Dans un article consacré à la doctrine de saint Thomas d’Aquin sur les fins du mariage, le dominicain italien A. Oliva a tenté de montrer que, pour le Docteur commun, la procréation ne serait que la fin éloignée et extrinsèque du mariage, alors que l’amour mutuel entre les conjoints en serait la fin propre, intrinsèque et principale. Une étude attentive des textes de saint Thomas ne permet pas de corroborer une telle interprétation, qu’aucun commentateur, ancien ou moderne n’a jamais relevée, qui contredit au contraire son enseignement le plus clair et constant et qui repose surtout sur un certain nombre de graves contradictions métaphysiques, en particulier concernant la distinction entre perfection première et perfection seconde.
Dans un article copieux, érudit et stimulant, Adriano Oliva, dominicain de la province romaine et Président de la Commission léonine, propose une interprétation originale et subtile de la pensée de Thomas d’Aquin sur l’essence et les fins du mariage. Cet exposé, qu’il décrit lui-même comme une « réflexion renouvelée sur quelques aspects du mariage selon Thomas d’Aquin », repose sur l’application au cas du mariage de la distinction métaphysique entre deux ordres de fins : d’une part l’ordre de la fin propre, intrinsèque, essentielle et prochaine, d’autre part celui de la fin conséquente, extrinsèque ou éloignée. La fin propre d’une chose, « résultant de sa forme », « relève de son essence » et lui est essentielle ; elle est « inhérente à la res » dont elle est la fin et « impliquée nécessairement par [elle] ». La chose ne peut pas être sans cette fin. La fin conséquente ou extrinsèque, par contre, ne relève pas de l’essence de la chose et lui est extérieure ; elle relève de l’agir qui découle de cette essence et par lequel la chose peut, « de manière non nécessaire », contribuer à l’obtention de sa fin propre. La fin éloignée n’est pas « nécessaire à l’actuation de la fin propre et prochaine » de la chose.
Adriano Oliva met en œuvre cette distinction pour expliquer la pensée de Thomas d’Aquin concernant les fins du mariage. La fin propre du mariage ne serait autre que ce qui constitue sa forme essentielle, à savoir, « la communion de vie entre les époux et l’amitié parfaite », ou encore, selon des mots empruntés à Thomas d’Aquin, « l’union indivisible des esprits et des cœurs ». La fin extrinsèque ou éloignée, elle, s’étendrait aux actes qui découlent de façon non nécessaire de cette communion de vie et ne dépendent pas de son essence, à savoir la procréation et l’éducation des enfants, ainsi que l’entraide que les conjoints se doivent, en particulier en vue du bien des enfants.