De la « philosophie du sens commun », on connaît généralement l’école écossaise de Thomas Reid, qui a donné lieu à une tradition anglo-saxonne encore bien vivante aujourd’hui dans le monde analytique. Mais il a existé une autre « tradition du sens commun », inaugurée en 1724 par Claude Buffier, s.j. et qui a perduré dans la philosophie catholique des XVIIIe et XIXe siècles. Selon une hypothèse de Juan Ventosa, cette tradition de philosophie catholique aurait été supplantée par la philosophie néo-thomiste à la fin du XIXe siècle. Mais en réalité une partie importante de l’école néo-thomiste, loin d’être en rivalité avec la tradition Buffier, a intégré des éléments essentiels de sa doctrine du sens commun. Dans cet article, je présente cette tradition du sens commun, et j’examine la question complexe de son rapport avec la philosophie thomiste.
De la « philosophie du sens commun », on connaît généralement en France l’école écossaise de Thomas Reid, James Beattie ou Dugald Stewart, à l’époque des Lumières écossaises. Cette école écossaise eut une influence importante sur la philosophie éclectique de Victor Cousin au XIXe siècle, mais au XXe siècle la philosophie française a surtout retenu la condamnation sans appel formulée par Emmanuel Kant, qui voyait dans l’école du sens commun une manœuvre de « fumiste » « permet[tant] au plus insipide bavard d’affronter hardiment l’esprit le plus profond et de lui tenir tête ». À partir de la fin du XXe siècle, cependant, de nombreux épistémologues et historiens ont remis en valeur la subtilité, voire l’actualité, des arguments de Thomas Reid, non seulement dans le monde anglo-saxon mais également dans les études en langue française.