L’ultime ouvrage de Michel Henry dévoile un attrait de la phénoménologie française pour la disqualification du creator visibilium, au profit de la seule auto-révélation de la « vie invisible » sans préambules naturels. Ce choix est assumé dans le cadre d’une référence à la tradition gnostique. À l’intérieur de son « tournant théologique » (D. Jannicaud), la phénoménologie française connaîtrait donc un virage gnostique, effaçant le concept de création au profit d’une structure d’auto-donation.
Dans l'ouvrage posthume qu’il nous laisse, Michel Henry convie le lecteur à ce qu’il appelle un « examen rigoureux » (p. 9) des Paroles du Christ. Pourtant il ne s’agit nullement d’un livre d’exégèse. Pas davantage d’un examen sceptique : c’est un examen enthousiaste et inspiré par une attente et une perspective. L’attente, c’est de découvrir dans les Paroles du Christ « une compréhension correcte de notre condition d’homme » ; la perspective, c’est que l’homme n’est intelligible « que dans sa relation intérieure à cet absolu de Vérité et d’Amour qu’on appelle Dieu » (p. 15). C’est cette relation intérieure à un Absolu qui forme la perspective radicale et exclusive de ce livre. Relation intérieure et jamais extérieure : le monde extérieur n’est pas en odeur de sainteté dans un tel livre.La première parole examinée est significative et donne le ton : « Le ciel et la terre passeront, mais mes paroles ne passeront pas » (Lc 21, 33). Cette parole, sous la plume de M. Henry, devient l’emblème d’une approche qui consiste à privilégier la contemplation intérieure du Verbe plutôt qu’à l’admirer comme factor coeli et terrae. Ce déplacement d’accent n’est pas sans rapport avec l’attitude phénoménologique qui consiste à suspendre l’évidence du monde objectif, des certitudes sensibles, à « transformer l’évidence universelle de l’être du monde […] en quelque chose qui se comprenne ». Ce n’est pas la première fois que la mise hors circuit du monde créé est rapprochée d’une démarche nspirituelle. Husserl ne concluait-il pas ses Méditations cartésiennes par une citation d’Augustin : Noli foras ire, in te redi, in interiore homine habitat veritas… Mais cette fois, M. Henry semble tirer les ultimes conséquences de cette alliance entre attitude phénoménologique et thème spirituel.