Article écrit en l'année 2014 par dans la Revue thomiste n° CXIV, pages 179-196.
Le début du XXe siècle a parfois voulu faire de Thomas d’Aquin un monarchiste. Pour y parvenir, on a lu le traité De regno comme s’il s’agissait d’un livre de métaphysique, où l’on se plaisait à souligner des phrases comme celle-ci : «Que le roi connaisse donc qu’il a reçu cet office, afin d’être dans son royaume comme l’âme dans le corps, et comme Dieu dans le monde.» C’était tomber dans le travers de beaucoup de métaphysiciens, autant dire de philosophes, qui pensent pouvoir déduire une politique à partir des principes métaphysiques. C’était surtout négliger l’insistance que met Thomas d’Aquin à ne pas confondre l’ordre métaphysique et celui de la politique, qui est d’ordre pratique. À titre de science morale, non homogène à la métaphysique et irréductible à une habileté technique, la politique doit tenir compte des multiples circonstances variables et contingentes. La présente étude se veut une claire mise au point de la relation entre politique et métaphysique, telle que l’envisage Thomas d’Aquin dans les prologues à ses Commentaires de l’Éthique et de la Politique. Il en ressort une image nuancée et équilibrée.
Deux ouvrages récents consacrés à Thomas d’Aquin, l’un en 2011 intitulé Droit, politique et métaphysique, l’autre portant sur la Situation de la politique dans la pensée de St Thomas d’Aquin, soulignent combien la relation entre métaphysique et politique s’avère très complexe. Mais il suffit parfois de lire les textes eux-mêmes pour que la brume se dissipe et constater que ce qu’on prenait pour de la complexité n’est peut-être qu’inutile complication dont on pourrait se passer. En fait, la question du rapport entre la politique et la métaphysique est d’ordre épistémologique. Or Thomas d’Aquin a pris soin de préciser la place des différents savoirs dans les deux prologues au Commentaire de l’Éthique et au Commentaire de la Métaphysique, deux analyses que je me propose de suivre ici, en les illustrant par quelques emprunts au De regno...