Thomistica (IX)

Serge-Thomas Bonino o.p.
5,00 € l'unité
2007- Fascicule n°2 2007 - Tome CVII
245 - 298
Bulletin
thomistica

Résumé

Ce bulletin présente de façon critique vingt-cinq ouvrages parus autour de saint Thomas d’Aquin entre 2003 et 2007. Ils permettent de se faire une
idée sur les orientations actuelles de la recherche sur quelques grands aspects de la pensée de saint Thomas : la question de Dieu et de son rapport au monde, le problème du bonheur et des fondements de la morale, avec la question centrale de la nature et du rôle de la loi naturelle. On signale aussi quelques traductions récentes en français ou en anglais des oeuvres de saint Thomas, ainsi que divers travaux qui éclairent l’histoire du thomisme.

Extrait

On ne soulignera jamais assez le théocentrisme résolu de la théologie de saint Thomas d’Aquin. Pour lui, le salut de tout être spirituel consiste essentiellement dans la connaissance du mystère de Dieu, anticipée ici-bas dans la foi et pleinement réalisée dans la Vision. La théologie, qui explore l’intelligibilité de la Révélation, cherche donc avant tout l’intelligence salvifique du mystère de Dieu considéré en lui-même. « Dans la sacra doctrina, tout est envisagé du point de vue de Dieu, soit qu’il s’agisse de Dieu lui-même, soit que cela ait rapport à Dieu comme au principe ou à la fin (Omnia autem pertractantur in sacra doctrina sub ratione Dei, vel quia sunt ipse Deus ; vel quia habent ordinem ad Deum, ut ad principium et finem) » (Sum. theol., Ia, q. 1, a. 7). Tel est d’ailleurs le principe de l’unité de la sacra doctrina. Or force est de constater que, si l’anthropologie et plus encore la morale d’inspiration thomasienne suscitent un vif intérêt dans les débats intellectuels contemporains, la « théologie » proprement dite de saint Thomas, c’est-à-dire la contemplation raisonnée de l’être même et des perfections de Dieu, est aujourd’hui largement passée sous silence, y compris dans les milieux pourtant les plus soucieux d’assumer la tradition théologique de l’Église catholique. Seuls les philosophes, surtout quand ils se rattachent à la tradition analytique, semblent encore s’intéresser à la « théologie naturelle » de saint Thomas, au risque d’ailleurs d’en sous-estimer le contexte théologique. Dieu aurait-il donc changé à ce point que le Dieu de saint Thomas ne soit plus présentable aux croyants d’aujourd’hui ? Sans doute, sous la pression terrible du problème du mal, nombreux sont les théologiens qui se disent mal à  l’aise avec le Dieu de la Summa theologiae et qui prônent une nouvelle « image » de Dieu, censée plus biblique et moins dépendante de la métaphysique. On pense faire la part du feu et sauver le Dieu des chrétiens de la critique athée en le dissociant radicalement du Dieu des philosophes. Mais la cohérence de cette nouvelle image de Dieu — un Dieu plus humain, faible et incertain — est pour le moins sujette à caution, et il n’est pas sûr qu’elle fasse droit à la transcendance du Dieu de la Bible que n’abolit pas mais accomplit la proximité manifestée dans l’Incarnation. Qui plus est, non seulement l’encyclique Fides et ratio a rappelé que la recherche théologique ne pouvait faire l’économie des exigences métaphysiques sans s’inféoder à des modes philosophiques d’autant plus pernicieuses qu’elles demeurent impensées, mais aussi, plus récemment, Benoît XVI, dans son fameux discours à Ratisbonne, n’a pas hésité à affirmer haut et clair que « l’héritage grec critiquement purifié appartient à la foi chrétienne ». Par conséquent, plutôt que de déplorer une prétendue contamination de la Bible par la philosophie grecque, il serait plus judicieux de s’inspirer de la manière dont saint Thomas d’Aquin et d’autres ont réussi à élaborer une approche de Dieu pleinement métaphysique et pleinement biblique, vraiment « catholique », c’est-à-dire assumant toute vérité humaine pour la fonder dans le Dieu de Jésus-Christ. Bref, comme l’écrit M. Levering dans le très bel ouvrage dont la recension ouvre ce bulletin, « le renouveau de la théologie du Dieu un et trine exige des théologiens qu’ils renoncent à la prétendue opposition entre le mode de réflexion scripturaire et le mode de réflexion métaphysique, sans les mélanger pour autant. »