La nature politique est une réalité bien établie chez Thomas, aussi bien lorsqu’il étudie les hommes et les communautés humaines que lorsqu’il traite du genre humain dans son ensemble à la lumière de la Révélation. Pour autant, ces deux domaines paraissent chez lui comme juxtaposés, et il n’est pas sans intérêt de voir comment ils peuvent se rejoindre, dès lors qu’il s’agit des mêmes hommes et des mêmes groupes humains, appréhendés à la fois par la raison naturelle et par la foi théologale.
Contrairement à ce que de nombreuses interprétations ou publications pourraient laisser à penser, l’anthropologie thomasienne n’est pas individualiste. Elle ne porte pas seulement sur les personnes prises dans leur singularité, elle porte aussi sur leur appartenance à une espèce et à des groupes humains auxquels elles ne peuvent se soustraire que par une abstraction spéculative, en concevant une nature abstraite de celles qui l’entourent. Démarche nécessaire, mais qui risque de faire oublier un pan entier de l’anthropologie de Thomas.Par nature politique, nous entendons ici le caractère communautaire, par essence, de la nature humaine. Cette affirmation unique conduit à deux types d’analyse. D’une part, celle qui porte sur la personne humaine en sa dimension politique, en tant qu’elle appartient à telle communauté humaine. D’autre part, celle qui porte sur ces communautés qui sont le lieu de l’incarnation des personnes en leur dimension politique. Dans chacun de ces domaines, les œuvres de Thomas d’Aquin ont à nous instruire.Si l’on cherche à colliger les principaux enseignements, puisés en des lieux épars au sein du corpus thomasien, on discerne deux grands domaines où la nature politique est présente et explicitement traitée. S’ils s’intègrent tous les deux dans une œuvre qui est, dans son ensemble,théologique, ils relèvent de démarches analytiques différentes, et comme inverses. D’un côté, il s’agit pour Thomas d’élaborer une anthropologie politique en usant du concours de la raison philosophique et en partant de la réalité expérimentée : c’est ce que nous appellerons la voie ascendante de ses réflexions, qui se nourrit des enseignements de la philosophie politique, spécialement celle d’Aristote. De l’autre côté, il entend tirer parti des enseignements de la Révélation lorsqu’est en cause l’ensemble du genre humain, aussi bien lorsqu’il traite de la création que dans ses propos sur la rédemption : c’est ce que nous nommerons la voie descendante. Après avoir évoqué successivement chacune de ces voies, il faudra s’interroger sur leur rencontre possible.
