La réflexion théologique sur le sacrifice de la messe a longtemps occupé les réflexions croisées de Jacques Maritain et de Charles Journet, l’un et l’autre s’encourageant et se répondant alternativement, non sans interrogations réciproques, sur plus de quarante ans de correspondance, mais où l’ascendant du philosophe de Meudon sur le théologien se manifeste de plus en plus, le conduisant fermement, non sans quelques résistances, là où il aboutit dans son ultime proposition dont le théologien, devenu entretemps cardinal, se fera le défenseur. La messe est le moment sacramentel par lequel Dieu, par un acte de sa toute-puissance, rend présent dans le temps, postérieur à la croix et dans l’Église, l’événement rédempteur du Vendredi Saint. Après l’étude de sa genèse, cet article propose une analyse de la réception de la formulation maritainienne de la théologie du sacrifice de la messe (1965-1968), et procède ensuite à une évaluation critique, au regard de ses sources thomasiennes et du magistère récent depuis Pie XII.
Le point de départ des théories sur le sacrifice eucharistique réside dans l’affirmation de la foi catholique, répercutée par le Catéchisme de l’Église catholique (n° 1364, citant Lumen gentium, n° 3) : «Toutes les fois que le sacrifice de la Croix par lequel le Christ notre Pâque a été immolé [cf. 1 Co 5, 7] se célèbre sur l’autel, l’œuvre de notre rédemption s’opère.» À cette affirmation fait écho la vénérable prière sur les offrandes du Jeudi saint : «Seigneur accorde-nous la grâce de vraiment participer à cette eucharistie ; car chaque fois qu’est célébré ce sacrifice en mémorial (quoties hostiae commemoratur) c’est l’œuvre de notre Rédemption qui s’accomplit (opus nostrae redemptionis exercetur)» ; ou encore, selon une traduction plus exacte : «Accordez-nous Seigneur de participer dignement aux saints mystères ; car chaque fois que nous y célébrons le mémorial du sacrifice du Christ, c’est l’œuvre de notre rédemption qui s’accomplit.»