Un tournant gnostique de la phénoménologie française ? : À propos des "Paroles du Christ" de Michel Henry

Paul Clavier
5,00 € l'unité
2005 - Fascicule n°2 2005 - Tome CV
307 - 315
Etude
Phénoménologie, paroles du christ, michel henry

Sous titre

À propos des "Paroles du Christ" de Michel Henry

Résumé

L’ultime ouvrage de Michel Henry dévoile un attrait de la phénoménologie française pour la disqualification du creator visibilium, au profit de la seule auto-révélation de la « vie invisible » sans préambules naturels. Ce choix est assumé dans le cadre d’une référence à la tradition gnostique. À l’intérieur de son « tournant théologique » (D. Jannicaud), la phénoménologie française connaîtrait donc un virage gnostique, effaçant le concept de création au profit d’une structure d’auto-donation.

Extrait

Dans l'ouvrage posthume qu’il nous laisse, Michel Henry convie le lecteur à ce qu’il appelle un « examen rigoureux » (p. 9) des Paroles du Christ. Pourtant il ne s’agit nullement d’un livre d’exégèse. Pas davantage d’un examen sceptique : c’est un examen enthousiaste et inspiré par une attente et une perspective. L’attente, c’est de découvrir dans les Paroles du Christ « une compréhension correcte de notre condition d’homme » ; la perspective, c’est que l’homme n’est intelligible « que dans sa relation intérieure à cet absolu de Vérité et d’Amour qu’on appelle Dieu » (p. 15). C’est cette relation intérieure à un Absolu qui forme la perspective radicale et exclusive de ce livre. Relation intérieure et jamais extérieure : le monde extérieur n’est pas en odeur de sainteté dans un tel livre.
La première parole examinée est significative et donne le ton : « Le ciel et la terre passeront, mais mes paroles ne passeront pas » (Lc 21, 33). Cette parole, sous la plume de M. Henry, devient l’emblème d’une approche qui consiste à privilégier la contemplation intérieure du Verbe plutôt qu’à l’admirer comme factor coeli et terrae. Ce déplacement d’accent n’est pas sans rapport avec l’attitude phénoménologique qui consiste à suspendre l’évidence du monde objectif, des certitudes sensibles, à « transformer l’évidence universelle de l’être du monde […] en quelque chose qui se comprenne ». Ce n’est pas la première fois que la mise hors circuit du monde créé est rapprochée d’une démarche nspirituelle. Husserl ne concluait-il pas ses Méditations cartésiennes par une citation d’Augustin : Noli foras ire, in te redi, in interiore homine habitat veritas… Mais cette fois, M. Henry semble tirer les ultimes conséquences de cette alliance entre attitude phénoménologique et thème spirituel.