Cette étude fait suite à un précédent article, intitulé « L’innascibilité et les relations du Père, sous le signe de sa primauté, dans la théologie trinitaire de Bonaventure » (RT 106 [2006], p. 531-563). L’articulation entre la procession et la relation est plus subtile chez Thomas que chez Bonaventure, car l’Aquinate parvient à éviter une solution univoque. Là où le maître franciscain optait pour une subordination de la relation à l’égard de l’émanation, le dominicain donne une priorité à la relation en tant qu’elle subsiste, tout en soulignant que la relation en tant que rapport se fonde bien sur la procession. Ce tour de force spéculatif aboutit à une théologie du Père originale, soustraite au modèle dominant de l’émanation. Dès lors, le Père n’est plus caractérisé de façon prioritaire par sa simple primauté ou son innascibilité, mais par sa relation constitutive au Fils. Selon cette conception relationnelle de la personne du Père, la génération du Fils et la procession de l’Esprit expriment adéquatement la fécondité et la plénitude de leur paternelle origine.
L’objectif de la présente étude est de mettre en regard, sur des points précis de convergence ou de divergence, la théologie trinitaire de Thomas d’Aquin et celle de Bonaventure. Le premier temps de l’exposé, sur la Trinité selon l’Aquinate, ne vise donc pas à produire une synthèse complète, mais seulement à dégager certaines spécificités du geste thomasien en matière trinitaire. L’attention se portera donc en premier lieu sur la complémentarité entre procession et relation. Thomas ménage en effet une priorité réciproque entre ces deux concepts lorsqu’il les emploie pour donner une certaine intelligence des personnes divines. Après avoir observé comment Bonaventure opte pour une subordination de la relation à l’émanation, il est tout indiqué de considérer l’articulation thomasienne entre procession et relation, qui souligne plutôt, à l’inverse, l’irréductibilité de la relation par rapport à la procession. Au besoin, nous reviendrons sur certains aspects de la triadologie bonaventurienne pour préciser les convergences et les divergences.
Dans un second temps, la présente étude évaluera les options thomasiennes sur les propriétés de la première hypostase. Les choix antérieurs prennent alors sens, et la divergence avec Bonaventure sur la conception du Père dans la Trinité se révèle féconde et inspirante pour une réflexionà nouveaux frais.