L’affirmation de Dei Verbum selon laquelle la Tradition précède l’Écriture exige que l’on distingue nettement entre 1°, la Tradition en tant qu’elle constitue le dépôt de la foi sous le régime de l’inspiration de l’Esprit ; 2°, la Tradition en tant qu’elle explicite le dépôt sous l’assistance de l’Esprit à l’Église. Plus radicalement, la Tradition ne constitue pas le dépôt (et encore moins ne l’explicite) par le simple jeu des divers conditionnements (historiques, culturels, linguistiques, littéraires, etc.) que les disciplines bibliques étudient. Les conditionnement jouent sur les modalités mais ne donnent pas (encore moins ne créent) l’objet qui spécifie la Parole de manière déterminante et qui, lui, est la Révélation. Pour clarifier cette délicate question, les distinctions que pose saint Thomas entre le charisme de prophétie et la vertu théologale de foi d’une part, les charismes de prophétie et de formulation de la Parole (charisma sermonis) d’autre part, s’avèrent particulièrement éclairantes.
Notre réflexion part d’un article du cardinal Albert Vanhoye sur « la réception dans l’Église de la constitution dogmatique Dei Verbum ». Ce texte, en lui-même excellent, soulève des questions qui obligent le théologien à réfléchir à des problèmes qui se posent encore aujourd’hui à l’Église. Ceux-ci tournent autour d’un questionnement portant sur l’affirmation fondamentale de ce texte : « La Tradition englobe l’Écriture. » Le cardinal explicite cela en disant que « la définition conciliaire [Dei Verbum] conduit à inverser les rapports entre texte écrit et message oral ». En effet — faut-il le rappeler ? — en refusant la problématique des « deux sources » (Écriture et Tradition) de la Révélation, la constitution conciliaire n’a pas du tout voulu laisser entendre que la source unique serait l’Écriture. Si cela avait été le cas, le Concile aurait rejoint la perspective du protestantisme dans sa version fondamentaliste. Ce qu’il a dit, c’est que l’Écriture et la Tradition sont deux modes connexes de transmission de la Parole de Dieu, et qu’ils sont eux-mêmes intimement interconnectés avec un troisième mode qui est le Magistère ecclésial. Cet acquis, que personne ne remet en doute aujourd’hui dans l’Église catholique, est lumineusement rappelé dans le texte du cardinal.