La dignité humaine, Heurs et malheurs d’un concept maltraité (dir. B. Dumont, M. Ayuso, D. Castellano)

Recension par Dominique Urvoy
La dignité humaine. Heurs et malheurs d’un concept maltraité,  Sous la direction de Bernard Dumont, Miguel Ayuso, Danilo Castellano, « Philosophie politique », Paris, Pierre-Guillaume de Roux, 2020, 1 vol. de 206 p.

Le concept de dignité humaine est « une valeur conventionnelle  » dont le succès, après la fin de la Seconde Guerre mondiale a entraîné sa dispersion  au point de perdre beaucoup de sa signification consensuelle. D’où un  besoin de clarification. Les sept contributeurs, d’origines diverses, prolongent dans cet ouvrage leurs recherches déjà menées indépendamment.
Considérant l’ensemble de la philosophie classique, S. Luquet conclut que, malgré une réelle évolution de perspective avec Pic de la Mirandole, le premier a mettre explicitement en avant la valeur de « dignité de l’homme », celle-ci tient alors « à ce qu’étant par nature en ce monde, il n’est, par sa vocation, pas tout à fait de ce monde ». Rappelant, avec Cicéron, que la dignité est une perfection morale et non une propriété essentielle, S. M. Lanzetta souligne que, selon la conception chrétienne, c’est en tant qu’il conserve la grâce de sa restauration dans le Christ [que] l’homme devient vraiment « digne ». D’où la mise en question de la conception kantienne selon laquelle l’homme est une fin en soi, la dignité et l’humanité s’identifient. 
G. Golfin montre en particulier l’usage rhétorique qui a été fait de ce principe, et notamment en Allemagne fédérale où on a récusé une fondation jusnaturaliste de l’ordre politique et substitué au principe de justice la dignité humaine, fonctionnant comme un principe modérateur. Mais on en a aussi montré deux difficultés majeures : d’une part la dignité est indémontrable, elle est un principe arbitraire ; de l’autre ce principe est en lui-même indicible. Par suite, « la dignité humaine est bien assimilable à un effet de langage, dont la finalité est d’impressionner les esprits, non de les instruire ».
La seconde partie du livre est intitulé « Le multiplicateur catholique ». J. Kirwan montre la compromission en ce sens de Jacques Maritain dont la philosophie politique a préparé l’abandon par l’Église de son attitude fondamentalement antimoderne pour devenir « peut-être le premier défenseur institutionnel des droits de l’homme au monde » (G. Weigel). J. Alvear Télles montre l’influence exercée également par John Courtney Murray : « L’Église (dans sa dimension humaine) n’a en vue que l’exemple constitutionnel nord-américain comme meilleur modèle de relation entre le principe temporel et le principe spirituel, en supposant que cette structure se fonde sur la dénommée “dignité de la personne humaine”. Rien d’autre ne compte. »
Dans la troisième partie, « Les apories d’un concept incertain », D. Castellano montre l’échec de ce que A. Del Noce a appelé le « cléricalisme », qui est « une tentative renouvelée et permanente allant de pair avec l’aile de l’Histoire censée aller de l’avant ». N. Huten dénonce l’instrumentalisation de la dignité humaine dans le Droit contemporain et constate l’échec de son application, incapable de contrecarrer les évolutions de la contraception, les avortements et les expériences sur les embryons.
Les éditeurs du recueil appellent, en conclusion, à « tirer la leçon des échecs, pour reprendre le dossier sur des assises philosophiquement et théologiquement sûres, [la] “tradition”, non telle que la définit la culture dominante, mais telle qu’elle est, plutôt que s’évertuer à jeter des passerelles en direction de radeaux à la dérive ».