Platon est connu pour ses dialogues, Pascal pour ses pensées, et saint Thomas d’Aquin pour ses textes organisés en forme de dispute (disputatio). La Somme de théologie ou l’Écrit sur les Sentences, deux de ses plus longues œuvres, sont divisées en questions, et chaque question est traitée en une succession de petites disputes autour d’une sous-question : Y a-t-il en Dieu un libre-arbitre ? Peut-on croire à ce qui est visible ? Tous les hommes comparaîtront-ils au jugement dernier ? Le baptême est-il nécessairement par immersion ? Pour chacune le traitement est le même : il faut imaginer le Maître au milieu d’un auditoire, qui commence par écouter les arguments en présence, puis qui apporte sa solution avant de répondre aux objections.
Cette manière de réfléchir ensemble, en mettant à découvert les divergences par l’échange d’arguments rationnels à la recherche d’une vérité atteinte en commun (car les objections aident à avancer dans la réflexion) est caractéristique de la méthode d’enseignement au Moyen Âge. Saint Thomas n’a été ni le premier ni le seul à pratiquer la question disputée.
Un exercice universitaire
Pierre le Chantre avait défini le travail du professeur (le maître, le Magister) à la fin du XIIe siècle en une formule devenue rapidement canonique : legere, disputare, prædicare.
« L’exercice en matière d’Ecriture sainte consiste en trois choses : la lecture, la dispute et la prédication. Une excessive abondance de l’une d’elles est la mère de l’oubli et la marâtre de la mémoire. La lecture est comme le fondement, la base des deux autres. C’est en effet de la lecture que les autres tiennent leur utilité. Cet exercice est une construction. La dispute en est comme le mur car rien n’est pleinement compris, ni fidèlement prêché, qui n’a pas d’abord été mâché sous les dents de la dispute. Quant à la prédication, dont les précédentes sont les servantes, elle est comme le toit abritant les fidèles de la chaleur et du tourbillon des vices. Ainsi donc, on devra prêcher l’Ecriture sainte après – et non pas avant – sa lecture avec les questions qu’elle suscite, puis sa dispute avec la recherche qu’elle implique. »[1]
La dispute faisait donc partie de l’enseignement ordinaire du Magister : à côté de la lectio et de la prædicatio, la disputatio était une activité prescrite à l’enseignant en faculté de théologie, rapidement adoptée et encouragée dans l’Ordre dominicain (on sait qu’elle y était couramment pratiquée dès 1228). Elle était devenue un exercice scolaire ou universitaire à part entière, avec des modalités standardisées, et que l’on appelait la Question disputée.
Il est clair que saint Thomas s’est installé dans cet héritage avec enthousiasme. Il a pratiqué la question disputée assidûment et partout où il a enseigné. Les historiens estiment qu’à Paris par exemple, il a dirigé l’exercice environ 80 fois par année universitaire. Leur retranscription a permis à Thomas de les rassembler dans des recueils publiés, qui forment une part importante de son œuvre : les « Questions disputées sur la vérité (Q. de veritate) », sur la puissance (Q. de potentia), sur le mal (Q. de malo), sur les vertus, etc. Sans oublier les « Questions quodlibétiques (Q. de quodlibet) », qui rapportent des séances de questions libres où la maîtrise du professeur sur n’importe quel sujet était mise à l’épreuve, ce qui faisait de ces séances un genre un peu à part.
Même si elles ont été retravaillées pour la publication, ces versions écrites témoignent que Thomas usait du genre sous une forme quasi-canonique : autour d’une question très précisément formulée, des arguments sont exposés, auxquels sont opposés d’abord des autorités (Écriture, Conciles, Pères ou philosophes) ou des arguments de raison, puis la solution du Maître, qui achève en répondant aux arguments contraires. Comme l’a noté le spécialiste B. Bazàn, « les Questiones disputatae de Thomas sont presque l’archétype de la disputatio telle qu’elle était pratiquée au XIIIe siècle »[2].
Cette structure écrite suit d’assez près les étapes d’une disputatio orale telles que nous pouvons les reconstituer à partir des règlements universitaires et des notes de cours : pour les disputes à l’université, le Maître fixait deux dates rapprochées et formulait l’intitulé de la question qui serait alors débattue. Il désignait en même temps deux intervenants, appelés l’opponens et le respondens, pris normalement parmi les bacheliers[3] qui lui étaient attachés. La dispute avait lieu en deux temps : la première séance, ou disputatio, était consacrée à la discussion d’arguments opposés sous la direction de l’opponens et du respondens. Les échanges permettaient ainsi de reformuler d’une manière plus rigoureuse et plus pertinente les interventions. Ils servaient aussi à préciser l’enjeu et les limites de la question. Durant cette séance, le maître pouvait intervenir soit pour apporter un nouvel argument, soit pour mettre au point un argument avancé par d’autres, soit pour apporter le soutien d’une autorité à l’appui d’un argument. Des notes – reportatio – étaient prises de cette séance sur lesquelles le maître travaillait pour la seconde séance. Durant cette dernière, appelée determinatio, le Maître apportait la solution à la question et il répondait aux différents arguments, en les réordonnant au besoin. La question disputée était par conséquent un moyen pour le Maître de mettre au point sa pensée sur un sujet précis, avec l’aide d’un auditoire qui apprenait autant qu’il stimulait son enseignant. « Les questions disputées, véritables ateliers de travail et de discussion de la scolastique, ont donné à l’université médiévale ce haut degré de dialogue qui la caractérise, car elles favorisaient l’échange vivant de points de vue, d’arguments et de doctrine »[4].
Retenons la description de la question disputée proposée par B. Bazàn :
Elle est « une forme régulière d’enseignement, d’apprentissage et de recherche, présidée par le maître, caractérisée par une méthode dialectique qui consiste à apporter et à examiner des arguments de raison et d’autorité qui s’opposent autour d’un problème théorique ou pratique et qui sont fournis par les participants, et où le maître doit parvenir à une solution doctrinale par un acte de détermination qui le confirme dans sa fonction magistrale »[5].
Une méthode d’enseignement et d’écriture
La dispute autour d’une question n’était pas seulement un exercice universitaire. Elle était aussi devenue en à peine un siècle une pédagogie pour l’enseignement magistral. La lecture commentée (lectio) sur le texte biblique, exercice traditionnel, avait en effet encouragé le développement de deux types d’instruments. D’une part, des instruments logiques et dialectiques avaient été forgés pour savoir lire, décomposer les propositions et en fournir une explication littérale et spirituelle. D’autre part, la constitution de florilèges des Pères, c’est-à-dire d’extraits d’œuvres tirés de leur contexte, permettait au Maître d’enraciner dans la Tradition son enseignement oral en marquetant ce matériau sur la trame du texte biblique. L’Écriture sacrée devenait ainsi le lieu d’un dialogue intemporel entre Augustin et Athanase, Boèce et Grégoire, Isidore et Léon, et tout auteur que sa sainteté ou sa renommée pouvait accréditer comme autorité. Cette rencontre faisait parfois apparaître une dissonance d’opinions, qui interrompait la lectio le temps d’une questio où le Maître se devait d’accorder les autorités, à moins qu’il ne choisît de privilégier une opinion. Ce faisant, le Maître intervenait lui-même comme une autorité, proposant sa propre solution et devant l’argumenter au milieu des opinions contraires. Accorder les autorités en intervenant soi-même par sa raison : deux traits principaux de la question disputés sont bien déjà présents dans la questio biblique.
C’est dans la seconde moitié du 12e siècle, avec Simon de Tournai notamment, que la questio en vint tout naturellement à se détacher de la lectio – elle perdit donc son lien direct avec l’Ecriture – pour devenir un genre à part, avec ses règles de discussion : la disputatio. B. Bazàn propose trois facteurs déterminants de cette évolution : primo, le développement de la science théologique et de la raison théologique, et son corollaire institutionnel : l’affermissement de la figure du Magister. Secundo, le succès des Sentences de Pierre Lombard qui, au milieu du 12e siècle, avait recueilli les citations d’autorités et classé les questions suscitées par la lectio, suscitant par là même une multitude de sujets possibles de discussion. Tertio, l’assimilation par le monde universitaire de la logique aristotélicienne qui, en réglant la démonstration et en dévoilant les figures du sophisme, permettait une pratique mieux réglée – et dès lors plus vivante et stimulante – de la discussion.
Les professeurs prirent donc l’habitude de diviser leur cours en une succession de petites disputes autour d’une question précise. Il regroupaient les arguments contraires à leur position en une suite d’objections auxquelles ils se devaient de répondre, non sans s’appuyer sur des autorités.
Cette méthode d’enseignement fut logiquement reprise à l’écrit et devint alors un genre littéraire. À côté des traités classiques de théologie où l’auteur exposait sa doctrine en étant le seul locuteur (ainsi, pour Thomas, le Compendium theologiae), une nouvelle méthode d’exposition apparut, où l’auteur reproduisait fictivement une dispute en faisant parler des contradicteurs. La Somme de théologie en fournit l’exemple accompli.
Le genre littéraire de la dispute écrite est très exigeant d’un point de vue scientifique. Il suppose là encore de diviser la matière étudiée en une succession de points à aborder, chacun devant être reformulé en une question. Il faut alors que cette question identifie avec précision le cœur de la difficulté, car toute question oriente déjà la réponse. Puis il faut identifier les positions divergentes sur cette question et les résumer de manière à faire ressortir leur point d’appui et leur force. De cette nécessité résulte l’usage constant des syllogismes (si A est vrai, et si B est vrai, alors C est vrai) qui donne au style théologique de l’époque sa tournure sèche et technique. La pensée s’en trouve densifiée jusqu’à l’épure. Saint Thomas et les autres grands maîtres de son temps ont su utiliser cet art à leur profit parce qu’ils pensaient. On ne peut pas en dire autant des théologiens de moindre valeur, ni des générations postérieures, chez qui la mécanique logicienne tendit à tenir lieu de réflexion. La scolastique en retira une mauvaise réputation qui l’accompagne jusqu’à nos jours. Il serait cependant paresseux ou malhonnête d’ignorer la doctrine de grands théologiens sous le seul prétexte que leur manière de s’exprimer n’est pas à notre goût ou requiert un peu d’effort pour s’y accoutumer.
L’art de la bonne dispute
L’importance de la dispute dans la recherche de la vérité vient de ce que notre connaissance est discursive. C’est une limite naturelle de l’intelligence humaine, qui ne saisit pas les réalités qu’elle connaît tout d’un coup et sous tous les angles comme s’il s’agissait d’une évidence, mais qui doit progresser dans la connaissance par des raisonnements. C’est pourquoi nous avons besoin d’une méthode scientifique pour acquérir la science, par laquelle on part du plus connu pour arriver au moins connu, en cheminant rigoureusement des principes jusqu’aux conclusions qui en découlent[6].
Or cette méthode requiert de passer du temps à étudier le sujet, de consacrer une part à la recherche (studium), et une autre part à composer les raisonnements par lesquels la pensée s’exprime, en dégageant les arguments, en les sondant, en éprouvant leur solidité. Tel est le propos de la dispute[7]. Une bonne science a besoin de bonnes disputes, qu’on les tienne avec d’autres ou dans son for intérieur.
Cela dit, pour qu’une dispute atteigne son objectif, certaines conditions sont requises. Il y a d’abord des conditions générales. Aristote en avait dégagé quelques unes, par exemple qu’on ne discute pas de la même façon avec celui qui se trompe de bonne foi et avec celui qui discute pour le seul plaisir de débattre. Au premier il faut expliquer où il se trompe, au second il faut apporter la réfutation de sa manière même d’argumenter. Quant à celui qui ne veut jamais rien concéder, il rend vaine toute discussion. De même, on ne peut débattre dans une science avec celui qui conteste les principes de cette science, et il n’y a aucune dispute possible si l’on est incapable de donner une signification stable aux mots qu’on utilise ou si l’on pense que rien n’est vrai (de sorte qu’affirmer ou nier seraient interchangeables)[8].
À ces conditions générales s’ajoutent des conditions propres à la théologie. Toutes les sciences démontrent à partir de leurs principes, mais elles ne peuvent pas démontrer leurs principes. En électronique par exemple, on sait utiliser les phénomènes de conductivité électrique dans les matériaux, mais l’électronique n’explique pas cette conductivité, elle en reçoit les principes des sciences qui s’occupent des matériaux. Il en va de même en théologie, qui reçoit de Dieu, par révélation, les vérités de la foi. Ces vérités sont comme des principes à partir desquels la théologie peut s’engager dans des raisonnements jusqu’à des conclusions vraies[9]. La théologie ne peut donc pas démontrer les vérités qui lui servent de principes. Par conséquent, une dispute où la vérité de la foi est contestée sera différente d’une dispute où on cherche à mieux la comprendre.
À cela s’ajoute une particularité de la théologie par rapport aux autres sciences. Les vérités de la foi dont dispose la théologie viennent de Dieu par révélation. Par conséquent, croire en ces vérités suppose de croire aussi aux autorités par lesquelles cette révélation est faite, selon l’assistance que Dieu a apportée à ces autorités. Ainsi l’Écriture sainte, en raison de l’inspiration de l’Esprit Saint, permet de fonder des arguments qui ont force de nécessité. Mais plus l’autorité repose sur les seules forces naturelles de la raison humaine, plus elle est extérieure à cette assistance divine de la révélation. Les arguments tirés des Pères de l’Église auront ainsi une certaine autorité, puisqu’ils s’appuient sur la Révélation, mais puisqu’ils n’ont pas l’autorité de l’Écriture sainte, ils n’en partageront pas non plus la nécessité. Quant à l’autorité des philosophes ou des sages, elle dépendra seulement de la valeur de leur raisonnement.
Si l’on prend en compte ces deux facteurs, on peut distinguer trois situations de la dispute en théologie :
- Une vérité de la foi est contestée par la seule autorité d’arguments rationnels :
Dans ce premier cas, la théologie ne peut pas démontrer la vérité de foi puisque cette dernière est un principe de la théologie.
« Dans les disputes contre les infidèles au sujet des articles de la foi, tu ne dois pas chercher à prouver la foi par des raisons nécessaires ; cela dérogerait à la sublimité de la foi dont la vérité dépasse non seulement l’esprit des hommes mais aussi celui des anges. Nous croyons ces articles de la foi en tant qu’ils nous sont révélés par Dieu. »[10]
La théologie n’est toutefois pas impuissante. Car les contradicteurs opposent des arguments qui font appel à la raison. Ils cherchent à démontrer que la vérité de foi qu’ils contestent est fausse. Or s’il est impossible d’opposer la démonstration contraire, il est en revanche possible de montrer que l’argument ne porte pas. Cette réfutation est toujours possible. En effet parce que Dieu, qui est la Vérité, ne saurait tromper en révélant quelque chose de faux, aucune raison humaine ne pourra jamais démontrer qu’une vérité de foi est fausse. Le chrétien doit donc disputer non pour prouver la foi mais pour défendre la foi. Et il doit la défendre non pas de manière inquiète mais de manière paisible, puisqu’il est assuré qu’à toute objection contre la vérité de foi existe une réfutation rationnelle.
« Or ce qui procède de la vérité suprême ne peut pas être faux et aucune raison nécessaire ne peut parvenir à détruire ce qui n’est pas faux. C’est pourquoi, de même que notre foi ne peut pas être prouvée par des raisons nécessaires, car elle dépasse l'esprit humain, ainsi en raison de sa vérité elle ne peut pas être réfutée par une raison nécessaire. L’intention du chrétien qui pratique la dispute sur les articles de la foi ne doit donc pas viser à prouver la foi, mais à défendre la foi. C'est pourquoi saint Pierre (1P 3,15) ne dit pas qu’il faut être “toujours prêts à prouver” mais “à donner satisfaction” ; autrement dit : à montrer de manière raisonnable que ce que la foi catholique confesse n’est pas faux. »[11]
- Une vérité de foi est disputée parce qu’on doute qu’elle soit à croire :
Dans cette deuxième situation, on doute qu’une vérité soit de foi. Le propos d’une telle dispute est de faire cesser ce doute afin de croire Dieu qui a révélé cette vérité. C’est pourquoi l’appel à des arguments fondés sur les autorités aura la prééminence.
« Il y a une dispute qui sert à chasser le doute sur un fait : “est-ce ainsi ?”. Dans ce cas, en matière théologique, on recourra surtout aux autorités, celles qu’acceptent ceux avec lesquels on dispute. Par exemple, si l’on dispute avec des juifs, il faudra faire valoir les autorités de l’Ancien Testament. Alors que si l’on dispute avec les manichéens, puisqu’ils rejettent l’Ancien Testament, il faut utiliser seulement les autorités du Nouveau Testament. […] Et si l’on dispute avec des personnes qui n’acceptent aucune autorité, il faudra pour les convaincre se contenter des raisons naturelles. »[12]
- Une vérité de foi est disputée pour acquérir la science théologique.
Cette troisième situation est celle des théologiens qui cherchent à progresser dans la connaissance des vérités de la foi, à condition que leurs disputes ne tournent pas aux débats inutiles contre lesquels saint Paul prévenait : « il faut bannir les querelles de mots : elles ne servent à rien, sinon à perturber ceux qui les écoutent » (2Tm 2, 14).
« L’autre type de dispute est pratiqué par les maîtres dans les écoles. Elle ne vise pas à chasser l’erreur, mais à instruire des auditeurs pour qu’ils soient conduits à l’intelligence de la vérité en question. Dès lors, ceux qui cherchent la racine de la vérité et qui font connaître de quelle manière ce qui est affirmé est vrai doivent s’appuyer sur des raisons. Autrement, si un maître déterminait une question par le seul appui des autorités, l’auditeur sortirait certes assuré de ce qui est, mais en n’ayant acquis aucune science ou aucune intelligence de la question, et il sortira de l’exercice avec la tête vide. »[13]
On ne doit alors pas craindre les disputes, c’est-à-dire l’opposition des arguments, puisqu’il s’agit du processus normal du progrès dans la science. Il ne s’agit certainement pas de cultiver le doute sur la foi, ce qui serait pécher contre Dieu qui a révélé les vérités de la foi, mais de mieux fonder et de mieux concevoir ce que l’on tenait jusqu’ici imparfaitement, soit par habitude, soit par la seule autorité des autres, soit par des raisonnements faux.
« Chez ceux qui disputent, il faut considérer leur intention. Si en effet l’on dispute comme en doutant de la foi, et en ne tenant pas la vérité de foi pour certaine, mais en cherchant à la mettre à l’épreuve par des arguments, alors on pèche sans aucun doute, à la manière de celui qui doute de la foi ou qui refuse la foi. Si au contraire quelqu’un dispute de la foi pour réfuter les erreurs ou pour s’exercer, alors la dispute est louable »[14].
Si la dispute doit cultiver le doute, ce doit donc être le doute sur nos certitudes personnelles non fondées et notre vanité intellectuelle. Il n’est donc pas anormal d’être troublé lorsque c’est notre orgueil qui est ébranlé. Cela dit, il faut prendre garde qu’une saine remise en cause ne conduise à douter de la foi. Comme le remarque Thomas, « la foi peut être corrompue par les disputes chez ceux qui n’ont pas une foi ferme par leur propre faute »[15]. C’est pourquoi il recommande de réserver l’assistance aux disputes théologiques à ceux qui sont « intruits et fermes dans la foi », et à ne pas y admettre ceux qui sont « trop naïfs ou qui ont une foi chancelante », à moins que ce soit dans une dispute où l’on défend la foi contre ceux qui l’attaquent (la première situation évoquée plus haut), car ils en retireront plus de fermeté[16].
fr. Emmanuel Perrier, op.
Voir un exemple de question disputée (Dieu présent dans les choses)
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Cf. Pierre le chantre, « Verbum Abbreviatum », dans PL 205, Migne, 1855, p. 21-554 [chap. I, 25 A-B]. ↩
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Bernardo C. Bazàn, « Les questions disputées, principalement dans les facultés de théologie », dans Les questions disputées et les questions quodlibétiques dans les facultés de théologie, de droit et de médecine, « Typologie des sources du Moyen Âge occidental, 44-45 », Turnhout, Brepols, 1985, p. 43. ↩
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Au treizième siècle, le baccalauréat était le premier diplôme de théologie, que l’on obtenait après 5 à 7 années de cours, et qui comportait deux degrés. Le bachelier biblique était chargé de lire aux étudiants un livre biblique par an ; lorsqu’il accédait au second degré, deux ans après, il devenait bachelier sententiaire et était chargé de lire les Sentences de Pierre Lombard. ↩
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Bazàn, « Les questions disputées, principalement dans les facultés de théologie », p. 147. ↩
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Bazàn, « Les questions disputées, principalement dans les facultés de théologie », p. 40. ↩
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Cf. SCG I, c. 57. ↩
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Cf. In III Sent., d. 31, q. 2, a. 4, ad 6. ↩
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Cf. Aristote, Métaphysique, Γ, 6, et le commentaire de saint Thomas, Super Metaph., IV, l. 7 et 8 ; Métaphysique, K, 5-6, et le commentaire de saint Thomas, Super Metaph., XI, l. 5-6. ↩
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Sur la nature argumentative de la théologie, cf. Sum. theol., Ia, q. 1, a. 8. ↩
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De rationibus fidei, c. 2 (trad. G. Emery). ↩
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Ibid. ; cf. Sum. theol., IIa-IIae, q. 10, a. 7, ad 3. ↩
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Quodl. IV, q. 9, a. 3. ↩
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Ibid. ↩
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Sum. theol., IIa-IIae, q. 10, a. 7, resp. ↩
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In III Sent., d. 24, q. 1, a. 3, qla 3, ad 2. ↩
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Sum. theol., IIa-IIae, q. 10, a. 7, resp. ↩