Fondée en 1946 par d’anciens élèves du Séminaire français de Rome, La Pensée catholique permet d’éclairer ce que peut être un thomisme romain au sein du champ théologique dans l’après Seconde Guerre mondiale. En situation marginale car jugée trop antimoderniste et trop intransigeantiste, la revue promeut une modalité du thomisme romain proche de celui des Pères Cordovani et Garrigou-Lagrange. Elle s’oppose ainsi frontalement à la « théologie nouvelle », défendant en particulier Cajetan contre Lubac. Jugeant le thomisme insurpassable, l’utilisant comme arme de combat intellectuel, elle ne propose cependant que peu d’actualisation de son thomisme spéculatif et refuse toute historicisation.
Comme l’assassin qui revient sur les lieux de son crime ou le chien qui retourne à sa vomissure, ainsi l’historien retravaille-t-il parfois ce que furent ses premières amours ou tout au moins ses premiers travaux, dans une pratique de rumination qui renvoie sans doute davantage au boeuf théologien qu’à un quelconque meilleur ami de l’homme — même s’il pourrait être l’aboyeur du Seigneur — ou à un misérable meurtrier. C’est ce que je ferai ici en reprenant à presque trente ans de distance ce qui fut (presque) mon premier travail universitaire, un DEA sur les dix premières années (1946-1956) de la revue La Pensée catholique, afin de l’enrichir d’études réalisées depuis par d’autres sur lemonde théologique français du premier XXe siècle, et en espérant que la maturité permettra de bonifier ce qui à la relecture paraît assez gauche et insuffisamment approfondi, quels que soient les mérites qu’y aient alors trouvés le jury et d’autres lecteurs.J’utiliserai donc La Pensée catholique pour éclairer certains aspects du thomisme au sein du catholicisme français d’après la Seconde Guerre mondiale, et pour plus largement contribuer à mieux connaître un monde théologique alors marqué par de fortes prises de position sur l’épistémologie de la théologie et sur la thèse de la gratuité du surnaturel, pour avancer dans la compréhension des rapports entre des systèmes de pensée formalisés (dont le thomisme), des matières (philosophie,théologie) et des croyances (dogmes, doctrines), pour mieux inscrire socialement des idées (quels hommes, groupes, réseaux, liens) et pour éclairer la relation au thomisme de ce qu’on appelle l’intégrisme catholique. Pour le dire autrement, la marge me servira à essayer de mieux comprendre le champ théologico-philosophique catholique.