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La revue thomiste

Contenu éditorial

Dire oui au monde, Une théorie de la fête (J. Pieper)

Écrit par : David Perrin
Publié le : 22 Octobre 2024
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« La fête est en voie d’extinction... » Voilà le constat que Joseph Pieper (1904-1997) faisait en 1963, quarante ans avant que Philippe Muray (1945-2006) ne décrive homo festivus puis homo festivus festivus, « le dernier homme » en Occident[1] . Les deux auteurs dénoncent les « pseudo-fêtes » mais Pieper s’efforce d’exorciser le mal en cherchant le sens des fêtes véritables et ce qu’elles préfigurent. Pieper croit encore à la fête et il l’espère. Trois points principaux ressortent de cet essai qu’il dédie à son frère : le lien entre travail et fête (1), le consentement à l’être et au cosmos (2), l’ordre à Dieu dans le culte juste et bon que l'homme lui rend (3).

I. La fête comme « pause respiratoire »

C’est par l’angle du temps que Pieper aborde le thème de la fête. Le jour de fête ne se distingue-t-il pas du jour du travail ? « Le travail relève du quotidien tandis que la fête est quelque chose d’inusuel — une interruption dans le cours ordinaire du temps[2]. » Mais le temps de la fête n’est pas toujours un temps bref ou un temps qui cesse. La béatitude, en Paradis, sera une fête continue, éternelle. Mais sur terre, « dans l’existence de l’homme concret », « la saillie festive du jour de fête n’est rendue possible que par l’exception[3] ». Pieper rappelle que la fête est « une pause respiratoire », une « halte[4] » instituée par les dieux. L'homme est momentanément déchargé par les dieux des contraintes qui pèsent sur son existence. Pieper n'oppose pas travail et fête : « Il n’y a donc pas de fête — sinon dans une vie dont la forme habituelle est le travail[5]. » Un vrai travail appelle et rend possible une vraie fête. À l’inverse, les « pseudo-fêtes » manifestent un « pseudo-travail[6] » : « Une classe d’oisifs ou de fainéants peut bien se goberger dans le luxe, elle n’arrive guère à s’amuser vraiment et encore moins à célébrer une fête[7]. » Comment discerner ce qui est un vrai travail ? Pieper, malheureusement, ne développe pas ce point, du moins dans cet essai[8]. Il se contente de dire que le véritable labeur se reconnaît au fait qu’« il amène à la fois bonheur et fatigue, satisfaction et sueur au front, joie et déperdition de force vitale. Omet-on l’un des deux, que la réalité du travail s’en trouve falsifiée, et la fête devient impossible[9] ». La conviction de Pieper est que « seul un travail sensé constitue le terreau fertile où peut germer un jour de fête. Il est donc probable que les deux, travailler et fêter, vivent de la même racine : lorsque l’un meurt, l’autre se dessèche[10]. »

 

II. La fête comme oui au monde

Le refus d’opposer travail et fête constitue la première ligne de force de cet essai. La deuxième est inspirée par une remarque Nietzsche dans les Carnets des années 1875-1879 : « le tour de force n’est pas d’organiser une fête, mais de trouver des gens capables de s’en réjouir. » Pieper admire le caractère prophétique de la formule, qui annonce que « la fête est en voie d’extinction » mais qui en donne aussi la raison : « l’organisationnel à lui seul ne suffit pas à produire le festif [11]». Pieper n’est pas décliniste. Il sait que toutes les époques ont eu du mal à faire la fête mais il voit comme « une particularité de notre temps d’avoir expressément répudié la fête[12] ». Ce drame vient de la montée en puissance de l’organisationnel, du fonctionnalisme, du technologisme. Or « le concept de fête est impensable sans un élément de contemplation[13] ». Ce qu’il manque aux pseudo-fêtes, c’est « une écoute et donc une considération silencieuse de l’existence en son fondement[14] ». La fête est une activité au plus haut point métaphysique puisqu’elle touche à la considération de l'être.

Cette contemplation suppose un renoncement pratique aux affaires, une liberté de l’âme et du corps. Qui dit fête dit perte, manque à gagner, dépense. Il faut accepter de perdre mais les plus riches, dans cet exercice, ne sont pas forcément les plus fortunés : « la fête est essentiellement un phénomène de la richesse, non pas de l’argent, bien sûr, mais de la richesse existentielle[15] ». Les pseudo-fêtes se caractérisent, à l’inverse, par « un gaspillage absurde et excessif de ce qu’a rapporté le travail, le débordement qui submerge toute rationalité ». La fête véritable consiste en une perte ou plutôt un don. Mais à qui donner et surtout pourquoi donner ? Pieper affirme, de manière très large, qu’ « on ne renonce à quelque chose qu’en raison de l’amour[16] ». « Ubi caritas gaudet, ibi est festivitas : où l’amour se réjouit, là est la fête[17] », écrit saint Jean Chrysostome. Mais de quel amour et de quelle joie parle-t-on ? Pieper en vient à l’élément central de son développement : l’assentiment à l’être.

Derrière la joie festive qui s’enflamme dans le concret, il y a toujours un assentiment intégral, un consentement plein et universel, qui s’étend au monde dans son ensemble, aussi bien à la réalité des choses qu’à l’existence de l’homme lui-même. Ce consentement, bien entendu, ne se donne pas nécessairement à travers une réflexion consciente ; et il a moins encore besoin d’être explicitement formulé. Il est cependant le seul fondement de la fête, quel que soit l’événement fêté in concreto[18].

Pieper considère que ce oui ou cet amen est le fondement ultime de la fête : le « motif festif » par excellence. « Un tel ‘‘Amen’’ ne saurait faire abstraction de ce qu’il y a d’effroyable dans le monde. Son sérieux ne se manifeste que dans la confrontation avec le mal dans l’histoire[19]. » Dans la fête prime le oui envers et contre tout : « La fête vit de l’affirmation. Même les messes de funérailles, ni ‘‘le jour des morts’’ ni surtout le Vendredi Saint ne sauraient revêtir le caractère de fête, sinon sur fond de cette certitude : le monde et l’existence sont toujours d’aplomb[20]. » Une fête n’est pas toujours gaie mais la joie l’emporte toujours sur la tristesse, le oui sur le non : « Dans son noyau essentiel, la fête ne consiste en rien d’autre qu’à vivre ce consentement. Célébrer une fête signifie : célébrer le oui au monde, qui a déjà lieu tous les jours, mais pour un motif spécial et d’une manière qui sort l’ordinaire[21]. »

 

III. La fête comme louange de Dieu

La fête véritable est une manière de dire oui au monde mais aussi et surtout à Dieu. Voilà son origine, selon Pieper, et sa destination. Le passage du plan métaphysique et anthropologique au plan théologique se fait, comme souvent chez Pieper, insensiblement, comme si la chose allait de soi, et sans justification particulière. À la fin du troisième chapitre, Pieper énonce ainsi la conséquence qu’il dégage de ses observations précédentes :

On peut l’étager sur plusieurs niveaux. Premièrement, il est impossible de rencontrer un oui au monde qui soit aussi radical que la louange de Dieu, la célébration du Créateur de ce monde dans son ensemble ; un assentiment plus fort, plus inconditionnel que celui-ci, n’est pas même concevable. Deuxièmement, si le cœur de la fête consiste en ce que les hommes vivent l’accord avec tout ce qui est, alors il n’est pas de forme plus festive de la fête que la célébration religieuse. Le revers de la médaille est que — troisièmement — il ne peut y avoir de destruction plus mortifère, plus désespérée du festif que le déni de la louange cultuelle ; ce ‘‘non’’ éteint l’étincelle à laquelle la flamme déjà mourante de la fête pourrait être ranimée[22].

Pour Pieper, « la fête religieuse est la forme la plus festive de la fête ». Les fêtes séculières existent, les fêtes profanes, en revanche, sont des oxymores : « Il y a des fêtes séculières, mais point de fêtes purement profanes. Ce qui suppose non seulement qu’il ne s’en rencontre pas de facto, mais plus encore qu’il ne peut logiquement y en avoir. La fête sans les dieux est un non-concept (comme un cercle qui n’aurait pas de centre)[23]. »

Les fêtes d’État, purement légales, ne sont que des commémorations. Ces fêtes sont mortes parce qu’elles ne s’inscrivent pas dans une tradition vivante[24]. Une fête n’est digne de ce nom, selon lui, qu’à condition d’être reliée, même très indirectement, au culte divin. La fête est religieuse, sacrificielle. Elle ouvre l’homme à un autre monde : « En célébrant une fête, l’homme franchit les barrières de l’existence temporelle et locale[25]. » Cette ouverture n’est pleinement réalisée qu’en christianisme lorsque le temps des hommes s'ouvre dans l’éternité de Dieu. Pieper a des pages très belles sur le « jour que fit le Seigneur » (Ps 117, 24). L’objet de la fête véritable n’est pas inventé par l’homme mais reçu de Dieu : « l’homme peut sans doute organiser une fête, mais il ne saurait créer ce qui est à fêter. Ni le motif festif ni l’attrait qui incite à célébrer ne dépendent de ses pouvoirs[26]. » La fête suppose le don et plus précisément le don de Dieu.

Autour de ces trois thèses — la fête ne s’oppose pas au travail mais en découle ; la fête est au consentement au monde ; la fête véritable est religieuse et plus précisément chrétienne — une multitude d’idées gravitent et donnent au livre sa saveur. On peut noter, entre autres, les développements sur l’art et la fête dans le chapitre VI ou bien encore, au chapitre VII, les notes passionnantes sur les fêtes instituées par la Révolution, comme la fête de la Raison ou la fête de l’Être suprême, simulacres qui confirment plus qu’elles n’infirment le lien indissoluble de la fête et du culte. Ces fêtes sont, pour Pieper, les contre-exemples parfaits de la fête, les anti-fêtes par excellence. Il faut que l’homme moderne occidental tire la leçon de ces échecs et qu’il reconnaisse sa dépendance à l’égard de Dieu pour être heureux et se réjouir :

La fête est rendue ici impossible parce que l’homme prétend à l’auto-suffisance. Il ne veut pas reconnaître la bonté des choses, qui va bien au-delà de tout bénéfice concevable. Ce n’est que par la bonté de la réalité dans son ensemble que tous les autres biens particuliers commencent à devenir désirables, et cette bonté première, l’homme n’est jamais en état ni de la produire lui-même ni de la réduire au bien-être social ou individuel. Il n’y prend réellement part que dans la mesure où il la reçoit comme don. Et la seule manière d’y répondre avec justesse est la louange de Dieu dans la célébration d’un culte. En un mot, c’est le refus de la louange cultuelle qui dessèche la fête à sa racine[27].


Il convient, pour finir, de saluer, outre la traduction très fluide, la préface de F. Hadjadj. Son intérêt réside autant dans la présentation des idées de Pieper que dans le développement et le prolongement de sa réflexion. Hadjadj se concentre sur « le motif festif » par excellence, celui de l’assentiment au monde, en s’interrogeant, en particulier, sur la fête d’anniversaire : « Pourquoi fêter la naissance d’un mortel ? Et même s’il est énarque et ministre de l’intégration sociale, ne conviendrait-il pas mieux de pleurer ? C’est la question à laquelle Joseph Pieper s’efforce de répondre dans ce petit essai implacable et jubilatoire[28]. » Cette question est, en effet, abordée par Pieper mais elle n’a pas la place centrale que lui donne Hadjadj. Aussi faut-il voir, dans cette préface, un texte important du philosophe qui poursuit ici sa réflexion sur la génération, la paternité, la filiation et la famille.

Celui-ci remarque que la célébration de l’anniversaire de naissance ne va pas de soi. Cela suppose de connaître sa date de naissance, ce qui réclame de s’en remettre à la mémoire d’autrui et, par conséquent, de faire confiance à ceux qui nous précèdent et nous engendrent. Une date suppose également un calendrier, c’est-à-dire une certaine organisation sociale du temps. L’objet de la fête, enfin, pose question. Pourquoi célébrer le jour de la naissance et ne pas préférer, par exemple, celui de sa conception ? Ne serait-ce pas réduire le mystère de la vie à sa partie visible ? La naissance, enfin, d’un homme est-elle si digne d’être célébrée ? « Moralement, fêter un anniversaire suppose trois choses : primo, qu’il est bon d’être né ; deuxio, qu’il est bon de prendre une année de plus ; tertio, que le simple fait d’être né, et non celui d’avoir vécu dans la justice, ou de mourir en état de grâce, suffit à une célébration collective et sans réticence[29]. »

Le premier point n’a rien d’évident. Ne faudrait-il pas, à la manière des Thraces, selon Hérodote, célébrer dans les larmes la naissance, prélude à tant de maux et de peines, et se réjouir de la mort, prélude d’une félicité parfaite ? « La faute de logique est assez évidente : comparer le fait d’être né avec le néant équivaut à comparer quelque chose avec le rien, et donc à ne rien comparer. Le néant ne se situe pas sur l’échelle des réalités positives. Il ne saurait être ‘‘mieux’’ que quoi que ce soit[30]. » La vie ne peut être comparée à la mort : « La vie naissante ne peut être critiquée que par comparaison avec la vie véritable, et non avec le néant[31]. » Ce point conduit au deuxième présupposé de la fête d’anniversaire dégagé par Hadjadj : est-il bon de vieillir ? Le vieillissement semble un mal. Mais on peut considérer aussi qu’avec l’âge viennent l’expérience, la sagesse, le recul, une meilleure connaissance de soi, des autres et des choses, etc. La vieillesse peut être profitable mais il ne faut pas rester à cette vision utilitariste des âges de la vie. Il convient d’acquiescer au temps qui passe et au devenir. La troisième question posée par la célébration de la naissance est difficile. Ne devrait-on pas célébrer la naissance à la grâce ou la naissance au ciel, comme le faisaient les chrétiens, plutôt que la naissance à la vie terrestre ? Les deux seules personnes, dans la Bible, qui fêtent leur anniversaire sont Pharaon et Hérode. N’est-ce pas le signe d’une fête égocentrique et narcissique ? Pour concilier les différents points de vue, Hadjadj dit que « le jour de ma naissance est saint, non parce que je le suis déjà, mais parce qu’il constitue un appel à la sainteté. Ma venue au jour m’indique que je dois venir à la pleine lumière. Le moment où je deviens visible m’incite à devenir digne de la gloire. La seule manière de fêter ma naissance est d’entrer plus avant dans la justice[31]. » Hadjadj, à la suite de Pieper (et de Rémi Brague[33]), voit dans la célébration de la naissance un acquiescement à la vie reçue, une gratitude à l’égard du bien qu’est l’existence : « À quoi bon être né, à quoi bon même faire le bien, s’il n’est pas bon d’être, tout simplement ? Il faut que l’existence en elle-même, et donc celle de toutes les choses dans leur admirable interdépendance, soit bonne, pour qu’on puisse vraiment dire ‘‘bon anniversaire’’ ou même seulement ‘‘bonjour’’[34]. »

 

Fr. David Perrin, o.p.

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[1]Cf. Philippe Muray, Après l’Histoire I [1999], dans Essais, édition annotée par Vicent Morch, Paris, Les Belles Lettres, Paris, 2010, p. 82-114 ; Id., Festivus festivus. Conversations avec Élisabeth Lévy, Paris, Fayard, 2005, p. 11 : « Ce festivocrate de la nouvelle génération qui vient après Homo festivus comme Sapiens sapiens a succédé à Homo sapiens, est l’individu qui festive qu’il festive à la façon dont Sapiens sapiens est celui qui sait qu’il sait ; et s’il a fallu lui donner un nouveau nom, ce n’était pas dans la vaine ambition d’ainsi inventer un nouvel individu mais parce que ce nouvel individu était bel et bien là, partout observable, et qu’il reléguait déjà son ancêtre Homo festivus au musée des âges obscurs du festivisme taillé. » ↩

[2] Joseph Pieper, Dire oui au monde. Une théorie de la fête, traduction française par Fabrice Hadjadj et Jean Granier, préface de Fabrice Hadjadj, Paris, Salvator (coll. « Philanthropos »), 2022, p. 39. ↩

[3] Ibid., p. 40. ↩

[4] Platon, Les Lois, II, 653d [trad. L. Brisson et J.-F. Pradeau, Œuvres Complètes, Paris, Flammarion, 2008, p. 710] : « Mais les dieux, prenant en pitié l’espèce humaine naturellement soumise à tant de labeurs, ont institué, comme une halte au milieu de ces labeurs, l’alternance des fêtes en leur honneur (...). »  ↩

[5] Loc. cit. ↩

[6] Loc. cit. ↩

[7] Loc. cit. ↩

[8] Il le fait un peu plus dans Le loisir, fondement de la culture, traduit de l’allemand par Pierre Blanc, préface de Bernard N. Schumacher, Genève, Ad Solem (coll. « Joseph Pieper »), 2007. ↩

[9] J. Pieper, Dire oui au monde, op. cit., p. 41.

[10] Ibid., p. 41-42. Comme le résume F. Hadjadj avec ironie : « Pour qui n’a qu’un ‘‘taf’’, il ne peut exister que des ‘‘teufs’’. » F. Hadjadj, op. cit., p. 26. ↩

[11] Ibid., p. 52. ↩

[12] Loc. cit. ↩

[13] Ibid., p. 55. ↩

[14] Ibid., p. 54-55. ↩

[15] Ibid., p. 59. ↩

[16] Ibid., p. 61. ↩

[17] Cette phrase est bien de saint Jean Chrysostome mais elle n’est pas tirée des homélies sur la pentecôte mais d’une homélie « Sur son retour d’Asie » : « Ubi enim caritas gaudet, ibi est festivitas et ubi recepi laetantes filios, maximam celebro festivitatem. Etenim et illa festivitas caritas est. » Jean Chrysostome, « À son retour d’Asie », § 14 [éd. Antoine Wenger, « L’homélie de saint Jean Chrysostome ‘‘À son retour d’Asie’’. Texte grec original retrouvé. Édition et commentaire. », Revue des études byzantines 19 (1961), p. 119-121]. ↩

[18] Ibid., p. 68. ↩

[19] Ibid., p. 69. ↩

[20] Ibid., p. 71. ↩

[21] Ibid., p. 73. ↩

[22] Ibid., p. 75. ↩

[23] Ibid., p. 78. ↩

[24] J. Pieper, Le concept de tradition, traduction de Claire Champollion revue par Pierre Blanc avec la collaboration de Pierre Lane, introduction de Kenneth Schmitz, Genève, Ad Solem (coll. « Joseph Pieper »), 2008. ↩

[25] J. Pieper, Dire oui au monde, op. cit., p. 89. ↩

[26] Ibid., p. 115. ↩

[27] Ibid., p. 127. ↩

[28] F. Hadjadj, « Préface », op. cit., p. 8-9. ↩

[29] Ibid., p. 16. ↩

[30] Ibid., p. 17. ↩

[31] Ibid., p. 17. ↩

[32] Ibid., p. 20. ↩

[33] Cf. Rémi Brague, Les Ancres dans le ciel. L’infrastructure métaphysique de la vie humaine, Paris, Le Seuil (coll. « L’ordre philosophique »), 2011. ↩

[34] F. Hadjadj, « Préface », op. cit., p. 20. ↩

La véritable obéissance dans l’Église (P. Kwasniewski)

Écrit par : Henry Donneaud
Publié le : 16 Juillet 2024
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Peter Kwasniewski, musicien et philosophe honorablement connu parmi les thomistes américains pour ses travaux sur la psychologie de l’amour, a pensé opportun de soutenir les fidèles catholiques ébranlés par le motu proprio du pape François sur la liturgie, Traditionis custodes. L’intention est louable. La manière de le faire risque pourtant de produire l’effet inverse et desservir la cause de la messe tridentine. Ce petit opuscule, reprise augmentée d’une conférence donnée en octobre 2021, développe une thèse que l’on peut résumer ainsi : l’obéissance, en particulier dans l’Église, est tout entière encadrée et conditionnée par le service du bien commun (p. 13-36) ; or le missel de S. Pie V appartient au bien commun de l’Église, de sorte qu’aucune autorité ecclésiale ne peut en interdire l’usage non plus que promulguer une forme de célébration différente (p. 36-57) ; donc, la réforme liturgique promue depuis Vatican II ayant bouleversé les rites traditionnels de l’Église et ainsi attenté à son bien commun, les fidèles, en conscience, ne sont pas tenus de s’y soumettre et doivent plutôt, par obéissance à la tradition véritable, s’y soustraire (p. 58-86).

Le développement initial sur l’obéissance, puis celui, dans la dernière partie, sur les droits de la conscience seraient de bonne facture thomiste, s’ils ne donnaient trop de gîte du côté d’une défiance envers l’œuvre liturgique de tous les pontifes romains depuis au moins Pie XII, de sorte qu’aucun des successeurs de Pierre, depuis le milieu du XXe siècle, ne semble pouvoir être tenu pour un guide sûr, digne d’être obéi. L’idée même d’une telle déficience dans l’assistance divine du Siège apostolique ne laisse pas d’offusquer un sens catholique un tant soit peu aiguisé.

Le défaut le plus flagrant affecte la mineure du raisonnement. L’auteur fonde en effet celle-ci sur une thèse théologique tout à fait novatrice, inconnue de la tradition, sans aucun appui dans le magistère, et qui frôle tout simplement l’hétérodoxie. La « liturgie traditionnelle », – selon que l’auteur désigne la messe tridentine, – jouirait en effet d’une autorité quasiment divine, découlant d’une inspiration directe par l’Esprit Saint, quasiment à l’égal de l’Écriture, de sorte que le missel de S. Pie V, qui en est le vecteur, serait en lui-même immuable et inaltérable, sans qu’aucun pontife romain ne puisse décider son remplacement jusqu’au retour du Christ. Faute d’une saine théologie fondamentale, l’auteur prétend relire l’histoire de la liturgie chrétienne selon deux grands moments : durant une première phase, qui semble correspondre aux quinze premiers siècles de l’Église, la liturgie aurait connu un processus de développement progressif, sous l’effet d’une « inspiration » de l’Esprit saint, jusqu’à ce que soit atteint, – de toute évidence avec le missel de S. Pie V, – « une plénitude d’expression doctrinale, une saturation symbolique », de sorte que ses rites cessent alors de se développer pour entrer dans une seconde phase qui ne sera plus que de conservation, l’Esprit saint y intervenant non plus pour « inspirer » mais seulement pour « maintenir l’héritage » : « Comme l’histoire le démontre, l’action de l’Esprit passe progressivement de l’inspiration de prières entièrement nouvelles à la préservation et à la sanctification des prières inspirées, du culte déjà familier, aimé, normatif et participant des qualités de la révélation de Dieu » (p. 39). On reste stupéfait devant l’énormité d’une telle affirmation, qui ne fait rien moins qu’étendre la phase d’accomplissement de la Révélation constitutive, avec son autorité divine, bien au-delà du Christ et des apôtres, durant des siècles, jusqu’à ce qu’un événement dont rien n’est dit avec précision par l’auteur, – faute évidemment de tout appui dans la foi et la tradition de l’Église, – vienne marquer le terme de cette révélation plénière de la liturgie et inaugurer une phase purement conservatoire, en laquelle rien ne peut plus être changé par l’Église dans ses rites, sinon de façon accessoire et mineure (ajout de nouvelles fêtes, de nouveaux saints). Laisser penser que la révélation n’a pas été « achevée avec les apôtres » et se serait poursuivie, en matière liturgique, bien des siècles après eux, encourt la censure du n° 21 du décret Lamentabili de Pie X contre une erreur typiquement moderniste (DzH 2021).

Soit par ignorance, soit par gêne, l’auteur passe totalement sous silence les solides déterminations magistérielles qui garantissent au contraire le droit souverain de l’Église de modifier certains rites, fût-ce manière importante, et d’en inventer de nouveaux. Le concile de Trente posa lui-même ce principe dogmatique, contre les protestants qui déniaient à l’Église le pouvoir de limiter la communion eucharistique des fidèles au seul Corps du Christ, alors que le Christ avait institué ce sacrement sous les deux espèces : « [Le concile] déclare en outre qu’il y a toujours eu dans l’Église, pour la dispensation des sacrements, étant sauve leur substance, le pouvoir de statuer ou modifier ce qu’elle jugerait mieux convenir à l’utilité de ceux qui les reçoivent et au respect des sacrements eux-mêmes, selon la diversité des choses, des temps et des lieux » (DzH 1728). Hormis la substance des sacrements, qui est d’institution divine et donc immuable, la liturgie est laissée au pouvoir de l’Église qui, à travers la hiérarchie apostolique, a autorité pour en régler le déroulement. Le concile Vatican II n’a fait que déployer cette vérité, en précisant que l’Église se doit de « restaurer » la liturgie lorsque certains éléments en ont été déformés par le temps ou sont devenus inadaptés : « Pour que le Peuple chrétien obtienne plus sûrement des grâces abondantes dans la liturgie, la sainte Mère l’Église veut travailler sérieusement à la restauration générale de la liturgie elle-même. Car celle-ci comporte une partie immuable, celle qui est d’institution divine, et des parties sujettes au changement qui peuvent varier au cours des âges ou même le doivent, s’il s’y est introduit des éléments qui correspondent mal à la nature intime de la liturgie elle-même, ou si ces parties sont devenues inadaptées » (Sacrosanctum concilium, n° 21). Déjà Pie XII, loin d’élever le missel de S. Pie V au rang de texte inspiré au point de le tenir pour immuable, avait reconnu que des changements introduits au moyen âge avaient altéré de façon notable l’équilibre de la célébration du mystère pascal, au point que l’Église, pour la vérité et la fécondité même de sa liturgie, se devait d’en « restaurer » l’ordo « selon sa splendeur primitive » (AAS 1951, p. 129), c’est-à-dire avant les altérations médiévales. L’auteur est d’ailleurs conséquent avec ce rejet implicite d’un point important de la doctrine catholique, puisqu’il conteste la légitimité de la réforme de Pie XII, en laquelle il voit déjà « une rupture de la Tradition catholique et donc un péché contre la Providence liturgique de Dieu » (p. 109, n. 52). Rappelons pourtant que le projet d’une réforme générale de la liturgie romaine remonte à S. Pie X qui, dans son motu proprio  de 1913 Abhinc duos annos, prévoyait déjà « qu’une longue suite d’années sera nécessaire avant que cet édifice liturgique que l’Épouse mystique du Christ a élevé avec un zèle clairvoyant en témoignage de sa piété et de sa foi apparaisse de nouveau dans la splendeur de sa dignité et de son harmonie, comme nettoyé de la crasse de la vétusté (tanquam deterso squalore vetustatis) » (AAS 1913, p. 449). Il semble bien qu’aux yeux de S. Pie X, le missel de S. Pie V lui-même n’a pas échappé à cette fatalité du dépôt de crasse que le cours des siècles a infligé à la liturgie catholique, au point d’en ternir « la splendeur » et d’en rendre nécessaire la restauration. Ce n’est donc point une prétendue lecture « protestante » de l’histoire de la liturgie qui a guidé les Pontifes romains dans cette grande œuvre de réforme tout au long du XXe siècle, mais un sens pétrinien très sûr de la tradition véritable.

Si l’esprit de libre examen et d’innovation doctrinale qui semble habiter l’auteur lui permet d’ignorer voire de récuser de facto l’autorité du magistère de l’Église en ses expressions parmi les plus hautes, une oreille catholique soupçonnera ici des propos pour le moins malsonnants. Car en faisant de ce qu’il appelle « le culte liturgique traditionnel de l’Église », tel que fixé une fois pour toutes dans le missel de S. Pie V, « une expression fondamentale, normative et immuable de sa lex credendi » (p. 46), l’auteur dénie à Pie XII et à Paul VI, et donc à tout Pontife romain postérieur à Pie V, le pouvoir légitime de réformer le Missel romain et en particulier d’en produire une nouvelle édition qui, tout en assurant fidèlement la transmission de la substance de l’Eucharistie, en restaurerait nombre d’éléments que le cours des siècles aura altéré. Ce faisant, non seulement il étend abusivement l’autorité divine de la révélation à des pratiques liturgiques, telles que codifiées dans le missel de S. Pie V, qui ne sont en vérité que des coutumes ecclésiastiques sujettes au changement, si vénérables soient-elles, mais il porte atteinte à la primauté pontificale en soumettant indûment l’autorité du Pontife romain à de simples traditions humaines.

Il n’est pas jusqu’à Benoît XVI que l’auteur ne malmène, selon un procédé proche de la manipulation. En apparence, il s’appuie sur le motu proprio de 2007 qui a libéralisé l’usage du Missel tridentin, Summorum pontificum pour dénoncer, dans Traditionis custodes, une « contradiction » du pape François avec son prédécesseur (p. 52). En réalité c’est l’auteur lui-même qui contredit frontalement Benoît XVI en prétendant « que le rite romain classique et le rite moderne de Paul VI sont deux rites liturgiques différents – si différents dans leur contenu, qui comprend les textes, la musique, les rubriques, les cérémonies et les accessoires, que le second ne peut en aucun cas être considéré comme une simple “révision” ou une “nouvelle version” du premier » (p. 57). Benoît XVI, dans l’article premier de Summorum pontificum, avait enseigné formellement le contraire : « Ces deux expressions de la lex orandi de l’Église n’induisent aucune division de la lex credendi de l’Église ; ceux sont en effet deux mises en œuvre de l’unique rite romain » (AAS 2007, p. 779). Et le pape de préciser la chose dans la lettre d’accompagnement : « Il n’est pas convenable de parler de ces deux versions du Missel romain comme s’il s’agissait de “deux rites”. Il s’agit plutôt d’un double usage de l’unique et même rite » (AAS 2007, p. 795). Fidèle à sa définition d’une « herméneutique de la réforme » opposée à une malheureuse et maladive « herméneutique de la rupture », Benoît XVI avait pris soin d’affirmer « qu’il n’y a aucune contradiction entre l’une et l’autre édition du Missale romanum. L’histoire de la liturgie est faite de croissance et de progrès, jamais de rupture » (AAS, p. 798). Le Souverain Pontife ne pouvait l’enseigner plus nettement : le missel de Paul VI ne marque aucune rupture avec le missel tridentin, seulement sa réforme dans la continuité, selon une synthèse de fidélité et de dynamisme. L’auteur prétend pourtant le contraire : « Nous n’avons pas à faire à une simple version légèrement révisée du même missel, mais à une véritable rupture telle qu’il existe deux rites romains dont les causes, les principes, les éléments et les manifestations sont conflictuels et concurrents » (p. 57). Or lorsque Benoît XVI enseigne que les missels de Pie V et Paul VI sont « deux mises en œuvre du même rite », il ne se contente pas de décrire un fait discutable et d’énoncer une opinion personnelle ; il déclare avec l’autorité du successeur de Pierre que ces deux missels expriment la même vérité de la lex orandi, évolutive mais sans rupture, du rite romain.

Libre à l’auteur de s’estimer dispensé de donner son « assentiment religieux » à un tel enseignement ; plus délicat, pour un docteur catholique, le fait d’y porter contradiction publique et péremptoire, en vertu d’un jugement se prétendant supérieur à celui du pontife romain. Ce faisant, l’auteur ne donne que davantage raison au pape François qui, parmi les motifs l’ayant conduit à édicter Traditionis custodes, note : « Il est de plus en plus évident, à travers les paroles et les attitudes de beaucoup, qu’existe une relation étroite entre le choix des célébrations selon les livres liturgiques précédents Vatican II et le rejet de l’Église et de ses institutions au nom de ce qu’ils jugent être la “vraie Église” » (Lettre aux évêques du monde entier pour la présentation du motu proprio Traditionis custodes, 16 juillet 2021). En rejetant ainsi l’enseignement de l’Église, l’auteur fournit des bâtons pour se faire battre. Il concourt doublement à la souffrance de ceux qui, non contents de subir les restrictions romaines, parviennent d’autant moins à les comprendre qu’ils se laissent enfermer dans le cercle vicieux de la non-obéissance à l’Église par des propos trompeurs.

Seul un esprit pusillanime et craintif s’offusquera de l’attachement sincère de fidèles catholiques à l’ancienne forme du rite romain. La réforme liturgique, nonobstant ses bienfaits innombrables et durables, a, pour une part certaine, manqué de prudence, d’équilibre et de pédagogie dans sa mise en œuvre. Les Pontifes romains, depuis les années 1980, ont heureusement su accompagner ce processus de transition avec irénisme et mansuétude. Mais l’effort ne saurait rester unilatéral. L’attachement aux formes anciennes du rite romain ne trouvera place régulière dans l’Église que s’il s’accompagne non seulement d’une reconnaissance claire, franche et publique de la légitimité de la forme ordinaire, mais aussi d’une mise en pratique concrète qui rompt avec un exclusivisme méfiant et tacitement méprisant. Benoît XVI avait énoncé cette condition que certains, parmi les fidèles concernés, n’ont pas su entendre ni mettre en œuvre, au risque d’altérer la communion ecclésiale : « Évidemment, pour vivre la pleine communion, les prêtres des communautés qui adhèrent à l’usage ancien ne peuvent pas non plus exclure par principe la célébration selon les nouveaux livres. L’exclusion totale du nouveau rite ne serait pas cohérente avec la reconnaissance de sa valeur et de sa sainteté » (AAS 2007, p. 798). La négligence dans l’écoute et l’application de cette exhortation pontificale n’a pas manqué d’inquiéter le pape François, qui, depuis le Siège de Pierre, y a vu un grave danger pour l’unité de l’Église. La cause des anciennes formes de célébration du rite romain ne sera sainement et efficacement défendue que par ceux qui cesseront d’opposer les deux formes de façon dialectique, sur le mode de la rupture, pour promouvoir au contraire leur complémentarité et leur enrichissement mutuel au sein de la tradition vivante de l’Église, sous la conduite de ses Pasteurs légitimes. On voit que notre auteur, hélas, s’écarte avec pertinacité de cette voie vraiment ecclésiale et catholique. L’ombre d’un néo-gallicanisme à modalité ultra-atlantique semble surgir, mais la citadelle de la primauté pontificale, sur le roc de Pierre, ne s’en trouvera jamais ni menacée ni même ébranlée.

Fr. Henry Donneaud o.p.

 

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L’impossible substitution : Juifs et chrétiens (J.-M. Garrigues)

Écrit par : Édouard Divry
Publié le : 25 Mai 2024
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Le P. Garrigues nous propose une étude approfondie sur l’origine de la division entre judaïsme rabbinique et christianisme après la mort et résurrection du Christ. Après une introduction sur « la Déchirure et la douleur » (p. 9) que constitue cette division, s’y ajoutent les nouvelles données positives depuis la déclaration Nostra Aetate, n° 4 de Vatican II (1965) et le rapide status quaestionis des études sur ces rapports délicats. Ce livre se divise alors en deux parties : « La voie de salut ouverte à tous par Jésus en Israël » et « L’avènement du christianisme » limité aux trois premiers siècles.

La première partie est une révision des textes du Nouveau Testament afin de nier que Jésus soit le « fondateur du christianisme » comme l’écrivait l’exégète Charles Harold Dodd (p. 35). Jean-Miguel Garrigues montre successivement que Jésus n’a pas fondé une autre religion à côté de celle d’Israël ni non plus les Apôtres, mais que l’annonce de la Bonne Nouvelle s’est faite aux juifs puis aux païens, et que l’avènement du christianisme a permis la naissance d’Églises dites de la circoncision à côté de l’annonce faite aux nations greffées par le baptême sur l’Olivier franc, l’Israël croyant. Le P. Garrigues reprend, dans la première partie, un à un les textes du Nouveau Testament qui ont donné lieu à une apologie antijuive au sein de l’Église et en donne une interprétation plus fidèle au texte : il s’agit d’un changement de vignerons dans la parabole des ouvriers de la vigne (cf. p. 60-61), qui avait été prise comme argument ad hominem contre la Synagogue incroyante par Irénée et Origène (cf. p. 166, 196, 199) ; le statut réprouvé d’Ésaü par rapport à Jacob le frère cadet (cf. p. 10, 19, 165-166), figure de l’Église. Mais il faut surtout relever la figure qui revient tout du long du livre (137 fois) de « l’accomplissement » entendu comme nouveauté-renouvellement mais à ne pas ramener à un dépassement-remplacement (cf. p. 15). Garrigues distingue l’accomplissement prophétique (la venue du Messie) et l’accomplissement intégral de la Loi par Jésus (p. 37-38). Cette tension se résout avec « l’accomplissement eschatologique » sur le plan « individuel et collectif » (p. 39) qui n’adviendra pleinement qu’à la fin des temps avec la venue attendue du Christ-Messie. Alors que les juifs incroyants en « la Voie » attendent l’accomplissement total du Royaume, les juifs devenus chrétiens vivent dans l’accomplissement partiel et provisoire initié par le Christ dans l’Église. « Les premiers n’ont pas cru en sa Rédemption expiatrice, parce qu’ils ont donné le primat à la préservation d’Israël comme peuple séparé des païens par la Loi en vue de la Rédemption achevée, d’autres l’ont accueillie et ont engagé leur vie pour la porter aux nations païennes, au risque de dissoudre leur judéité parmi les gentils » (p. 63). C’est cette dissolution parmi les nations contre laquelle s’élève souvent le théologien dominicain tout en reconnaissant le grand écart qu’aurait pratiqué saint Paul (cf. p. 97-98) s’il a vraiment tenu au verdict qu’il formule pour lui : « que les juifs qui croient en Jésus restent juifs, et que, comme tels, ils sont tenus à observer réellement la Loi » (p. 97). Il est permis d’en douter à la relecture des Actes, des lettres de saint Paul, et même de Mc 7, 19 (« Jésus déclarait purs tous les aliments »), pourtant commenté de manière remarquable (cf. p. 57-58).

Quel est le statut des juifs non croyants en Jésus Christ ? « Celui-ci reste comme peuple “ecclésial” dans le plan de Dieu et Dieu “l’assumera” (Rm 11, 15) en “plénitude” (Rm 11, 26) au moment voulu par Lui pour que “la vie sorte des morts” (Rm 11, 15). D’ici là, les chrétiens doivent accepter le compagnonnage avec le peuple juif comme faisant partie du “mystère” (Rm 11, 25) du plan divin du salut pendant le temps de l’Église » (p. 19).

La deuxième partie montre, preuves à l’appui, que presque tous les premiers écrivains ecclésiastiques ont surinterprété les textes du Nouveau Testament dans le sens de la substitution de l’élection juive par l’élection chrétienne (Ignace, Justin, l’Auteur du Πρὸς Δίογνητον, Méliton de Sardes, Irénée, Tertullien, Clément d’Alexandrie, Origène, Cyprien de Carthage, Zénon de Vérone). En conséquence, un chrétien venu du judaïsme ne pouvait plus pratiquer les mitzvot (règles issues de la Loi) considérées comme des « superstitions mosaïques » jusqu’à tardivement, donc avant la refonte du rituel en 1967 (p. 228-229). On pourra discuter cependant telle ou telle interprétation des Pères. Par exemple, dans le Dialogue avec Tryphon de Justin, Garrigues croit que celui-ci « voit dans l’Empire romain, victorieux des juifs en 135, un protecteur contre les persécutions que ceux-ci ont fait subir jusque-là aux disciples du messie Jésus » (p. 154). Mais l’expression citée de Justin « grâce à ceux qui nous gouvernent » ( Dialogue 16, 4) ne doit pas être surinterprétée non plus. Ce qui est traduit en français par grâce c’est en grec διὰ (par, à travers) ! C’est une simple cause instrumentale comme saint Paul a échappé au massacre des Juifs hostiles par l’intermédiaire du tribun romain (cf. Ac 23, 12-23). Mais ce n’était qu’un sursis et Paul est quand même mort décapité par l’ordre des Romains. La persécution romaine avait déjà commencé bien avant l’époque de Justin en 64-77 sous Néron, Domitien (mort en 96) et Trajan (rescrit de 112). Justin peut tenter au mieux, en espérant la bienveillance d’un hypothétique lecteur romain, une captatio benevolentiae ce qui n’aura pas lieu puisque la persécution en Orient se poursuivra jusqu’en 324.

Au terme de son livre, le frère dominicain propose « une immanence réciproque dans la distinction entre juifs et chrétiens » (p. 226-231), se réjouissant de l’apaisement dû à Vatican II mais regrettant qu’un juif agnostique ou athée continue à bénéficier du titre de juif alors qu’un juif devenant chrétien perd sa judaïté aux yeux du judaïsme rabbinique contemporain (cf. p. 230).

On ne peut que se réjouir de ce beau livre qui favorise le rapprochement des juifs et des chrétiens en posant de bonnes questions. Être « Israël selon la chair » (1 Co 10, 18) semble, aux yeux du fr. Jean-Miguel Garrigues, une donnée suffisante (cf. Rm 9, 4-5) pour atteindre le salut, certes implicite, des juifs (cf. p. 211). En revanche le salut des gentils ne peut advenir que par le biais des convertis juifs au Christ : « la médiation de l’Église apostolique de la Circoncision prolonge la médiation du Messie pour les gentils devenus croyants » (p. 170). Cette Église de la Circoncision lui semble donc cruciale à maintenir ou à reproduire sinon, tranche-t-il dans un jugement abrupt : « le kérygme [chrétien], insuffisamment ancré dans la chair d’Israël, a toujours été depuis les origines menacé de gnosticisme et leur religion est aujourd’hui menacée de devenir “la religion de la sortie de la religion”, selon la caractérisation de Marcel Gauchet. Quand Jésus apparaît immédiatement projeté dans l’universel humain sans être assez référé aux promesses et aux alliances de Dieu dans l’histoire et dans la chair d’Israël, il devient la projection successive des désirs légitimes, mais aussi des rêves, voire des idéologies des hommes » (p. 223).

Que sait-on au juste du petit « reste » (Rm 11, 5) croyant en Jésus Christ, issu d’Israël selon la chair, « gloire » (Lc 2, 37) qui peut être « cachée » (Col 3, 3), mais bien vivant dans l’Église ? A-t-il besoin d’une visibilité autre que le témoignage régulier qui n’a pas manqué au cours de l’histoire de l’Église (cf. par ex., le cardinal Jean-Marie Lustiger, p. 15, 23, 211, 225) ? Celle-ci ne rassemble-t-elle pas en son sein les deux en une seule unité (cf. Ep 2, 14-18) qui ne se manifeste pas forcément « bilatérale » (p. 146, 158, 221, 330) selon la Révélation néotestamentaire ? Une autre question cependant se pose. Le thème de la supériorité n’a été que rapidement évoqué avec Origène (cf. p. 194-199) qui ne le traite qu’en lisant l’Ancien et le Nouveau Testament de manière platonicienne : le sens littéral évoquerait les ombres, les sens spirituels atteindraient la réalité de l’au-delà révélé dans le Nouveau. Mais le concile Vatican II offre un discernement sans recourir à la philosophie platonicienne. La constitution dogmatique Dei Verbum, pourtant citée (p. 30), enseigne à propos de l’Ancien Testament que « ces livres, bien qu’ils contiennent de l’imparfait et du caduc, sont pourtant les témoins d’une véritable pédagogie divine » (DV, 15). L’imparfait et le caduc n’ont pas été définis dans ce document magistériel de haut niveau. Mais il est clair que « la tradition théologique a défini le rapport de la Loi ancienne à la Loi nouvelle comme un rapport de l’imparfait au parfait » (G. Cottier, « Jésus Christ fondement de la morale chrétienne », Nova et Vetera , n. 79, [2004/1], 25-38, [p. 32]). C’est cette dimension qui fit perfectionner la prière du Vendredi Saint dans la forme extraordinaire du rite par le pape Benoît XVI en 2008, prière pourtant déjà bien émondée par saint Jean XXIII (1955), afin de spécifier le devoir de prière des chrétiens vis-à-vis du salut des juifs : « J’ai modifié cette prière afin qu’elle exprime notre foi dans le fait que le Christ est sauveur de tous » (Benoît XVI, Lumière du monde, Une interview avec Peter Seewald, Bayard, 2010, p. 145). Quel que soit le différend qu’on puisse avoir avec le pape émérite (cf. p. 215-216), cette oraison demeure dans la forme ordinaire du rite en des expressions similaires de prière pour que les Juifs croient en Jésus Christ (1 re et 2 e Vêpres de la Transfiguration ; 2 e Vêpres du 3 e dimanche de Pâques). Cette retenue dans le livre de J.-M. Garrigues laisse le lecteur interrogatif. Au total, l’ouvrage n’en demeure pas moins à lire et à relire tant sa méditation est secourable pour mieux contempler le « mystère » d’Israël (Rm 11, 25).

 

Fr. Édouard Divry o. p.

Brève histoire de la philosophie latine au Moyen Âge (S.-Th. Bonino)

Écrit par : Marie de l’Assomption
Publié le : 15 Mars 2024
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Le livre de Serge-Thomas Bonino a d’abord un objectif pédagogique, celui de « dégrossir les débutants », en offrant un « aperçu panoramique de l’histoire de la philosophie dans l’Occident latin pendant le millénaire qui va du VIe au XVe siècle » (p. v). Mais cette présentation se fait selon le choix d’un thème directeur qui a une portée doctrinale, celui du rôle joué par la Révélation dans cette histoire, la foi chrétienne et la raison n’étant pas en soi exclusives l’une de l’autre, mais pouvant, sans séparation ni confusion, se féconder mutuellement : « Dans cette perspective, l’histoire de la philosophie médiévale est un excellent observatoire pour penser la question des rapports entre la foi et la raison, qui est une des figures majeures de la question, déterminante pour la sagesse chrétienne, du rapport de la grâce et de la nature » (p. vii).

L’A. commence par définir la nature exacte de la philosophie médiévale (chap. 1), à partir d’un panorama présentant les différentes manières dont elle a été conçue au cours de l’histoire. Après le discrédit qu’elle subit à la Renaissance puis à l’époque des Lumières, elle connaît une certaine réhabilitation au XIXe siècle, sous l’influence du romantisme, mais qui n’est pas sans ambiguïté, les rationalistes y cherchant les prémices de l’esprit moderne affranchi de l’autorité ecclésiale, et les catholiques y voyant l’âge d’or d’une pensée préservée des erreurs de la modernité. Ces deux interprétations donnent naissance à la querelle des années 1930, opposant principalement Bréhier et Heidegger, rejoints par certains catholiques partisans d’une séparation radicale entre la philosophie et la foi, au nom de l’autonomie de la première, à Gilson et Maritain. Ceux-ci affirment au contraire l’existence d’une philosophie proprement chrétienne, au double sens d’« une manière spécifiquement chrétienne de philosopher » et de « la constitution d’un corps de doctrines philosophiques dégagées grâce à l’influence déterminante du christianisme » (p. 5), distincte par nature de la théologie, mais se développant sous sa lumière. Cette approche a le mérite de tenir compte du fait que l’on ne philosophe jamais de manière intemporelle, mais dans un contexte historique déterminé et au sein d’une tradition, fût-ce pour s’y opposer. Le chapitre se termine par l’exposé des quatre grandes tendances de la recherche actuelle que l’A. présente « comme une réaction face au modèle gilsonien longtemps dominant » (p. 13). Sans nier l’influence du christianisme sur la philosophie médiévale, elle en souligne aussi un développement distinct de la théologie, au sein de la faculté des arts en particulier. Elle élargit le champ d’étude aux domaines de la logique et des arts du langage, moins marqués par la foi que la métaphysique, et aux époques qui précèdent ou suivent le XIIIe siècle, sur lequel se centrait Gilson, comme étant l’âge d’or de la pensée médiévale en raison du primat de la métaphysique. Enfin, elle dissocie l’histoire de la philosophie qu’il unissait étroitement. Tout en reconnaissant les apports indéniables de ces nouvelles perspectives, l’A. conclut le chapitre en soulignant ses limites : « Une approche plus “catholique” se doit de prendre en compte ces précieux renouvellements mais sans négliger pour autant les acquis du médiévisme classique “à la Gilson” qui avait l’avantage d’être plus libre à l’égard du souci, somme toute très extrinsèque, de faire accepter les études médiévales dans une culture laïque allergique à toute trace de la dimension religieuse de l’existence humaine. De ce point de vue, la pensée médiévale reste un signe de contradiction » (p. 16). L’A. poursuit par une présentation des grandes lignes de la pensée augustinienne, en raison de son rôle déterminant sur toute la pensée médiévale, tout en soulignant le peu de place qu’elle laisse à l’ordre naturel et à la raison humaine (chap. 2).

Il peut alors aborder l’histoire médiévale proprement dite avec la période du haut Moyen Âge (chap. 3), qui se caractérise d’abord par le souci de transmettre ce qu’il est possible de la philosophie antique, et de la faire servir à l’intelligence de la foi, Boèce en étant le plus illustre représentant. Au IXe siècle, émerge la figure de Jean Scot Érigène qui découvre la théologie grecque, traduisant en particulier Denys l’Aréopagite dont il introduit la pensée dans le monde latin, et théorise la question des relations entre la réflexion rationnelle guidée par la foi, et les autorités patristiques dans l’interprétation de l’Écriture.

Après les difficultés dues aux invasions et à l’effondrement de l’empire carolingien, la philosophie se développe au sein des monastères puis des écoles cathédrales (chap. 4), la question dominante devenant au milieu du XIe siècle celle de l’articulation entre « la dialectique et l’intelligence de la foi » (p. 50), à propos des discussions eucharistiques provoquées par l’hérésie de Bérenger de Tours, d’où la méfiance que peut susciter son emploi en théologie, et qui sera l’enjeu du débat opposant « l’école et le cloître » (chap. 5) : « Le conflit entre Bernard et Abélard est le symbole du choc de deux mondes comme de deux conceptions de la sagesse chrétienne qui s’affrontent au XIIe siècle. D’un côté, l’univers des écoles urbaines où prend corps cette théologie à prétention scientifique qu’on appellera scolastique et dont Abélard est l’un des initiateurs. De l’autre, l’univers, surtout rural, des monastères […], où, parce qu’on est très attentif au contexte spirituel de l’intelligence de la foi, on s’inquiète des orientations trop distanciées et raisonneuses qu’elle prend parfois dans les écoles » (p. 65).

L’A. introduit l’histoire du XIIIe siècle par la présentation des « conditions générales de la vie intellectuelle » (chap. 6), expliquant le tournant opéré : naissance et développement des Universités puis des ordres mendiants du côté des institutions, confrontation de la pensée chrétienne avec la philosophie et la science gréco-arabes sur le plan intellectuel. Cela aboutit à l’élaboration des « grandes synthèses scolastiques » (p. 99), dont saint Bonaventure (chap. 7) et saint Thomas d’Aquin (chap. 8) sont les plus illustres représentants. Si les deux insistent sur « l’unité dynamique de la sagesse chrétienne » (p. 111), le second « conçoit celle-ci sur un mode organique plus différencié, plus respectueux peut-être de l’autonomie épistémologique de chacune des disciplines », en particulier par le fait de reconnaître « à la philosophie une réelle autonomie, fondée, en dernière analyse, sur la consistance et la cohérence propre de la “nature” » (p. 115).

Mais le XIIIe siècle voit aussi l’émergence, à la faculté des arts, de «  l’aristotélisme radical » (chap. 9), qui entend mettre en avant le modèle d’une vie proprement philosophique et faire reconnaître une place propre et autonome à cette dernière, pas forcément en rupture avec la foi chrétienne mais indépendante de celle-ci : « Leur préoccupation est plutôt de dégager, à l’intérieur d’une culture chrétienne, un espace de légitimité et de liberté pour l’idéal philosophique qui est le leur » (p. 139). L’A. mentionne les risques de déséquilibre introduits ainsi, et qui vont se déployer chez certains auteurs, comme Boèce de Dacie : « Pour lui, le projet théologique est suspect pour la bonne et simple raison que la philosophie s’attribue le monopole de la rationalité et de la science » (p. 144). Cela amène au « tournant de 1277 » (chap. 10), dont l’A. dégage les quatre grandes lignes problématiques marquant la fin de l’histoire philosophique médiévale. Il y a d’abord une critique par la théologie des possibilités de la rationalité philosophique, en particulier par le développement de l’argument de la toute-puissance de Dieu qui peut intervenir à chaque instant dans la nature en modifiant ou annulant ses lois, ce qui limite le champ de validité de la philosophie et des sciences. Il y a ensuite une indépendance croissante de la philosophie vis-à-vis de la théologie puisqu’elle n’a plus rien à dire sur la foi ni à harmoniser ses résultats avec elle. De plus, la théologie elle-même s’étant détachée de la philosophie, elle développe ses propres outils rationnels en une sorte de démarche parallèle sans lien avec la rationalité philosophique. Enfin, le criticisme prend souvent le pas sur l’élaboration doctrinale proprement dite : « Ainsi, entre ceux qui militent pour une philosophie indépendante, débarrassée des préoccupations théologiques, et ceux qui, au nom de la souveraine liberté de Dieu (ou d’une subjectivité humaine désormais déconnectée de la nature), abandonnent à la philosophie le domaine de la nature pour se réfugier dans la seule certitude de la foi ou de l’expérience intérieure, l’idéal d’une harmonie entre la foi et la raison semble perdue de vue » (p. 167-168).

Entre l’étude des deux plus grands penseurs du XIVe siècle, Duns Scot (chap. 11) et Guillaume d’Ockham (chap. 13), s’intercale un chapitre sur les deux courants qui vont se développer à la même époque chez les dominicains, le thomisme d’une part, la mystique rhénane de l’autre, héritière d’Albert le Grand, et dont la figure de proue est Maître Eckhart, l’A. signalant le caractère encore controversé que présente l’interprétation de sa pensée.

Avant un dernier chapitre consacré à la vie intellectuelle du XVe siècle, marquée par le passage « de l’Université à l’Académie » (chap. 15), où s’affrontent la via antiqua et la via moderna, et qui voit un retour triomphant du platonisme, l’A. présente une synthèse très intéressante de « la question théologico-politique au Moyen Âge », celle-ci offrant un champ d’application particulièrement symptomatique de la manière dont on conçoit les relations entre foi et raison.

Au total, si ce livre ne remplace pas les différents ouvrages généraux consacrés à cette période, en raison de son objectif clairement délimité, il a le mérite d’en exposer les grands courants et auteurs selon une perspective à la fois originale et centrale, dans un style limpide qui en rend la lecture facile et agréable. En cela, il est désormais une référence incontournable pour ceux qui veulent s’initier à la philosophie médiévale.

 

sr Marie de l’Assomption, o.p.

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