. Ainsi est-il évident que l’institution de certains sacrements s’imposait avant la venue du Christ » ; « Et ideo oportebat ante Christi adventum esse quaedam signa visibilia quibus homo fidem suam protestaretur de futuro salvatoris adventu. Et huiusmodi signa sacramenta dicuntur. Et sic patet quod ante Christi adventum necesse fuit quaedam sacramenta institui. »  ↩

  21. III Sent., d. 13, q. 3, a. 2, qa 1, s.c. 2. « gratia capitis operata est a constitutione mundi, ex quo homines membra ejus esse coeperunt (…) ».  ↩

  22. Charles Journet, L’Église du Verbe incarné. Essai de théologie spéculative, dans Œuvres Complètes, vol. III « Sa structure interne et son unité catholique » [t. II, 1951], Saint-Maurice, Suisse Éditions Saint-Augustin, 1999, p. 1048.  ↩

  23. « C’est dans la foi qu’ils moururent tous sans avoir reçu l’objet des promesses, mais ils l’ont vu et salué de loin, et ils ont confessé qu’ils étaient étrangers et voyageurs sur la terre. » He 11, 13.  ↩

  24. Cf. Sum. theol., IIIa, q. 62, a. 5, co. « Il est évident, d’après ce que nous avons dit antérieurement que c’est surtout la passion du Christ qui nous a délivrés de nos péchés par manière d’efficience, de mérite, mais aussi de satisfaction. De même encore est-ce par sa passion que le Christ a inauguré le régime cultuel de la religion chrétienne en ‘‘s’offrant lui-même en offrande et en victime à Dieu’’, dit l’épître aux Éphésiens (5, 2). Il est donc évident que les sacrements de l’Église tiennent spécialement leur vertu de la passion du Christ ; c’est la réception des sacrements qui nous met en communication avec la vertu de la passion du Christ. L’eau et le sang jaillis du côté du Christ en croix symbolisent cette vérité, l’eau se rapporte au baptême et le sang à l’eucharistie, car ce sont les sacrements les plus importants. » ; « Manifestum est autem ex his quae supra dicta sunt, quod Christus liberavit nos a peccatis nostris praecipue per suam passionem, non solum efficienter et meritorie, sed etiam satisfactorie. Similiter etiam per suam passionem initiavit ritum Christianae religionis, offerens seipsum oblationem et hostiam Deo, ut dicitur Ephes. V. Unde manifestum est quod sacramenta Ecclesiae specialiter habent virtutem ex passione Christi, cuius virtus quodammodo nobis copulatur per susceptionem sacramentorum. In cuius signum, de latere Christi pendentis in cruce fluxerunt aqua et sanguis, quorum unum pertinet ad Baptismum, aliud ad Eucharistiam, quae sunt potissima sacramenta. »  ↩

  25. Congrégation pour la doctrine de la foi, Déclaration sur l’unicité et l’universalité salvifique de Jésus-Christ et de l’Église, Dominus Iesus (2000), no11. « De unica enim agitur Dei Unius et Trini salvifica oeconomia, quae ad rem deducitur in mysterio incarnationis, mortis et resurrectionis Filii Dei et Spiritu Sancto cooperante efficitur, quaeque in suo effectu salvifico ad homines cunctos et ad universum mundum pertingit (…). »  ↩

  26. IIe Concile œcuménique du Vatican, Constitution dogmatique sur l’Église, Lumen gentium, no48. « Le Christ élevé de terre a tiré à lui tous les hommes (cf. Jn 12, 32 grec) ; ressuscité des morts (cf. Rm 6, 9), il a envoyé sur ses Apôtres son Esprit de vie et par lui a constitué son Corps, qui est l’Église, comme le sacrement universel du salut ; assis à la droite du Père, il exerce continuellement son action dans le monde pour conduire les hommes vers l’Église, se les unir par elle plus étroitement et leur faire part de sa vie glorieuse en leur donnant pour nourriture son propre Corps et son Sang. » « Christus quidem exaltatus a terra omnes traxit ad seipsum (cf. Io 12, 32 gr.) ; resurgens ex mortuis (cf. Rm 6, 9) Spiritum suum vivificantem in discipulos immisit et per eum Corpus suum quod est Ecclesia ut universale salutis sacramentum constituit; sedens ad dexteram Patris continuo operatur in mundo ut homines ad Ecclesiam perducat arctiusque per eam Sibi coniungat ac proprio Corpore et Sanguine illos nutriendo gloriosae vitae suae faciat esse participes. »  ↩

  27. C. Journet, op. cit., p. 1050.  ↩

  28. IIe Concile œcuménique du Vatican, Décret sur l’œcuménisme, Unitatis redintegratio (1964), no4. « Cette unité, le Christ l’a accordée à son Église dès le commencement. Nous croyons qu’elle subsiste de façon inamissible dans l’Église catholique et nous espérons qu’elle s’accroîtra de jour en jour jusqu’à la consommation des siècles. « (…) unius unicaeque Ecclesiae unitatem congregentur quam Christus ab initio Ecclesiae suae largitus est, quamque inamissibilem in Ecclesia catholica subsistere credimus et usque ad consummationem saeculi in dies crescere speramus.”  ↩

  29. IIe Concile œcuménique du Vatican, Décret sur l’activité missionnaire de l’Église, Ad Gentes divinitus, no7.  ↩

  30. Cf. Sum. theol., IIIa, q. 72, a. 6, ad. 1  ↩

  31. Jean-Paul II, Lettre encyclique sur la valeur permanente du précepte missionnaire, Redemptoris missio, no10.  ↩

  32. Sum. theol., IIIa, q. 62, a. 2, co.  ↩

  33. IIe Concile œcuménique du Vatican, Constitution pastorale sur l’Église dans le monde de ce temps, Gaudium et spes (1965), no22. « En effet, puisque le Christ est mort pour tous et que la vocation dernière de l’homme est réellement unique, à savoir divine, nous devons tenir que l’Esprit Saint offre à tous, d’une façon que Dieu connaît, la possibilité d’être associé au mystère pascal. » ; « Cum enim pro omnibus mortuus sit Christus cumque vocatio hominis ultima revera una sit, scilicet divina, tenere debemus Spiritum Sanctum cunctis possibilitatem offerre ut, modo Deo cognito, huic paschali mysterio consocientur. »  ↩

  34. La déclaration Dominus Iesus a fortement combattu cette idée : « Il est donc contraire à la foi catholique de séparer l’action salvifique du Logos en tant que tel de celle du Verbe fait chair. Par l’incarnation, toutes les actions salvifiques que le Verbe de Dieu opère sont toujours réalisées avec la nature humaine qu’il a assumée pour le salut de tous les hommes. L’unique sujet agissant dans les deux natures, divine et humaine, est la personne unique du Verbe. Elle n’est donc pas compatible avec la doctrine de l’Église la théorie qui attribue une activité salvifique au Logos comme tel dans sa divinité, qui s’exercerait ‘‘plus loin’’ et ‘‘au-delà’’ de l’humanité du Christ, même après l’incarnation. » Congrégation pour la doctrine de la foi, Déclaration sur l’unicité et l’universalité salvifique de Jésus-Christ et de l’Église, Dominus Iesus, no10. « Fidei quoque catholicae contradicit disiunctio inter actionem salvificam Verbi qua talis et actionem salvificam Verbi quod caro factum est. Per incarnationem enim opera salvifica omnia, quae Verbum Dei perficit, efficiuntur semper in unitate cum humana natura, quam ad universorum hominum salutem assumpsit. Subiectum unicum operans in duabus naturis, humana et divina, persona est unica Verbi. Componi ergo nequit cum Ecclesiae doctrina theoria illa quae Verbo qua tali actuositatem salvificam tribuit, quae exerceatur “praeter” et “ultra” Iesu Christi humanitatem, etiam post incarnationem. » Nous renvoyons, sur cette question, au dossier de la Revue thomiste, Saint Thomas et la théologie des religions, 106 (2006).  ↩

  35. Congrégation pour la doctrine de la foi, Déclaration sur l’unicité et l’universalité salvifique de Jésus-Christ et de l’Église, Dominus Iesus (2000), no11.  ↩

  36. IIe Concile œcuménique du Vatican, Décret sur l’œcuménisme, Unitatis redintegratio, no3. « una et unica Dei Ecclesia »  ↩

  37. Congrégation pour la doctrine de la foi, Déclaration sur l’unicité et l’universalité salvifique de Jésus-Christ et de l’Église, Dominus Iesus, n° 18.  ↩

  38. IIe Concile œcuménique du Vatican, Constitution sur la sainte liturgie, Sacrosanctum concilium (1963), n° 5. « Car c’est du côté du Christ endormi sur la croix qu’est né ‘‘l’admirable sacrement de l’Église tout entière’’. » ; « Nam de latere Christi in cruce dormientis ortum est ‘‘totius Ecclesiae mirabile sacramentum’’. » Cette dernière expression est tirée de l’oraison suivant la 2e leçon du Samedi saint, dans le missel romain, avant la réforme de la Semaine sainte.  ↩

  39. Après avoir envisagé la fondation de l’Église, il convient de s’interroger sur son état final dans la gloire. C’est ce que nous ferons dans un prochain article où nous envisagerons la question de savoir ce que devient, dans la patrie, le mode sacramentel.  ↩