Philosophie du mouvement (A. Farges)

Recension par Ghislain-Marie Grange
Albert Farges, Philosophie du mouvement, La théorie du moteur et du mobile, Avant-Propos de Michel Bastit, « Croire et savoir, 67 », Paris, Téqui, 2018, 1 vol. de 112 p.

La fin du XIXe siècle, à la suite de l’encyclique Aeterni Patris de Léon XIII, a connu un mouvement de redécouverte de la philosophie de saint Thomas d’Aquin. Certaines figures en sont très connues (Garrigou-Lagrange, Sertillanges, Tonquédec). Dans ce petit ouvrage, Michel Bastit nous fait découvrir un philosophe plus discret : Albert Farges. Cet auteur a le mérite d’avoir entrepris un dialogue avec la science de son temps, c’est-à-dire, ici, avec une physique newtonienne qui cherche à s’affranchir d’un mécanisme strict. C’est dans cette optique qu’est rédigé le bref ouvrage proposé ici : il s’agit d’une introduction à la nature du mouvement datant du début de la carrière de l’auteur, probablement de la fin des années 1880. 
L’axe de l’étude est le mouvement observé dans l’action d’un moteur sur un mobile. On lit en filigrane la confrontation avec Newton, néanmoins peu cité. L’auteur cherche à retenir l’attention du physicien anglais au mouvement tout en dépassant une interprétation mécaniste. M. Bastit explique dans sa préface que « Farges interprète les forces physiques newtoniennes en termes de dynamisme naturel et y voit une manière de surmonter le mécanisme cartésien » (p. 9). 
Les cinq premiers chapitres rappellent les thèses essentielles d’Aristote sur le mouvement : celui-ci ne se démontre pas mais se constate; on en rend compte par les notions d’acte et de puissance, parce qu’il est « l’acte du possible comme tel » (p. 41) ; le mouvement local est le premier type de mouvement. La définition d’Aristote est donc plus adéquate que celle de Descartes qui restreint le mouvement au seul mouvement local ce qui le conduit à nier l’activité des corps. 
Les chapitres suivants entrent plus avant dans l’étude du rapport entre moteur et mobile. Le mobile passif ne fait que recevoir l’acte du moteur, tandis que celui qui est actif de quelque manière réagira à l’action du moteur selon ce qu’il est. Ces éléments sont importants pour bien comprendre ce qu’est la perception sensible, expliquée dans le dernier chapitre. Le Créateur a donc déposé une certaine quantité d’énergie dans le monde, quantité qui se conserve tout en passant d’une forme à une autre. Il y a dans le monde des actions qui, sous la dépendance de la Cause première, transforment l’énergie mais ne la créent pas. 
Le problème le plus difficile à résoudre est celui de l’action à distance : dans ce cas, le moteur agit hors de lui-même. À nouveau, l’auteur s’appuie sur la philosophie d’Aristote et de saint Thomas d’Aquin. C’est par le même acte que l’agent agit et que le patient pâtit. Si un corps n’est pas présent par sa substance, il peut l’être par son action. L’action peut ainsi s’étendre à d’autres corps par une série de contacts. Alors qu’un accident ne peut pas se détacher d’une substance, l’essence de l’action est précisément d’aller du moteur au mobile. L’arrière-fond de cette discussion est très probablement la question des forces qui agissent à distance. 
On a donc ici un exposé clair de la philosophie du mouvement de saint Thomas, guidé par les problématiques de la fin du XIXe siècle et de sa physique. Même si celles-ci vont profondément changer au cours du XXe siècle, la réflexion sur la nature de l’énergie et des actions réciproques des corps est toujours aussi nécessaire, et peut encore s’appuyer sur la métaphysique d’Aristote et de saint Thomas. 

 

fr. Ghislain-Marie Grange, op