L’article de la Somme consacré à l’homicide en situation de légitime défense a traditionnellement été tenu pour la source de la doctrine du double effet, formulée par les théologiens puis par le Magistère catholique. Pourtant, des lectures incompatibles en ont été faites dès la seconde scolastique. Une divergence majeure oppose ceux qui, comme Cajetan, trouvent bien dans le texte de saint Thomas la distinction entre effet visé et effet seulement prévu, et ceux qui, avec Vitoria, estiment que ce n’est pas cette opposition qui est en cause et que la légitime défense inclut une permission de tuer intentionnellement. Cette lecture a été renouvelée par des commentateurs récents, avec des arguments qui sont exposés et discutés dans la première partie de cette étude. Même en défendant l’interprétation traditionnelle, plusieurs divergences sont encore possibles qui se hiérarchisent selon des degrés de rigueur à l’égard de la permission des effets prévus. La deuxième partie expose ces différentes versions de la doctrine du double effet et tente une synthèse conciliatrice.
Nos actions sont souvent décrites par leurs résultats : aller à tel endroit, manger du poulet, conquérir le pouvoir. Mais les résultats actuels, ou encore futurs et possibles d’une action, ne sont pas tous connus de l’agent, et même s’ils sont connus, ils ne sont pas pour autant recherchés. Je peux ne pas savoir que la planche que je scie appartient à Paul, et je peux le savoir sans que cela m’importe parce que je cherche seulement à scier une planche. Dans le premier cas, « scier une planche de Paul » décrit sans doute ce que je fais, mais ce n’est pas vraiment mon action, qui est de scier une planche. Dans le second cas, je pourrais difficilement refuser l’idée que je sciais une planche de Paul, mais je pourrais encore prétendre, si l’on m’en accusait, ne pas l’avoir fait intentionnellement : je n’ai pas cherché à prendre à Paul une de ses planches. Ce ne serait sans doute pas une excuse aussi forte que l’ignorance du propriétaire, mais cela me disculperait d’avoir cherché à lui nuire par exemple. Il est ainsi non seulement possible, mais peut-être pertinent du point de vue de l’évaluation morale, de distinguer les effets recherchés et les effets connus, envisagés, ou seulement prévus mais non recherchés d’un acte. C’est cette distinction qui fonde ladite « doctrine du double effet » (DDE).