(See English version below)
Depuis quelques semaines, une tempête secoue le monde catholique qui s’en serait bien passé à la veille de Noël.
Le 18 décembre, le Dicastère pour la Doctrine de la Foi publiait la Déclaration Fiducia supplicans par laquelle était établie « la possibilité de bénir les couples en situation irrégulière et les couples de même sexe, sans valider officiellement leur statut ni modifier en quoi que ce soit l’enseignement pérenne de l’Église sur le mariage[1]. »
Aussitôt, le monde médiatique s’en est emparé, qui n’espérait pas une telle aubaine, répandant à grand bruit la nouvelle que l’Église admettait enfin la légitimité des couples homosexuels qu’elle bénissait en attendant de reconnaître un jour leur mariage selon la marche inéluctable du progrès. Impossible de faire valoir que le texte disait le contraire, qu’il interdisait les bénédictions liturgiques en ce qu’elles pourraient ressembler à un mariage ou s’y rapporter, le sacrement ne pouvant unir qu’un homme et une femme. Rien n’y fit, la cause était entendue. L’actualité reprit bientôt son cours, laissant le peuple chrétien en émoi.
Très vite se multiplièrent les déclarations d’évêques, de cardinaux et de conférences épiscopales. Certains louant le texte, regrettant parfois qu’il ne soit pas allé plus loin, ou voyant là une première étape vers un mariage des personnes de même sexe qu’ils appellent toujours de leurs vœux. D’autres, sans doute plus nombreux à s’exprimer en public, refusant poliment de le mettre en œuvre au nom de la prudence pastorale et du contexte qui est le leur, lorsqu’ils ne l’accusaient pas de contradiction, d’hérésie ou de blasphème. Cela faisait longtemps que l’Église n’avait pas traversé une telle crise, même s’il y a loin de la fronde au schisme.
La Déclaration se présentait comme se suffisant à elle-même[2] mais face à de telles réactions pourtant prévisibles et parait-il prévues, le préfet a dû s’expliquer, d’abord dans la presse[3] puis dans un Communiqué officiel du Dicastère[4]. Les accusations d’hétérodoxie y sont rapidement écartées, au motif que Fiducia supplicans avait réaffirmé sans ambages la doctrine catholique du mariage et son incompatibilité avec des bénédictions liturgiques de « couples en situation irrégulière », ainsi que l’avait établi la Congrégation pour la Doctrine de la foi dans un précédent document[5] confirmé sur ce point. D’après le Communiqué, la nouveauté n’est donc pas de les bénir ni de créer pour eux une nouvelle forme de bénédiction mais de distinguer plus clairement qu’on ne le faisait auparavant deux formes de bénédictions déjà existantes, « liturgique ou ritualisée » d’une part et « spontanée ou pastorale » d’autre part. Progrès doctrinal dont on tire une conséquence juridique et pastorale. L’interdiction des bénédictions de couples en situation irrégulière ne visait que la première forme, et cela demeure ; mais elle ne prenait pas en compte la seconde forme, qui reste disponible pour bénir les couples sans bénir les unions.
Loin d’apaiser, l’explication semble avoir ajouté au trouble de nombreux fidèles et de pasteurs, plongés davantage dans des abîmes de perplexité. Aussi n’est-il pas inutile d’apporter notre contribution pour tenter d’éclairer au moins quelques points de difficulté selon l’invitation du Communiqué : « Les déclarations compréhensibles de certaines conférences épiscopales par rapport au document Fiducia supplicans ont le mérite de mettre en évidence la nécessité d’un plus long temps de réflexion pastorale » ; « au-delà des polémiques, ce texte réclame un effort de réflexion sereine, avec un cœur de pasteur, hors de toute idéologie. »
1. Principe de charité interprétative
La mauvaise réception du texte tiendrait-elle à ses défauts internes ? Ce que plusieurs évêques ont déploré comme étant son manque de clarté, ses ambiguïtés voire ses contradictions. Toutes choses auxquelles on aurait pu alors remédier en consultant davantage de théologiens, d’experts et de membres de la Curie, comme on doit normalement le faire et qu’on serait à plus forte raison en droit d’attendre d’une Église qui se veut synodale. Ou bien faudrait-il invoquer des raisons externes ? Les médias suivant leurs grilles d’analyse dans la logique du monde, entrainant jusqu’aux fidèles dans une précompréhension du texte qui n’était pas la bonne. Dans les deux cas, la confusion est-elle due à une erreur de communication, ou le but inavoué ?
Au nom du principe de charité interprétative, lorsqu’un locuteur parait se contredire, il convient de lui faire crédit de ne pas être un imbécile et de rechercher une interprétation bienveillante au terme de laquelle ses propos paraîtront cohérents. De même, puisque l’auteur de la Déclaration affirme « qu’il n’y aurait pas de place pour se distancer doctrinalement de cette Déclaration ou pour la considérer comme hérétique, contraire à la Tradition de l’Église ou blasphématoire[6] », il est charitable de le prendre au mot jusqu’à preuve du contraire et de rejeter fermement toute compréhension du texte qui le contredirait. S’il est ambigu ou ambivalent, tenir la ligne d’interprétation orthodoxe comme étant la bonne d’après l’intentio auctoris affichée, même si ce n’est pas la plus obvie, tout en écartant les interprétations contraires en tant que fausses et dangereuses. Non par constat scientifique mais par décision herméneutique.
C’est d’ailleurs un principe constant d’interprétation du magistère que celui-ci doit se lire à la lumière du magistère antérieur et plus largement de la foi catholique qu’il a pour mission d’enseigner. Qui rejetterait ce principe de continuité pour appliquer une herméneutique de rupture fût-ce pour la dénoncer se couperait par là-même de la Tradition qui le tient et tomberait dans une sorte de contradiction performative. On ne devrait donc pas préjuger d’une intention perverse de l’auteur, ni l’accuser de jouer double jeu quand bien même le texte pourrait se lire d’un bout à l’autre selon un double sens en laissant soupçonner quelque agenda caché. À tout le moins peut-on regretter de devoir accomplir à sa place ce travail de clarification, afin de désamorcer la bombe que le texte contient en puissance sans pouvoir affirmer que son auteur avait l’intention de l’y mettre.
2. Bénir le pécheur sans bénir le péché ?
Dieu aime le pécheur mais déteste son péché. Les deux ne s’opposent pas puisque le pécheur ne s’identifie pas à son péché qui en est la défiguration. L’amour du pécheur se traduit donc par la haine du péché dont Dieu veut le libérer, tel le bon médecin combattant la maladie pour sauver le malade, raison pour laquelle il a fondé l’Église. De la même manière, Dieu bénit le pécheur sans jamais bénir son péché. Distinction nette que le pape a rappelée en répondant à une question sur la Déclaration Fiducia supplicans lors de sa rencontre avec le clergé de Rome[7].
La Déclaration n’avait pas jugé nécessaire de poser d’emblée une telle distinction, et c’est regrettable, préférant insister sur le fait que même en situation de péché, Dieu conserve au pécheur son amour inconditionnel, ses dons et sa bénédiction[8], sans jamais préciser s’il bénit en même temps le péché. Sur ce point, le Communiqué n’apporte aucune lumière.
Or bénir, c’est « dire du bien » (bene-dicere). On ne peut donc bénir que le bien sans jamais bénir le mal. Autrement, cela reviendrait à dire d’un mal qu’il est un bien. Tandis qu’au commencement, Dieu sépara la lumière des ténèbres (Gn 1,4), les « fils de lumière » (Jn 12,36) deviendraient alors les enfants du « Père du mensonge », menteur dès l’origine (Jn 8,44).
Non seulement on ne peut jamais bénir le mal, mais on ne doit pas non plus laisser croire qu’on le fait de quelque manière que ce soit. Car ce serait source de grand scandale. Et « malheur à l’homme par qui le scandale arrive » (Mt 18,7). Le scandale n’étant pas à apprécier au plan subjectif ou sociologique (ce qui choque les gens) mais au plan objectif et clinique (ce qui fait chuter dans la foi, comme la pierre sur le chemin) : « Si quelqu’un doit scandaliser l’un de ces petits qui croient en moi, il serait préférable pour lui de se voir suspendre autour du cou une de ces meules que tournent les ânes et d’être englouti en pleine mer » (Mt 18,6).
Un tel scandale se produirait immanquablement si l’Église bénissait le pécheur en laissant croire qu’elle bénit son péché, car les fidèles seraient alors portés à comprendre qu’elle nomme « bien » ce qui est un mal et que le péché n’est plus un péché. Cela ne se conçoit pas seulement dans l’intention du ministre, qui peut au moins en théorie viser l’un sans toucher l’autre, avec la difficulté de l’expliquer en pratique surtout dans le cadre d’une « bénédiction spontanée »[9] qui ne devrait durer que quelques secondes[10]. Mais il faut l’apprécier aussi chez les intéressés, qui ne saisissent pas toujours l’intention du ministre ni le sens d’un geste par trop sibyllin ; d’aucuns favorisant l’ambiguïté pour prétendre ensuite que l’Église les aura bénis en bénissant leur péché, régularisant ainsi leur situation irrégulière. Loin d’aider à leur conversion, cela les ferait chuter objectivement dans la foi, eux-mêmes ainsi que leur entourage. Enfin, le scandale se mesure dans le peuple de Dieu qui ne saisit pas toujours ces subtilités ou se laisse entraîner par les réseaux sociaux, au risque de croire que la foi n’est plus ce qu’il croyait, ou que le Magistère a cessé de la défendre.
On ne saurait accuser l’auteur de la Déclaration d’avoir délibérément occulté cette distinction entre le pécheur et son péché ni d’avoir eu l’intention de créer le scandale par une telle omission. En revanche, puisque le Dicastère se dit au service de l’enseignement du Saint-Père[11], et que le Saint-Père lui-même a fait cette précision à propos du document que l’on devait bénir le pécheur sans bénir le péché, c’est désormais à la lumière de cette simple distinction qu’il convient d’interpréter le document et de rejeter avec la plus grande vigueur ce qui irait en sens contraire.
Il est dommage que « pour éviter toute forme de confusion ou de scandale » (FS 39), la Déclaration se soit contentée d’indiquer quelques règles minimales de prudence présentées comme suffisantes sans qu’on doive en attendre d’autres (FS 41). Surtout si c’était pour donner ensuite l’impression de se contredire par un Communiqué qui apportait de fait des précisions supplémentaires, sans avoir répondu pour autant à toutes les interrogations légitimes. De même, la Déclaration paraissait court-circuiter les Conférences épiscopales en écartant l’éventualité d’autres règles, normes ou procédures de leur part (FS 30 et 37), s’adressant directement au jugement pastoral des prêtres (FS 35 à 37), soit à rebours de l’ecclésiologie de Lumen Gentium quant à l’autorité de l’épiscopat (LG 21) et davantage dans une ligne préconciliaire, ce qui peut déconcerter dans une Église qui se dit par ailleurs synodale. Mais une telle lecture ne s’impose pas depuis que le Communiqué a reconnu la légitimité des Conférences épiscopales à tenir compte largement de leur contexte dans l’application du document, ce qui donnera lieu à des règles complémentaires de prudence et de discernement[12].
3. Bénédiction non-liturgique ?
D’après le sous-titre, la Déclaration Fiducia supplicans porte sur « la signification pastorale des bénédictions », offrant à ce sujet une « contribution spécifique et innovante »[13]. Au-delà des bénédictions en général, dont traite la quasi-totalité du texte (le mot apparait dans 38 numéros sur 45), la véritable nouveauté d’après le Communiqué consiste à distinguer à côté des bénédictions liturgiques des bénédictions « pastorales » spontanées[14] ni liturgiques ni rituelles, plus proches de la piété populaire[15]. Là est la raison profonde de la Déclaration et du sous-titre. Notons que le Dicastère n’a pas inventé ces bénédictions non-liturgiques, comme beaucoup l’ont cru faute de les connaître. On les rencontre déjà dans l’Écriture et dans la pratique immémoriale de l’Église, même si l’on ne s’y intéressait guère jusque-là. Ainsi les parents ont toujours béni leurs enfants ou récité des benedicite lors des repas, sans difficulté particulière. Ce qui montre au passage qu’elles ne sont pas toutes réservées au clergé.
La Déclaration rappelle que les bénédictions liturgiques ne sont pas possibles dans le cas de situations irrégulières, car « il est nécessaire que ce qui est béni puisse correspondre aux desseins de Dieu inscrits dans la Création et pleinement révélés par le Christ Seigneur » (FS 11), reprenant là une des raisons déjà invoquées par la Congrégation pour la Doctrine de la Foi[16].
En revanche, elle établit que toutes les bénédictions n’entretiennent pas de tels liens avec les sacrements qu’il faille les accorder dans « les mêmes conditions morales » (FS 12). Il est donc possible « de développer et d’enrichir le sens des bénédictions » (FS 7), d’en avoir une « compréhension plus large » (FS 13) dans une « approche plus pastorale » (FS 21). Des bénédictions qui n’exigeront alors « aucune perfection morale préalable » (FS 25), qui seront « offertes à tous, sans rien demander » (FS 27) : « Personne ne peut être exclu de cette action de grâce et chacun, même s’il vit dans des situations qui ne sont pas conformes au plan du Créateur, a des éléments positifs pour lesquels il peut louer le Seigneur » (FS 28).
On reste un peu surpris de ce que ni la Déclaration, ni le document précédent de 2021, n’aient tenu compte de l’existence des bénédictions de pénitents dans l’Antiquité. Elles étaient pourtant liturgiques, selon un rituel longtemps inscrit dans le Pontifical romain. On les donnait au cours de la messe, à la fin de la liturgie de la Parole en Occident, les pénitents quittant alors l’assemblée, ou bien après la liturgie eucharistique en Orient, où ils assistaient à la synaxe à genoux (flentes) ou debout (stantes) selon leurs progrès dans l’Ordre des pénitents, sans jamais communier. On entrait alors en pénitence par l’imposition solennelle des cendres dans la Cathédrale au début du Carême, et faisait pénitence pendant des années selon le type de faute, jusqu’à la réconciliation là aussi solennelle dans la Cathédrale au Jeudi Saint. Cette pénitence était donc solennelle au sens de liturgique ; pour autant, il s’agissait bien de bénir des pécheurs, ce qui contredit l’affirmation selon laquelle on ne saurait bénir liturgiquement que des justes, ou des pécheurs à condition que ce ne soit pas liturgique. Certes, ces pénitents se reconnaissant pécheurs (condition pour entrer dans l’Ordre des pénitents) mais ils n’étaient pas réconciliés (condition pour y rester). Encore pécheurs, ils étaient bel et bien bénis liturgiquement.
C’est là que le point précédent nous permet d’y voir plus clair : bénir le pécheur sans bénir le péché. Dans la bénédiction liturgique des pénitents, que bénissait-on exactement ? Avant tout Dieu, qui a fait de ce pécheur un pénitent en vue de rendre la vie au mort. Puis le pécheur lui-même, non pour son péché mais pour son propos de conversion, qui est excellent et louable. Afin de lui obtenir des grâces de soutien pour son temps de pénitence, extrêmement long et difficile. Avec une grâce de persévérance, qu’il fasse pénitence jusqu’au bout, pour être finalement rendu apte à la réconciliation avec Dieu et avec l’Église. La justification n’était donc pas un préalable à la bénédiction, mais l’inverse : la bénédiction donnée sur le pénitent pour accomplir en lui l’œuvre de justification, à la fois comme processus (in fieri) et comme terme (in facto esse). Ce qui est l’un des aspects présentés par la Déclaration (FS 31-32), souvent compris comme une nouveauté alors que cette institution liturgique allait dans le même sens.
Une meilleure prise en compte de la Tradition aurait donc permis de penser d’une autre manière cette distinction entre bénédiction liturgique et bénédiction non-liturgique, la seconde seule étant ouverte au pécheur au motif que la première ne le serait pas, ce qui encore une fois ne s’imposait pas au regard de l’histoire mais reste parfaitement concevable au plan pastoral. La question n’est pas là : qu’elle soit liturgique ou pas, une bénédiction peut bénir un pécheur le cas échéant mais jamais bénir son péché. Car ce serait contradictoire avec la nature de la bénédiction qui consiste à « dire du bien », ce qui est impossible pour un mal. Il est dommage que le document ait passé tant de temps à établir cette distinction pourtant en partie inopérante entre deux sortes de bénédictions, comme pour faire oublier celle plus fondamentale entre le pécheur et son péché. Mais là encore, on ne saurait présumer une stratégie d’évitement, le pape rappelant comme une évidence que l’on doit bénir l’un sans bénir l’autre.
4. Bénir le pécheur impénitent ?
Faudrait-il alors ne bénir que des pénitents, ceux qui ont un réel propos de conversion ? C’est un fait que la Déclaration n’emploie jamais le mot de « conversion », même si l’idée s’y trouve, fort discrète au demeurant. Ainsi, pour ces « couples en situation irrégulière » ou « de même sexe », il est fait mention de « grâces actuelles » obtenues par de simples bénédictions pastorales sous forme de prière, « afin que les relations humaines puissent mûrir et grandir dans la fidélité au message de l’Évangile, se libérer de leurs imperfections et de leurs fragilités et s’exprimer dans la dimension toujours plus grande de l’amour divin. » (FS 31). Puis le propos s’élargit : « La grâce de Dieu agit en effet dans la vie de ceux qui ne se prétendent pas justes mais se reconnaissent humblement pécheurs comme tout le monde » (FS 32). Le Communiqué abonde dans ce sens en donnant l’exemple d’une bénédiction « spontanée » (non ritualisée) qu’il parait difficile de refuser à qui la demande : « Seigneur, regarde tes enfants, accorde-leur la santé, le travail, la paix et l’aide réciproque. Délivre-les de tout ce qui contredit ton Évangile et donne-leur de vivre selon ta volonté. Amen ».
La conversion n’est donc plus ici un préalable, un ferme propos du pénitent qu’il est bon de louer et dont la bénédiction peut « dire du bien ». Mais elle devient l’objectif, l’œuvre de Dieu dont on espère qu’elle s’accomplira dans les cœurs à la suite de cette bénédiction en tant qu’elle est une prière. Le bien qu’elle nomme se situe avant tout du côté de Dieu, son œuvre de salut ; puis du côté du pécheur, dans un futur conditionnel pour peu qu’il accueille en lui ce salut, sans qu’il lui soit demandé ici de partager ne serait-ce que cette espérance.
Ne doit-on pas tenir cependant à propos de toute bénédiction qu’elle doit être apte à « dire du bien » de son bénéficiaire, non seulement pour ce qu’elle donne mais d’abord en lui-même au temps présent, sans quoi elle serait mensongère ? C’est l’option de la Déclaration, qui considère que le simple fait pour un pécheur d’implorer Dieu avec confiance (c’est le titre : Fiducia supplicans) doit être accueilli comme un mouvement divin (FS 21). Pari que faisait déjà Blaise Pascal : « Console-toi, tu ne me chercherais pas si tu ne m’avais trouvé » (Pensées, Br. 553). Premier mouvement de la grâce (initium fidei) qui constitue donc un bien bénissable, l’objectif restant d’acheminer le pécheur jusqu’à la pleine conversion. Non seulement se tourner vers Dieu (conversio ad Deum) mais détester le péché qui l’en détourne (aversio a malo)[17].
On reconnaît la « via caritatis[18] », qui accompagne le premier « bien possible[19] » mais encore fragile pour le faire grandir petit à petit jusqu’à ce qu’il remplisse toute la vie. Ou encore la « loi de gradualité[20] », politique du « petit pas » et du « pas à pas » qui admet qu’il faille du temps et des étapes pour aller à la vérité. En voici douze pour l’illustrer. – Reconnaître un manque dans sa vie, d’où l’on se tourne vers Dieu. Envisager le mal dont on est responsable. Nommer son péché. Détester son péché. Croire que l’on peut soi-même être pardonné. Demander pardon. Considérer qu’une autre vie soit possible. La voir comme bonne en soi. La voir comme bonne et désirable pour soi. La croire possible pour soi, avec la grâce de Dieu. Prendre la décision de changer de vie, avec tout ce que cela implique. Le faire en acte et persévérer dans ce propos. – Tout cela peut prendre beaucoup de temps, voire des années, mais il ne faut pas désespérer car Dieu patiente à l’égard du pécheur. Saint Augustin en convient : « Mieux vaut suivre le bon chemin en boitant que le mauvais en courant[21]. »
La grâce n’est pas seulement ici un résultat final (état de grâce ; sainteté en acte) mais elle est une œuvre divine de transformation progressive (état de pèlerin ; sainteté en progrès). Encore faut-il toujours fixer fermement le but, condition de la loi de gradualité. Mais lorsque la conscience du pécheur est tellement faussée qu’il ne voit plus le but à atteindre, ou qu’il ne le voit pas comme bien, comment faire ? Il revient alors au pasteur de fixer pour lui le but et de l’accompagner dans la bonne direction, comme on guide un aveugle ; ce qui suppose d’établir avant tout une relation pastorale de confiance. C’est ainsi que la loi de gradualité exposée par Jean-Paul II dans Familiaris consortio se replace dans le cadre de l’accompagnement spirituel chez le pape François dans Amoris laetitia.
Il est bon de relire aussi la Déclaration Fiducia supplicans à la suite de l’exhortation apostolique Evangelii Gaudium pour y retrouver la vision pastorale du pape François d’une Église qui ne doit plus être une douane[22] où l’on devrait déclarer tous ses péchés avant d’entrer. Mais elle doit être un « hôpital de campagne[23] » où l’on entre tel qu’on est, malgré ses blessures et même à cause d’elles pour en être guéris. Ce qui importe, c’est de se sentir aimé et accueilli. Pas de se voir reprocher d’emblée tout ce qui ne va pas. En effet, il serait peu évangélique d’écraser le roseau froissé, d’éteindre la mèche qui faiblit (Is. 42,3 ; Mt 12,20), et imprudent d’effaroucher la brebis perdue avant de l’avoir attrapée. La vérité se fera en chemin. Le bon pasteur se montrera « un peu rusé »[24] : on n’attrape pas des mouches avec du vinaigre…
Cela peut expliquer qu’on ne dise pas forcément tout de suite au pécheur qu’il est en état de péché – et que la Déclaration ne le fasse pas non plus –, parce que pour pouvoir éclairer la conscience et la réformer, il faut avoir franchi plusieurs étapes préalables. Autrement, si l’on transforme le péché matériel en péché formel[25] en avertissant le pécheur ex abrupto lorsqu’il n’est pas prêt à l’entendre et à se convertir, il risque de tout rejeter en bloc comme un mensonge, ou désespérer de changer de vie, et l’on en sera responsable. Mais dans certains cas, le bien commun de l’Église prime, et l’on doit avertir le pécheur malgré tout. En se rappelant que l’appel direct à la conversion est lui aussi évangélique et attire au Christ (Ac 2,37 ; 3,19).
Pour toutes ces raisons, on peut admettre qu’il soit possible de bénir un pécheur même impénitent, non à raison de son péché ni pour son absence de conversion, mais pour le simple fait qu’il se tourne vers le Seigneur en implorant de lui quelque grâce, et en priant pour qu’elle fasse en lui son chemin. C’est une vérité, à condition de la replacer dans le tout.
Le risque est grand toutefois de détourner la via caritatis pour en faire une via peccatis. Il ne s’agirait plus alors d’accompagner le pécheur pas à pas, étape par étape, pour qu’il finisse par être libéré du péché dans lequel il est engagé. Mais il s’agirait d’accompagner l’Église pas à pas, étapes par étapes, pour qu’elle finisse par se libérer de la notion de péché dans laquelle elle était engagée. Taire le péché, non par stratégie évangélique pour faire progresser le pécheur vers la vérité, mais dans une stratégie mondaine pour faire progresser l’Église vers l’erreur et le mensonge. Le pape François a suffisamment dénoncé le procédé pour qu’on ne puisse pas le soupçonner de s’en faire le complice. On eut aimé pouvoir en dire autant de la Déclaration.
5. Situations « irrégulières »
L’expression « situation irrégulière » dont il a été fait mention plus haut n’est pas nouvelle dans les documents ecclésiaux. Elle se trouve par exemple sous la plume du cardinal Joseph Ratzinger (futur pape Benoît XVI) dans une lettre de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi de 1994 à propos de la communion des divorcés remariés : « les fidèles qui se trouvent dans des situations matrimoniales irrégulières[26]. » On entend par là ceux qui vivent à la manière d’un époux et d’une épouse (more uxorio) sans être effectivement mariés selon la loi de l’Église, c’est-à-dire pour des baptisés, sans le sacrement (Can. 1055). Soit qu’ils ne sont pas mariés du tout ; soit qu’ils le sont seulement civilement ; soit qu’ils sont divorcés et remariés civilement, c’est-à-dire séparés et réengagés dans une autre union que celle qui les unit sacramentellement.
La Déclaration Fiducia supplicans parait ajouter une précision nouvelle en distinguant systématiquement les « couples en situation irrégulière » des « couples de même sexe ». D’où l’on voit que la première catégorie n’inclut pas la seconde. Il ne faudrait pas en déduire a contrario que les « couples de même sexe » ne sont pas irréguliers, et partant qu’ils sont conformes à la règle. Simplement, l’expression étant déjà prise dans un certain usage, il fallait bien marquer la différence qui est d’abord de nature avant d’être de droit. Ceci étant, seuls les premiers sont renvoyés nominalement à leur irrégularité, tandis que des seconds, il n’est absolument rien indiqué dans le document : ni que leur vie de couple soit contraire à la règle, ni qu’elle soit objectivement désordonnée[27], voire intrinsèquement désordonnée[28], ni que cela constitue un péché ou une situation peccamineuse. Aucune qualification morale ou juridique ne leur est directement appliquée, ce qui pose question. Le Dicastère y voit-il toujours un péché, ou matière à péché ?
En réalité, la Déclaration rappelle clairement que « l’Église a toujours considéré comme moralement licites uniquement les relations sexuelles vécues dans le cadre du mariage » (FS 11) ; celui-ci étant défini comme « une union exclusive, stable et indissoluble entre un homme et une femme, naturellement ouverte à la génération d’enfants (…). Ce n’est que dans ce contexte que les relations sexuelles trouvent leur sens naturel, propre et pleinement humain. La doctrine de l’Église sur ce point reste ferme » (FS 4). On peut se demander si cette définition exclut les époux civils dans la mesure où le mariage civil n’est plus indissoluble, mais la question ne se pose pas pour les « couples de même sexe » qui par nature ne peuvent prétendre à former un mariage au sens où l’Église l’entend et non par simple irrégularité. Il est important d’y insister, car l’irrégularité peut être parfois régularisée, tandis que le défaut de nature ne peut jamais être comblé.
Or le Communiqué de presse sur la réception de Fiducia supplicans ne paraît plus tenir la distinction, qui ne fait plus état que des « couples en situation irrégulière » sans jamais mentionner les « couples de même sexe » sauf dans les citations de la Déclaration. Est-ce à dire que la seconde catégorie est mise provisoirement de côté pour calmer les esprits, ou bien que désormais les deux catégories n’en font qu’une, ce qui reviendrait à faire du défaut de nature un simple défaut légal, auquel on pourrait donc remédier ? Ceci est d’autant plus préoccupant que le vocabulaire de l’irrégularité n’est plus assorti de son fondement dans le réel ni d’aucune qualification morale. Si ce n’est plus qu’une question de règle, alors ne peut-on pas changer la règle ? Ou bien en faire une simple différence de statut, sans connotation morale – le moine non plus ne peut pas se marier : c’est contraire à la règle. Il vit autre chose…
6. Bénir le couple sans bénir l'union ?
Beaucoup se sont interrogés sur cette possibilité de bénir le couple sans bénir l’union, la différence entre les deux termes étant mal perçue – l’un et l’autre pouvant se comprendre en effet dans le sens d’une simple union affective, ou au contraire comme impliquant une relation sexuelle – ce qui fait que bénir l’un sans bénir l’autre apparait contradictoire dans les deux cas mais pour des raisons opposées. Il va de soi qu’il faut interpréter ces deux termes de telle sorte que la distinction des deux ne sera pas absurde.
Cela devient beaucoup plus clair si l’on suit l’interprétation que le pape lui-même en a donné : il s’agit de bénir le pécheur sans bénir le péché, comme on l’a vu précédemment. Le couple doit donc être considéré ici en tant qu’il est une réalité bonne, ou présentant quelque bien qui à ce titre est bénissable ; l’union en tant qu’elle est mauvaise, ou comportant un mal qui ne peut s’en dissocier, et pour cette raison n’est pas bénissable. Encore faut-il tenir la différence entre le pécheur et son péché, dans l’abstrait et dans le concret, ce qui suppose de pouvoir distinguer ce qui est un péché et ce qui ne l’est pas, ou ce qui sans être un péché lui reste toujours lié d’une manière ou d’une autre, et ce qui peut s’en détacher pour être sauvé.
En réalité, le problème se situe d’abord en amont dans l’usage du mot « couple » pour les deux catégories, « couples en situation irrégulière » et « couples de même sexe », comme si l’on pouvait les mettre sur le même plan, indépendamment de leurs différences de nature et pas seulement de droit, ce qui est une grande première dans un document du Saint-Siège. Ce que le précédent document de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi s’interdisait de faire, parlant d’union et de « partenariat[29] » pour les personnes de même sexe mais jamais de « couple ». « Cela contribue en effet à banaliser les relations homosexuelles : que vous soyez des deux sexes ou du même sexe, vous vivez « en couple » de la même manière, avec des relations de couple et une vie de famille comme tout le monde. Sans même déclarer ces unions comme étant simplement « irrégulières », on serait donc en train de les normaliser.
Le terme de « couple » est inadéquat et ne laisse pas de surprendre dans un document d’un Dicastère qui jusque-là nous avait habitué à un langage plus formel. Il est néanmoins admissible si l’on n’entend pas en faire un terme technique mais suivre en cela l’usage courant, sociologique, d’après la manière dont les gens parlent et se désignent. Ce ne serait pas la première fois qu’un Dicastère adopte un double niveau de discours (sans double langage), selon qu’il s’agit d’une approche dogmatique plus formelle ou d’une approche pastorale plus consensuelle (sans séparer la pastorale de la doctrine). Ainsi, en matière œcuménique, le Saint-Siège écarte résolument le terme d’Église pour les communautés protestantes, leur réservant l’expression « Communautés ecclésiales », car pour les catholiques ce ne sont pas des Églises au sens propre faute d’avoir la succession apostolique, n’ayant pas le sacrement de l’Ordre dont nous tenons qu’il est nécessaire pour consacrer des évêques successeurs des Apôtres. En revanche, on ne s’interdira pas de les nommer « Églises » pour en dresser la liste dans des documents pastoraux[30] lorsqu’on suit la manière dont elles se désignent. Le tout est de savoir de quoi l’on parle et à quel public. Mieux vaut le préciser.
7. Bénir le couple ou les individus ?
Plutôt que de bénir le couple sans bénir l’union, de nombreuses conférences épiscopales (celles d’Afrique, mais aussi la France et bien d’autres) ont préféré s’abstenir et s’en tenir à la bénédiction des individus sans bénir les couples. Ce faisant, on en revient au régime précédent du document de la Congrégation pour la Doctrine de la foi de 2021 ; la pointe de la Déclaration de 2023 qui en justifiait la nouveauté n’étant pas reçue. Le Dicastère a concédé après coup cette faculté dans son Communiqué de presse, eu égard au contexte de chaque pays dont il faut tenir compte, à la condition de ne pas en faire une affaire de principe pour rejeter l’apport doctrinal propre de la Déclaration.
La question demeure donc, que l’on reformulera ainsi : est-il possible, en théorie et en pratique, de bénir les couples dans la mesure où l’on vise une réalité bonne, sans bénir de ce fait leur union, qui en tant qu’elle est irrégulière ou contre nature n’est pas bénissable ? Nul ne se réduit à son péché, ce qui permet d’aimer le pécheur sans aimer son péché, et de bénir le pécheur sans bénir son péché. Peut-on en dire autant d’un couple de pécheurs et les bénir en tant que couple lorsqu’il apparait que la vie de couple est le lieu et l’instrument de leur péché ? Autrement dit : n’y a-t-il pas dans ce couple une part bonne qui ne serait pas liée de manière déterminante à la partie mauvaise, dont on pourrait l’en détacher pour la sauver ?
S’il est une partie saine qui mérite d’être considérée et conservée après rectification, c’est bien l’amitié. Une amitié belle et chaste ; la quête de la perfection chrétienne se renforçant « par le soutien d’une amitié désintéressée[31] » transfigurant l’attirance pour le même sexe. De même, pour les couples en situation irrégulière, l’Église admet qu’ils puissent au besoin rester ensemble à la condition de vivre dans la continence en frère et sœur, ce qui leur ouvrira l’accès aux sacrements de la pénitence et de l’eucharistie[32]. Et si ces « paires d’amis » ne tiennent pas encore parfaitement dans la continence, on peut encore concéder que leur amitié soit bonne et bénissable si elle les renforce au moins dans un propos mutuel de conversion et de recherche de sainteté à laquelle ils aspirent l’un et l’autre malgré leur faiblesse.
Peut-on aller au-delà ? Le précédent document de la Doctrine de la foi jugeait que non : « La présence dans ces relations d’éléments positifs, qui en eux-mêmes doivent être appréciés et valorisés, n’est cependant pas de nature à les justifier et à les rendre ainsi légitimement susceptibles d’une bénédiction ecclésiale, puisque ces éléments se trouvent au service d’une union non ordonnée au dessein du Créateur[33]. » Sans contredire le Responsum, la Déclaration Fiducia supplicans a voulu y ajouter « de nouvelles clarifications » (FS 2) : introduire cette distinction entre les bénédictions liturgiques pour lesquelles le Responsum reste applicable, et les bénédictions pastorales qui lui échappent. Pour autant, elles ne sont pas hors contrôle. Tout d’abord, le Communiqué a précisé que la Déclaration parlait de bénir les couples et jamais les unions. Puis le pape François a ajouté que l’on bénissait les pécheurs et non pas le péché. Il faut donc retenir qu’on peut bénir les couples de pécheurs mais pas les unions pécheresses. Au bout du compte, subsiste-t-il quelque différence de régime entre les deux textes et les deux sortes de bénédictions ?
De deux choses l’une. Ou bien l’on tient avec le Responsum que les « éléments positifs » du couple sont nécessairement « au service d’une union » pécheresse, et l’on voit mal comment bénir l’un sans l’autre alors qu’on ne le doit pas. Ou bien l’on admet avec la Déclaration que l’on puisse bénir l’un sans bénir l’autre, et il faudra alors montrer que ces « éléments positifs » du couple ne sont pas nécessairement « au service de l’union » mais peuvent s’en dégager. Nul besoin de multiplier les cas : un seul suffit pour en démontrer la possibilité, en dehors de l’amitié chaste présentée plus haut qui ne pose guère de difficulté. Prenons l’exemple donné par le Communiqué d’une prière où l’on demande au Seigneur de délivrer ces personnes de tout ce qui contredit l’Évangile et de vivre pleinement selon sa volonté. Comme on l’a vu, le seul « élément positif » que l’on doive considérer dans ce couple est leur demande de bénédiction, laquelle en l’occurrence n’est pas « au service de l’union » en tant qu’elle est pécheresse mais au contraire vise sa purification. Dans ces conditions, les bénédictions pastorales paraissent éviter le lien de dépendance que dénonçait le Responsum pour les bénédictions liturgiques.
Cependant, autre chose l’ordre objectif du réel, autre chose l’ordre de sa perception. Une bénédiction peut bien ne pas être liturgique, le ministre ne voulant poser là qu’un geste spontané non ritualisé, elle ne sera pas forcément perçue comme telle dans l’esprit des fidèles, pour qui trop souvent tout ce que touche le prêtre est béni, sans considération de cette nomenclature du liturgique, paraliturgique et non-liturgique qui échappe parfois même au spécialiste, ces champs périphériques étant encore insuffisamment explorés par la théologie. Qu’on le veuille ou non, la simple présence d’un ministre ordonné fera que son geste non rituel aura de fortes chances d’être mis à pied d’égalité avec des bénédictions liturgiques d’une efficacité bien supérieure, à valeur quasi consécratoire. Dans ces situations, on ne devrait donc pas seulement proscrire les bénédictions liturgiques en raison des liens objectifs qu’elles entretiennent avec les sacrements d’après le Responsum, mais aussi les bénédictions non-liturgiques au vu de la proximité qu’elles conservent encore avec les précédentes non pas tant dans l’organigramme des sacramentaux que dans la compréhension des intéressés, de l’entourage et des fidèles. Les vives réactions enregistrées à la suite de la Déclaration le démontrent amplement.
À ceci s’ajoute le fait que tant que la conscience de ces fidèles « en couple » est déformée au point de ne plus voir leur situation amoureuse comme peccamineuse, ce qui dans nos sociétés devient la norme même dans les milieux les plus traditionnels, on aura beau prier pour que le Seigneur convertisse en eux tout ce qui contredit son Évangile, ils le mettront au compte de tout le reste mais pas de cela. Autrement dit, cette bénédiction restera sans effet. À moins que l’effet visé soit justement celui-là : d’obscurcir les consciences en bénissant à tout-va le pécheur et son péché, le bien et le mal, ce qu’à Dieu ne plaise. Des ministres complaisants se prêteront facilement au jeu, au nom d’une conception erronée de l’amour qui couvre tout, lorsqu’ils ne partagent pas eux-mêmes l’idéologie qui le sous-tendrait. Aveugles qui guident des aveugles… ils tomberont dans une fosse (Mt 15,14). Sous couvert d’une orthodoxie censée irréprochable, une pastorale déviante s’installerait peu à peu à bas bruit, préparant le coup suivant qui consisterait à changer la doctrine et réécrire le Catéchisme en ce sens. Le simple geste apparemment bénin d’une bénédiction informelle s’avère un redoutable instrument pour la scotomisation des esprits. Si telle était la stratégie, elle marque ici un point d’arrêt qu’on espère définitif. Si tel n’était pas le cas, il serait bon de le manifester autrement que par des communiqués imprécis qui ne font qu’accroître le doute.
Dans ces circonstances, on comprend que nombre de Conférences épiscopales aient jugé plus urgent d’attendre ou de botter en touche pour calmer les esprits. Il reste à les éclairer.
8. Science du confessionnal et Bien commun
Au-delà des polémiques, cette affaire montre la difficulté d’ériger en règle universelle ce qui était pratiqué jusque-là par tous les pasteurs dans le secret du Confessionnal ou dans la discrétion d’un accompagnement personnalisé. N’était-ce pas une gageure, un objectif illusoire, la tâche étant de fait impossible ? Tandis que la règle doit demeurer générale et impersonnelle, disposer pour l’avenir, ces situations réclament un esprit de finesse et non de géométrie, un tact pastoral qui peine à se mesurer de loin et se gouverner d’en-haut.
Cela pose la question de l’articulation de la prudence pastorale et de la loi de charité oscillant parfois entre l’appréciation des situations concrètes et la promotion du bien commun. Ce qui n’est pas une difficulté propre à l’Église. L’époque fait primer les droits individuels sur le bien commun, ce qui à terme est ruineux pour toute société fût-elle ecclésiale. Peut-on sauver à tout prix la brebis perdue au point de perdre les quatre-vingt-dix-neuf autres ainsi délaissées ? L’ordre des pénitents de l’Antiquité avait cette fonction de stigmatiser le pécheur pour traiter à part le membre malade et ainsi éviter la contagion du corps entier. Au risque de croire que le pécheur n’est plus dans l’Église (ce qui est faux : l’Église est faite pour lui) ou que les autres sont parfaits (ce qui là encore est trompeur : tous doivent se convertir). On peut alors dénoncer la tentation donatiste d’une Église des parfaits, ouvrir toutes grandes les portes pour ne pas en faire une douane ou une prison. Mais que dire d’un hôpital de campagne où les malades siègent avec les bien-portants au point de ne plus offrir aucune résistance à la pandémie ? Que faire d’une barque de l’Église qui n’aurait ni boussole ni gouvernail, ouverte à tous mais soumise à tous vents, ne montrant plus le chemin ni son intention de le suivre ? Il n’est pas certain que la via caritatis et la loi de gradualité puissent aisément changer d’échelle en passant de la grille du confessionnal à la Confession de Pierre.
Plus largement, cela souligne l’enjeu de la globalisation de l’Église. Faut-il promouvoir et consacrer une théologie contextuelle et une pastorale contextuelle qui conduira fatalement à une dogmatique contextuelle au détriment de l’unité de la foi ? « Plaisante justice qu’une rivière borne ! Vérité au‑deçà des Pyrénées, erreur au‑delà » (B. Pascal, Pensées, Br. 294). Mais cela aura eu au moins le mérite de mettre l’accent sur la nécessité d’examiner de plus près un champ d’étude trop délaissé qui trouve ici un regain d’intérêt. En conclusion, pour répondre brièvement à la question posée dans le titre de cette étude : Peut-on bénir Fiducia supplicans ? Notre réponse sera tout aussi claire : ni oui, ni non, bien au contraire.
Fr. Thomas Michelet, op (Pontifical University of Saint Thomas Aquinas, Angelicum).
Pour aller plus loin : Thomas Michelet, « Synode sur la famille - La voie de l'Ordo paenitentium », Nova et Vetera 90 (2015), p. 55-80.
Sur le même sujet : Fiducia supplicans face au sens de la foi, fr. Emmanuel Perrier.
(Retour à la version française)
Can "Fiducia supplicans" be blessed?
For the past few weeks, a storm has been shaking the Catholic world, which could have done without it on the eve of Christmas.
On 18 December, the Dicastery for the Doctrine of the Faith published the Declaration Fiducia supplicans, which established "the possibility of blessing couples in an irregular situation and same-sex couples, without officially validating their status or modifying in any way the Church's perennial teaching on marriage"[1].
The media immediately seized on it, never expecting such a windfall, spreading the news that the Church was finally recognising the legitimacy of the same-sex couples it was blessing while waiting to recognise their marriages one day in the inevitable march of progress. It was impossible to argue that the text said the opposite, that it prohibited liturgical blessings insofar as they might resemble or be related to marriage, since the sacrament can only unite a man and a woman. Nothing was done, the case was heard. The news soon resumed its course, leaving the Christian people in turmoil.
Statements from bishops, cardinals and bishops' conferences soon followed. Some praised the text, sometimes regretting that it had not gone further, or seeing it as a first step towards the same-sex marriage that they were still hoping and praying for. Others, undoubtedly more numerous to express themselves in public, politely refused to implement it in the name of pastoral prudence and their own context, when they were not accusing it of contradiction, heresy or blasphemy. It's been a long time since the Church has gone through such a crisis, even if it's a long way from rebellion to schism.
The Declaration was presented as self-sufficient[2] but in the face of such reactions, however predictable and apparently foreseen, the Prefect had to explain himself, first in the press[3] and then in an official communiqué from the Dicastery[4]. Accusations of heterodoxy were quickly dismissed, on the grounds that Fiducia supplicans had unequivocally reaffirmed the Catholic doctrine of marriage and its incompatibility with liturgical blessings for "couples in an irregular situation", as established by the Congregation for the Doctrine of the Faith in a previous document[5] confirmed on this point. According to the Communiqué, the novelty is therefore not in blessing them or creating a new form of blessing for them, but in distinguishing more clearly than was previously the case between two already existing forms of blessing, "liturgical or ritualised" on the one hand and "spontaneous or pastoral" on the other. This doctrinal progress has legal and pastoral consequences. The ban on blessings for couples in an irregular situation was aimed only at the first form, and that remains the case; but it did not take into account the second form, which remains available for blessing couples without blessing unions.
Far from calming the situation, the explanation seems to have added to the confusion of many of the faithful and pastors, who have been plunged further into abysses of perplexity. It is therefore worth making our own contribution in an attempt to clarify at least some of the points of difficulty, as the Communiqué invites us to do: "The understandable statements made by certain bishops' conferences regarding the document Fiducia supplicans have the merit of highlighting the need for a longer period of pastoral reflection"; "Beyond the polemics, this text calls for an effort of serene reflection, with a pastor's heart, free from any ideology".
1. Principle of interpretative charity
Could the poor reception of the text be due to its internal flaws? Several bishops have deplored its lack of clarity, its ambiguities and even its contradictions. These are all things that could have been remedied by consulting more theologians, experts and members of the Curia, as should normally be done and which we would be all the more entitled to expect from a Church that claims to be synodal. Or should we invoke external reasons? The media follow their analytical grids in the logic of the world, leading even the faithful into a pre-understanding of the text that was not the right one. In both cases, is the confusion due to a communication error, or an unavowed aim?
In the name of the principle of interpretative charity, when a speaker seems to contradict himself, we should give him credit for not being an imbecile and seek a benevolent interpretation at the end of which his words will seem coherent. Similarly, since the author of the Declaration affirms "that there would be no room to distance ourselves doctrinally from this Declaration or to consider it heretical, contrary to the Tradition of the Church or blasphemous[6]", it is charitable to take him at his word until proven otherwise and to firmly reject any understanding of the text that would contradict him. If it is ambiguous or ambivalent, hold to the orthodox line of interpretation as being the correct one according to the intentio auctoris displayed, even if it is not the most obvious, while dismissing contrary interpretations as false and dangerous. Not by scientific observation but by hermeneutical decision.
It is, moreover, a constant principle of magisterial interpretation that the magisterium must be read in the light of the previous magisterium and, more broadly, of the Catholic faith that it has the mission of teaching. Anyone who rejects this principle of continuity in order to apply a hermeneutic of rupture, even if only to denounce it, would thereby be cutting himself off from the Tradition that holds him together, and would be falling into a kind of performative contradiction. We should not, therefore, prejudge the author's perverse intention, nor accuse him of playing a double game, even if the text could be read from one end to the other with a double meaning, giving rise to the suspicion of some hidden agenda. At the very least, it is regrettable that we have to carry out this work of clarification for him, in order to defuse the bomb that the text potentially contains, without being able to affirm that its author intended to put it there.
2. Bless the sinner without blessing the sin?
God loves the sinner but hates his sin. The two are not opposed, since the sinner does not identify with his sin, which is its disfigurement. God's love for the sinner therefore translates into a hatred of the sin from which he wants to free him, like the good doctor who fights the disease to save the patient, which is why he founded the Church. In the same way, God blesses the sinner without ever blessing his sin. The Pope made this clear distinction when he answered a question about the Declaration Fiducia supplicans at his meeting with the clergy in Rome[7].
The Declaration regrettably did not deem it necessary to make such a distinction from the outset, preferring instead to insist that even in a situation of sin, God preserves for the sinner his unconditional love, his gifts and his blessing[8], without ever specifying whether he blesses the sin at the same time. The Communiqué does not shed any light on this point.
To bless is to "speak well" (bene-dicere). So we can only bless the good, without ever blessing the bad. Otherwise, it would be tantamount to calling an evil good. Whereas in the beginning God separated the light from the darkness (Gen 1:4), the "sons of light" (Jn 12:36) would then become the children of the "Father of lies", a liar from the beginning (Jn 8:44).
Not only can we never bless evil, but we must never let anyone believe that we are doing so in any way whatsoever. For that would be a source of great scandal. And "woe to the man through whom the scandal comes" (Mt 18:7). Scandal is not to be appreciated on a subjective or sociological level (what shocks people) but on an objective and clinical level (what causes people to stumble in their faith, like the stone on the path): "If anyone should cause scandal to one of the least of these who believe in me, it would be better for him to have one of those millstones hung around his neck that donkeys turn, and to be swallowed up in the middle of the sea" (Mt 18:6).
Such a scandal would inevitably occur if the Church were to bless the sinner while letting it be thought that she was blessing his sin, for the faithful would then be inclined to understand that she was calling "good" what was evil and that the sin was no longer a sin. This is not only the intention of the minister, who can at least in theory aim at one without touching the other, but it is difficult to explain in practice, especially in the context of a "spontaneous blessing"[9] which should only last a few seconds[10]. But it must also be appreciated by the people concerned, who do not always understand the minister's intention or the meaning of a gesture that is too cryptic; some people favour ambiguity and then claim that the Church has blessed them by blessing their sin, thereby legalising their illegal situation. Far from helping their conversion, this would objectively cause them and those around them to fall away from the faith. Finally, the scandal is measured in the people of God, who do not always grasp these subtleties or allow themselves to be carried away by social networks, at the risk of believing that the faith is no longer what they used to believe, or that the Magisterium has ceased to defend it.
The author of the Declaration cannot be accused of having deliberately concealed this distinction between the sinner and his sin, nor of having intended to create scandal by such an omission. On the other hand, since the Dicastery claims to be at the service of the Holy Father's teaching[11], and since the Holy Father himself made it clear in relation to the document that one should bless the sinner without blessing the sin, it is now in the light of this simple distinction that the document should be interpreted and that anything to the contrary should be rejected with the greatest vigour.
It is a pity that "in order to avoid any form of confusion or scandal" (FS 39), the Declaration contented itself with indicating a few minimum rules of prudence presented as sufficient, without us having to expect anything more (FS 41). Especially if it was then to give the impression of contradicting itself with a Communiqué which in fact provided additional details, without having answered all the legitimate questions. In the same way, the Declaration seemed to bypass the Episcopal Conferences by ruling out the possibility of other rules, norms or procedures on their part (FS 30 and 37), addressing itself directly to the pastoral judgement of priests (FS 35 to 37), in other words going against the ecclesiology of Lumen Gentium with regard to the authority of the episcopate (LG 21) and taking a more pre-conciliar line, which may be disconcerting in a Church that also claims to be synodal. But such a reading is not necessary since the Communiqué has recognised the legitimacy of the Bishops' Conferences to take account of their own context in applying the document, which will give rise to additional rules of prudence and discernment[12].
3. Non-liturgical blessing?
According to the subtitle, the Declaration Fiducia supplicans deals with "the pastoral significance of blessings", offering a "specific and innovative contribution" to the subject[13]. In addition to blessings in general, which are dealt with in almost all the text (the word appears in 38 of the 45 issues), the real innovation, according to the Communiqué, consists in distinguishing, alongside liturgical blessings, spontaneous "pastoral" blessings[14] that are neither liturgical nor ritual, closer to popular piety[15]. This is the underlying reason for the Declaration and the subtitle. It should be noted that the Dicastery did not invent these non-liturgical blessings, as many have believed because they were unfamiliar with them. They are already to be found in Scripture and in the Church's immemorial practice, even if little attention was paid to them until then. Parents have always blessed their children or recited Benedicite at mealtimes, without any particular difficulty. Which goes to show that they are not all reserved for the clergy.
The Declaration recalls that liturgical blessings are not possible in the case of irregular situations, because "it is necessary that what is blessed may correspond to the designs of God inscribed in Creation and fully revealed by Christ the Lord" (FS 11), repeating one of the reasons already invoked by the Congregation for the Doctrine of the Faith[16].
On the other hand, it establishes that not all blessings are so closely linked to the sacraments that they should be granted under "the same moral conditions" (FS 12). It is therefore possible to "develop and enrich the meaning of blessings" (FS 7), to have a "broader understanding" (FS 13) in a "more pastoral approach" (FS 21). Blessings that require "no prior moral perfection" (FS 25), that are "offered to all, without asking for anything" (FS 27): "No one can be excluded from this thanksgiving and everyone, even if they live in situations that do not conform to the Creator's plan, has positive elements for which they can praise the Lord" (FS 28).
It is somewhat surprising that neither the Declaration nor the previous document of 2021 took into account the existence of penitential blessings in ancient times. Yet they were liturgical, according to a ritual that had long been enshrined in the Roman Pontifical. They were given during Mass, at the end of the Liturgy of the Word in the West, when the penitents left the congregation, or after the Eucharistic Liturgy in the East, when they attended the synaxis kneeling (flentes) or standing (stantes), depending on their progress in the Order of Penitents, without ever receiving Communion. Penance was then begun with the solemn imposition of ashes in the Cathedral at the start of Lent, and continued for years, depending on the type of offence, until reconciliation, which was also solemn in the Cathedral on Holy Thursday. This penance was therefore solemn in the liturgical sense; for all that, it was a question of blessing sinners, which contradicts the assertion that only the righteous can be blessed liturgically, or sinners on condition that it is not liturgical. Admittedly, these penitents recognised that they were sinners (a condition for entering the Order of Penitents) but they were not reconciled (a condition for remaining in it). Still sinners, they were indeed blessed liturgically.
This is where the previous point helps us to see things more clearly: blessing the sinner without blessing the sin. In the liturgical blessing of penitents, what exactly was being blessed? First and foremost God, who made the sinner a penitent in order to restore life to the dead. Then the sinner himself, not for his sin but for his conversion, which is excellent and praiseworthy. In order to obtain for him graces of support for his time of penance, which is extremely long and difficult. With a grace of perseverance, that he should do penance to the end, so as to be finally made fit for reconciliation with God and with the Church. Justification was therefore not a prerequisite for the blessing, but the opposite: the blessing given to the penitent in order to accomplish in him the work of justification, both as a process (in fieri) and as an end (in facto esse). This is one of the aspects presented by the Declaration (FS 31-32), often understood as a novelty, whereas this liturgical institution was moving in the same direction.
A better understanding of Tradition would therefore have made it possible to think differently about the distinction between liturgical and non-liturgical blessings, the latter alone being open to the sinner on the grounds that the former would not be, which once again was not necessary in the light of history but is perfectly conceivable from a pastoral point of view. That is not the point: whether liturgical or not, a blessing can bless a sinner if need be, but never bless his or her sin. This would contradict the nature of a blessing, which is to "speak good", which is impossible for an evil. It is a pity that the document has spent so much time establishing this distinction between two kinds of blessing, even though it is partly inoperative, as if to obscure the more fundamental distinction between the sinner and his sin. But here again, there is no presumption of a strategy of avoidance, as the Pope reminds us as a matter of course that one must bless the one without blessing the other.
4. Bless the unrepentant sinner?
Should we then only bless penitents, those who have a real intention of conversion? The fact is that the Declaration never uses the word "conversion", even though the idea is there, albeit very discreetly. Thus, for these "couples in an irregular situation" or "same-sex couples", there is mention of "present graces" obtained by simple pastoral blessings in the form of prayer, "so that human relationships may mature and grow in fidelity to the message of the Gospel, freeing themselves from their imperfections and frailties and expressing themselves in the ever greater dimension of divine love". (FS 31). Then it goes on to say: "God's grace is at work in the lives of those who do not claim to be just but humbly acknowledge that they are sinners like everyone else" (FS 32). The Communiqué goes further, giving the example of a "spontaneous" (non-ritualised) blessing that would be difficult to refuse if asked: "Lord, look upon your children, grant them health, work, peace and mutual help. Deliver them from everything that contradicts your Gospel and enable them to live according to your will. Amen."
Here, then, conversion is no longer a prerequisite, a firm intention on the part of the penitent, whom it is good to praise and whose blessing can "speak well of him". Instead, it becomes the objective, the work of God, which we hope will be accomplished in hearts as a result of this blessing insofar as it is a prayer. The good that it names is first and foremost on God's side, his work of salvation; then on the sinner's side, in a conditional future provided that he accepts this salvation within himself, without being asked here to share even this hope.
But should not every blessing be capable of "speaking well" of its recipient, not only for what it gives but first and foremost in itself in the present time, otherwise it would be untruthful? This is the option of the Declaration, which considers that the simple fact of a sinner imploring God with confidence (this is the title: Fiducia supplicans) must be welcomed as a divine movement (FS 21). Blaise Pascal had already made this point: "Console yourself, you would not seek me if you had not found me" (Pensées, Br. 553). The first movement of grace (initium fidei) is therefore a blessable good, the objective remaining to lead the sinner to full conversion. Not only to turn towards God (conversio ad Deum), but to detest the sin that turns him away (aversio a malo)[17].
We recognise the "via caritatis[18]", which accompanies the first "possible good[19]", which is still fragile, to help it grow little by little until it fills our whole life. Or the "law of graduality[20]", a policy of "small steps" and "step by step" that accepts that it takes time and stages to get to the truth. Here are twelve of them to illustrate. - Acknowledging a lack in your life, from which you turn to God. Consider the evil for which you are responsible. Name your sin. Hate your sin. Believe that you yourself can be forgiven. Ask for forgiveness. Consider that another life is possible. See it as good in itself. See it as good and desirable for oneself. Believe that it is possible, with God's grace. Make the decision to change your life, with all that this implies. Do it in deed and persevere with it. - All this can take a long time, even years, but we must not despair, because God is patient with sinners. Saint Augustine agrees: "It is better to limp along the right path than to run along the wrong one[21]."
Grace here is not just an end result (the state of grace; holiness in action), but a divine work of progressive transformation (the pilgrim state; holiness in progress). This is a condition of the law of graduality. But when the sinner's conscience is so distorted that he no longer sees the goal to be achieved, or that he does not see it as good, how can this be done? It is then up to the pastor to set the goal for him and to guide him in the right direction, as one guides a blind man; which presupposes above all establishing a pastoral relationship of trust. In this way, the law of graduality set out by John Paul II in Familiaris consortio is placed in the context of spiritual guidance by Pope Francis in Amoris laetitia.
It is also worth rereading the Declaration Fiducia supplicans following the Apostolic Exhortation Evangelii Gaudium to find Pope Francis' pastoral vision of a Church that must no longer be a customs office[22] where you have to declare all your sins before entering. Instead, it should be a "field hospital[23]" where we enter as we are, despite our wounds and even because of them, in order to be healed. The important thing is to feel loved and welcomed. Not to be reproached straight away for everything that's wrong. In fact, it would not be very evangelical to crush the crumpled reed, to extinguish the flickering wick (Is. 42:3; Mt 12:20), and it would be imprudent to frighten away the lost sheep before we have caught it. The truth will be revealed along the way. The good shepherd will show himself to be "a little cunning"[24] : you can't catch flies with vinegar...
This may explain why the sinner is not necessarily told straight away that he is in a state of sin - and why the Declaration does not do this either - because in order to be able to enlighten the conscience and reform it, it is necessary to have gone through several preliminary stages. Otherwise, if we transform material sin into formal sin[25] by warning the sinner ex abrupto when he is not ready to hear it and convert, he runs the risk of rejecting everything as a lie, or despairing of changing his life, and we will be responsible for this. But in some cases, the common good of the Church takes precedence, and the sinner must be warned in spite of everything. Remembering that the direct call to conversion is also evangelical and draws people to Christ (Acts 2:37; 3:19).
For all these reasons, we can accept that it is possible to bless a sinner, even an unrepentant one, not because of his sin or his lack of conversion, but simply because he turns to the Lord, imploring some grace from him, and praying that it will work its way into him. It's a truth, as long as you put it into perspective.
There is a great risk, however, of turning the via caritatis into a via peccatis. It would then no longer be a matter of accompanying the sinner step by step, stage by stage, so that he or she ends up being freed from the sin in which he or she is involved. Instead, it would be a matter of accompanying the Church step by step, stage by stage, so that it ends up freeing itself from the notion of sin in which it was involved. To silence sin, not as an evangelical strategy to move sinners towards the truth, but as a worldly strategy to move the Church towards error and lies. Pope Francis has denounced the process sufficiently for us not to suspect that he is complicit in it. We wish we could say the same about the Declaration.
5. "Irregular" situations
The expression "irregular situation" mentioned above is not new in ecclesiastical documents. For example, it was used by Cardinal Joseph Ratzinger (the future Pope Benedict XVI) in a 1994 letter from the Congregation for the Doctrine of the Faith on the communion of remarried divorcees: "the faithful who find themselves in irregular matrimonial situations[26]". By this is meant those who live as husband and wife (more uxorio) without actually being married according to the law of the Church, i.e. for baptised persons, without the sacrament (Can. 1055). Either they are not married at all; or they are only civilly married; or they are divorced and civilly remarried, i.e. separated and recommitted to a union other than the one that unites them sacramentally.
The Declaration Fiducia supplicans appears to add a new clarification by systematically distinguishing between "couples in an irregular situation" and "same-sex couples". This shows that the first category does not include the second. It should not be inferred a contrario that "same-sex couples" are not irregular, and therefore that they comply with the rule. Quite simply, as the expression is already used in a certain way, it was necessary to mark the difference, which is first and foremost one of nature before being one of law. This being the case, only the former are referred to by name in terms of their irregularity, whereas the latter are given absolutely no indication in the document: neither that their married life is contrary to the rule, nor that it is objectively disordered[27], or even intrinsically disordered[28], nor that this constitutes a sin or a sinful situation. No moral or legal qualification is directly applied to them, which raises questions. Does the Dicastery still see it as a sin, or as something to sin about?
In fact, the Declaration clearly recalls that "the Church has always considered as morally licit only sexual relations experienced within marriage" (FS 11), which is defined as "an exclusive, stable and indissoluble union between a man and a woman, naturally open to the generation of children (...) It is only in this context that sexual relations find their natural, proper and fully human meaning. The Church's doctrine on this point remains firm" (FS 4). We may wonder whether this definition excludes civil spouses insofar as civil marriage is no longer indissoluble, but the question does not arise for "same-sex couples", who by their very nature cannot claim to form a marriage in the sense in which the Church understands it, and not by mere irregularity. It is important to emphasise this, because irregularity can sometimes be regularised, whereas the defect in nature can never be remedied.
However, the press release on the reception of Fiducia supplicans no longer seems to make this distinction, referring only to "couples in an irregular situation" without ever mentioning "same-sex couples" except in quotations from the Declaration. Does this mean that the second category has been temporarily set aside to calm people's nerves, or that the two categories are now one and the same, which would be tantamount to making the defect in nature a mere legal defect that could be remedied? This is all the more worrying given that the vocabulary of irregularity no longer has any basis in reality or any moral qualification. If it is no longer just a question of the rule, then can't we change the rule? Or make it a simple difference of status, with no moral connotation - the monk can't marry either: it's against the rule. He lives something else...
6. Blessing the couple without blessing the union?
Many have questioned the possibility of blessing the couple without blessing the union, the difference between the two terms being misunderstood - one and the other can be understood as meaning a simple emotional union, or on the contrary as implying a sexual relationship - which means that blessing the one without blessing the other appears contradictory in both cases, but for opposite reasons. It goes without saying that these two terms must be interpreted in such a way that the distinction between the two is not absurd.
This becomes much clearer if we follow the Pope's own interpretation: it is a question of blessing the sinner without blessing the sin, as we saw earlier. The couple must therefore be considered here insofar as it is a good reality, or presenting some good which as such is blessable; the union insofar as it is bad, or comprising an evil which cannot be dissociated from it, and for this reason is not blessable. This presupposes being able to distinguish between what is a sin and what is not, or what, without being a sin, is always linked to it in one way or another, and what can be detached from it in order to be saved.
In reality, the problem lies first and foremost in the use of the word "couple" for the two categories, "couples in an irregular situation" and "same-sex couples", as if they could be put on the same level, regardless of their differences in nature and not just in law, which is a major first in a document from the Holy See. The previous document from the Congregation for the Doctrine of the Faith refrained from doing this, speaking of union and "partnership"[29] for people of the same sex, but never of "couple". This helps to trivialise homosexual relationships: whether you are of either sex or the same sex, you live "as a couple" in the same way, with couple relationships and a family life like everyone else. Without even declaring these unions to be simply "irregular", we would be in the process of normalising them.
The term "couple" is inappropriate and surprising in a document from a Dicastery that until now had accustomed us to more formal language. It is nonetheless acceptable if we do not intend to use it as a technical term, but rather to follow current, sociological usage, based on the way people speak and refer to each other. It would not be the first time that a Dicastery has adopted a double level of discourse (without double language), depending on whether it is a question of a more formal dogmatic approach or a more consensual pastoral approach (without separating pastoral care from doctrine). Thus, in ecumenical matters, the Holy See resolutely rejects the term "Church" for Protestant communities, reserving for them the expression "ecclesial communities", because for Catholics they are not Churches in the proper sense because they lack apostolic succession and do not have the sacrament of Holy Orders, which we hold is necessary to consecrate bishops as successors of the Apostles. On the other hand, we will not refrain from calling them "Churches" in order to list them in pastoral documents[30] when we follow the way they refer to themselves. The key is to know what you are talking about and to whom. It's best to be specific.
7. Bless the couple or individuals?
Rather than bless the couple without blessing the union, many bishops' conferences (those of Africa, but also France and many others) have preferred to abstain and stick to blessing individuals without blessing couples. In so doing, they reverted to the previous system of the Congregation for the Doctrine of the Faith's 2021 document, since the point of the 2023 Declaration that justified its novelty was not received. The Dicastery conceded this option after the event in its press release, in view of the context of each country, which must be taken into account, on condition that it is not used as a matter of principle to reject the Declaration's own doctrinal contribution.
So the question remains, which can be rephrased as follows: is it possible, in theory and in practice, to bless couples insofar as we are aiming for a good reality, without thereby blessing their union, which insofar as it is irregular or unnatural cannot be blessed? No one is reduced to his or her sin, which makes it possible to love the sinner without loving his or her sin, and to bless the sinner without blessing his or her sin. Can the same be said of a couple of sinners and bless them as a couple when it appears that their married life is the place and instrument of their sin? In other words, isn't there a good part in this couple that is not decisively linked to the bad part, which could be detached from it in order to save it?
If there is one healthy part that deserves to be considered and preserved after rectification, it is friendship. A beautiful and chaste friendship; the quest for Christian perfection is strengthened "by the support of a disinterested friendship[31]" transfiguring same-sex attraction. Similarly, for couples in an irregular situation, the Church accepts that they may, if necessary, remain together on condition that they live in continence as brother and sister, which will give them access to the sacraments of penance and the Eucharist[32]. And if these "pairs of friends" do not yet live perfectly in continence, we can still concede that their friendship is good and blessable if it at least strengthens them in a mutual desire for conversion and the search for holiness to which they both aspire despite their weakness.
Can we go further? The previous Doctrine of the Faith document judged not: "The presence in these relationships of positive elements, which in themselves must be appreciated and valued, is not, however, of such a nature as to justify them and thus make them legitimately susceptible of an ecclesial blessing, since these elements are at the service of a union not ordered to the plan of the Creator[33]." Without contradicting the Responsum, the Declaration Fiducia supplicans sought to add "new clarifications" to it (FS 2): to introduce this distinction between liturgical blessings, for which the Responsum remains applicable, and pastoral blessings, which fall outside it. For all that, they are not out of control. First of all, the Communiqué made it clear that the Declaration referred to blessing couples and never unions. Then Pope Francis added that we were blessing sinners and not sin. So we have to remember that sinful couples can be blessed, but not sinful unions. At the end of the day, is there any difference between the two texts and the two types of blessing?
One of two things. Either one holds with the Responsum that the "positive elements" of the couple are necessarily "at the service of a sinful union", and it is difficult to see how one can bless the one without the other when one should not. Or we can accept with the Declaration that we can bless one without blessing the other, and we will then have to show that these "positive elements" of the couple are not necessarily "at the service of the union" but can emerge from it. There is no need to multiply the cases: a single one is enough to demonstrate the possibility, apart from the chaste friendship presented above, which hardly poses any difficulty. Let's take the example given by the Communiqué of a prayer in which we ask the Lord to deliver these people from everything that contradicts the Gospel and to live fully according to his will. As we have seen, the only "positive element" to be considered in this couple is their request for a blessing, which in this case is not "at the service of the union" insofar as it is sinful, but on the contrary aims to purify it. Under these conditions, pastoral blessings seem to avoid the dependency that Responsum denounced for liturgical blessings.
However, the objective order of reality is one thing, the order of its perception is another. A blessing may well not be liturgical, since the minister is merely making a spontaneous, non-ritualised gesture, but it will not necessarily be perceived as such in the minds of the faithful, for whom all too often everything the priest touches is blessed, regardless of this nomenclature of the liturgical, paraliturgical and non-liturgical, which sometimes escapes even the specialist, since these peripheral fields are still insufficiently explored by theology. Whether we like it or not, the mere presence of an ordained minister means that his non-ritual gesture is likely to be put on an equal footing with liturgical blessings of far greater efficacy, with quasi-consecratory value. In these situations, not only should liturgical blessings be banned because of the objective links they have with the sacraments according to the Responsum, but also non-liturgical blessings because of the closeness they still retain with the previous ones, not so much in the sacramental organigram as in the understanding of those concerned, those around them and the faithful. The lively reactions to the Declaration amply demonstrate this.
Added to this is the fact that as long as the conscience of these faithful "couples" is deformed to the point where they no longer see their love situation as sinful, which in our society is becoming the norm even in the most traditional circles, no matter how much we pray that the Lord will convert in them everything that contradicts his Gospel, they will blame it on everything else, but not on this. In other words, the blessing will have no effect. Unless that is precisely what is intended: to cloud consciences by blessing sinners and their sins, good and evil, God forbid. Complacent ministers will easily lend themselves to this game, in the name of an erroneous conception of love that covers everything, when they themselves do not share the ideology that underlies it. The blind leading the blind... will fall into a pit (Mt 15:14). Under cover of a supposedly irreproachable orthodoxy, a deviant pastoral approach is gradually taking hold, preparing the ground for the next move, which would be to change the doctrine and rewrite the Catechism accordingly. The apparently benign gesture of an informal blessing turns out to be a formidable instrument for scotomising people's minds. If this was the strategy, it marks what we hope will be a definitive halt. If it wasn't, it would be a good idea to make this clear in ways other than imprecise press releases that only serve to increase doubt.
In these circumstances, it is understandable that many Bishops' Conferences have felt it more urgent to wait or to ignore the issue in order to calm people down. It remains to enlighten them.
8. Confessional science and the common good
Beyond the polemics, this affair shows the difficulty of setting up as a universal rule what was practised until then by all pastors in the secrecy of the Confessional or in the discretion of a personalised accompaniment. Wasn't this a gamble, an illusory objective, the task in fact impossible? While the rule must remain general and impersonal, and be prepared for the future, these situations call for a spirit of finesse and not of geometry, a pastoral tact that struggles to be measured from afar and governed from above.
This raises the question of how to articulate pastoral prudence and the law of charity, which sometimes oscillates between assessing concrete situations and promoting the common good. This is not a difficulty unique to the Church. These days, individual rights take precedence over the common good, and this is ultimately ruinous for any society, even an ecclesial one. Can we save the lost sheep at all costs, to the point of losing the ninety-nine others who have been left behind? The ancient order of penitents had this function of stigmatising the sinner in order to treat the sick member separately and thus avoid contagion of the whole body. At the risk of believing that the sinner is no longer in the Church (which is false: the Church was made for him) or that the others are perfect (which again is misleading: all must be converted). We can then denounce the Donatist temptation of a Church of the perfect, opening the doors wide so as not to turn it into a customs house or a prison. But what about a country hospital where the sick sit with the healthy to the point of offering no resistance to the pandemic? What are we to make of a Church ship that has neither compass nor rudder, open to all but subject to all winds, no longer showing the way or its intention to follow it? It is not certain that the via caritatis and the law of gradualness can easily change scale by moving from the grid of the confessional to the Confession of Peter.
More broadly, this highlights the challenge of the globalisation of the Church. Should we promote and consecrate a contextual theology and a contextual pastoral ministry that will inevitably lead to contextual dogmatics at the expense of the unity of the faith? "Pleasant justice that a river bounds! Truth this side of the Pyrenees, error beyond" (B. Pascal, Pensées, Br. 294). But it will at least have had the merit of highlighting the need to take a closer look at a field of study that has been neglected too long, and which is now finding renewed interest.
In conclusion, to briefly answer the question posed in the title of this study: Can Fiducia supplicans be blessed? Our answer will be just as clear: neither yes nor no, quite the contrary.
Fr. Thomas Michelet O.P. (PUST Angelicum)
Further reading:
Thomas Michelet, "Synod on the Family: the Path of the Ordo Paenitentium", Nova et Vetera 90 (2015), p. 55-80.