Sans faire l’objet d’un traité particulier, la pensée politique de saint Thomas d’Aquin s’enracine dans une conception ferme et élaborée, dont l’expression se retrouve dans l’ensemble de son oeuvre. Cette étude en présente les éléments fondamentaux concernant l’homme, les communautés humaines et la relation d’une communauté à ses membres. C’est sur ces fondements que se déploieront les thèmes plus classiques de la justice, de la prudence, de la relation des deux pouvoirs… On découvre chez le Docteur commun une approche très ample du politique, qui relève plus de la théologie que de la philosophie, même si cette dernière, puisée chez Aristote, est remarquablement assimilée.
Les aspects politiques des oeuvres de Thomas d’Aquin n’ont, en général, à l’époque contemporaine, guère retenu l’attention de ses disciples. Dans certains cas, ces aspects sont totalement absents. Ainsi présente-t-on souvent la conception thomasienne de la personne sans même évoquer sa dimension communautaire. Dans d’autres cas, ces aspects sont présents, mais parcellaires. Certains d’entre eux ont fait l’objet d’études particulières, et il faut citer, au premier chef, ce qui se rapporte à l’ordre des communautés politiques et à leur organisation juridique : ce qui a trait à la justice, à la loi et au droit. Au XXe siècle, dans un contexte politique marqué, la question du meilleur régime a connu un certain renouveau ; et celle de la relation entre les deux pouvoirs revient, à échéances variables, sur la scène. Bref, on rencontre tel domaine particulier mais presque aucune approche d’ensemble. Sans doute les raisons à l’origine d’un tel constat sont-elles nombreuses. Suggérons-en deux seulement, de nature fort différente. La première tient à une orientation ancienne du labeur théologique et de son instrument philosophique. Indiscutablement, ce que l’on nomme volontiers le « tournant anthropologique » de la théologie à partir du bas Moyen Âge, jusqu’au XIIIe siècle, s’estompe jusqu’à disparaître. Si la réalité du temps de chrétienté a longtemps masqué cette transformation de la pensée, le fait apparaît avec plus de clarté à l’époque contemporaine. La seconde raison est d’un tout autre ordre et tient à saint Thomas lui-même. C’est que les aspects politiques de ses oeuvres, si présents soient-ils, ne sont presque nulle part présentés de façon synthétique. Les domaines où apparaissent des enseignements homogènes à travers un traité ou des questions particulières : la loi, les vertus de justice et de prudence, sont précisément ceux que retiendront le plus les commentateurs. Mais en dehors de ces domaines particuliers assez aisément individualisables, nles propos de saint Thomas en matière politique sont dispersés, apparaissent dans toutes ses oeuvres, au détour d’une question ou d’un article, souvent là où on ne s’attend guère à les y rencontrer. Ce simple fait rend la chose difficilement identifiable et l’on pourra penser que cela témoigne de conceptions partielles, non pleinement formées. Or, nous estimons qu’il n’en est rien, qu’il y a au contraire chez saint Thomas une pensée à la fois élaborée et cohérente dans l’ordre politique.