Le mystère de l’inhabitation trinitaire recèle une véritable difficulté dès lors qu’on veut rendre compte de l’union entre Dieu et l’âme, union que rend possible le don de la grâce. Les disciples de saint Thomas ont été sensibles à la tension qui existe entre deux domaines impliqués ici : « l’ontologique » dans l’ordre de l’exitus, le « psychologique » dans l’ordre du reditus. En réalité, il importe de percevoir l’inclusion mutuelle qui caractérise la présence d’inhabitation : cette présence de Dieu par la grâce ne se fait pas « en dehors », ni sans lien à l’esse in de Dieu qui découle de sa causalité créatrice. L’analyse métaphysique de la notion de « présence » décrite comme une actuation ordonnée éclaire de son côté cette union de l’âme à Dieu.
Cet article présente la phase ultime d’un travail à la fois historique et doctrinal consacré à la recherche du fondement de l’inhabitation trinitaire, contemplée sous l’angle de sa réalité : comment, et plus précisément sous quel mode, Dieu tel qu’il est, un et trine, est-il vraiment présent dans chaque chrétien, et comment s’unit-il à lui ? Il s’agit d’un débat théologique ancien, que l’on peut historiquement rattacher à l’âge de la scolastique baroque. Remis sur le devant de la scène par le P. Ambroise Gardeil, ces controverses, occasion d’un approfondissement réel, se sont poursuivies tout au long du xxe siècle. La dernière contribution d’importance, d’ailleurs récente, est celle d’un dominicain de la Province de France, le P. Camille de Belloy, dont les études constituent comme la trame de fond de notre propre réflexion. Nous nous plaçons donc résolument dans cette lignée, qui va de saint Thomas au P. de Belloy, en intégrant, non d’ailleurs sans nuances, les magistrales synthèses tant de Jean de Saint-Thomas que du P. Gardeil.Après avoir rappelé le contexte et les principaux éléments de ce débat, nous proposerons une explication de l’union entre Dieu et l’âme qui résulte du don de la grâce. Nous verrons alors comment l’instrument métaphysique peut se mettre au service de l’effort théologique. Enfin,une série de remarques autour du thème de la « connaissance quasi expérimentale » de Dieu, rattachée par saint Thomas lui-même au don de la grâce sanctifiante, viendra préciser notre thèse.