La place que tient le bien dans l’univers de saint Thomas ne l’a pas empêché de prêter grande attention au don, et même au don de soi. Élaboré avec précision en théologie trinitaire, pour désigner les processions divines ad intra et ad extra, ce concept est aussi appliqué à l’amour d’amitié. En sa réalisation la plus haute, l’amour de charité, il nomme la fin même de l’homme, donc son bien.
Nul ne doute que le bien joue un rôle de premier plan dans la pensée de saint Thomas. De même, chacun peut constater l’intérêt croissant que suscite la thématique du don depuis une bonne centaine d’années. En revanche, on peut se montrer sceptique quant à la compatibilité de l’un et de l’autre. Ne faut-il pas choisir entre l’amour qui vise un bien, son bien, et l’amour qui donne, voire qui se donne ? Le « don de soi » peut-il d’ailleurs avoir un sens autre que métaphorique ou dialectique ? Autant de raisons qui invitent, semble-t-il, à ne pas perdre son temps à interroger saint Thomas sur un sujet qui paraît lui être à la fois postérieur et inassimilable par principe. Or il n’en est rien : comme on va le voir, on trouve chez lui une authentique théologie du don, qui s’harmonise même sans peine avec sa conception du bien.