La science divine de simple intelligence connaît tous les possibles. Quand s’y adjoint la volonté conséquente d’opérer, cette science devient scientia approbationis et cause un effet créé. La science de vision connaît, mais ne cause pas, tout le réel, bon ou mauvais, nécessaire et contingent. Comme futuribles, Dieu connaît avec une certitude infaillible seulement les futuribles nécessaires. Les futuribles libres ne peuvent être connus au mieux que conjecturalement. Le médium de connaissance de Dieu est sa propre essence, et non une réalité créée, car la science divine est acte pur. Dieu connaît les futurs libres parce qu’ils sont présents à son éternité comme étant en acte et jouissant donc d’une nécessité de fait. Dieu peut donc prophétiser tous les futurs absolus, mais cela n’impose aucune nécessité à ceux-ci. La volonté de Dieu n’est pas causée par le domaine créé, qu’elle cause au contraire, ainsi que sa nécessité ou sa contingence. En Dieu on distingue une volonté antécédente, conditionnelle, et une volonté conséquente, absolue. La volonté conséquente rattrape infailliblement les « échecs » de la volonté antécédente. La volonté permissive n’est pas toujours suivie de l’effet qu’elle permet, car elle ne l’a rendu que possible. Si Dieu permet le mal moral, c’est qu’il sait que, aussi bien avant qu’après que le mal se produise, il sait toujours en tirer un bien.
La prescience divine, la prédestination, la grâce et le libre arbitre humain ont constitué l’objet d’innombrables études. Outre les abondants passages trouvés chez les Pères de l’Église et les scolastiques antérieurs à l’Aquinate, nos recherches ont repéré sur les matières en question plus de mille ouvrages (imprimés) rédigés entre le XIVe et le XIXe siècle, à quoi il faut ajouter environ 170 pages de titres d’articles et de livres parus depuis la relance du thomisme par Léon XIII en 1879. Alors, se dira-t-on, à quoi bon rouvrir le dossier, qui a toujours buté sur des impasses ? Il nous semble que les outils informatiques dont nous disposons depuis une trentaine d’années nous rendent possible une investigation plus exhaustive et rigoureuse de la pensée thomasienne sur les sujets susdits. C’est ainsi par exemple que nous avons pu personnellement en un laps de temps assez réduit consulter environ 4 000 passages des œuvres du Docteur commun sur ces thématiques. En outre, les recherches gravitant plus ou moins depuis cent ans autour de l’édition léonine des Opera omnia du saint permettent de suivre de manière précise le développement chronologique de sa doctrine. Or, le Docteur angélique n’a pas réuni en une seule synthèse les diverses composantes nécessaires sinon à la solution des problèmes soulevés (à jamais liés au mystère insondable de l’éternité et des desseins divins), du moins à leur exposition complète et organisée. Mais il nous a paru possible d’en construire une nous-même. Nous nous proposons ici de livrer au public de manière résumée le résultat de nos recherches dans ce domaine, en fonction de trois axes, répartis en trois articles : d’abord la prescience et la volonté divines, ensuite la providence et la prédestination, et enfin l’action divine (naturelle et surnaturelle) sur l’action temporelle des créatures. Le tout sera conclu par un quatrième et dernier article proposant un condensé de cette synthèse ainsi qu’une ébauche de solution personnelle.