Le présent article tente d’établir une typologie des différentes formes d’antithomisme à l’époque moderne (XVIe-XVIIIe siècles). Après avoir distingué entre les formes « externes » et « internes » d’antithomisme, on y démontre que la référence à l’oeuvre de Thomas d’Aquin est avant tout un moyen de prétendre à l’orthodoxie en milieu catholique. On montre ensuite les différentes manières dont cette prétention est mise en oeuvre : d’abord en analysant les différentes méthodes d’interprétation de l’oeuvre de Thomas d’Aquin chez les jésuites et les dominicains, puis en montrant comment les différences doctrinales se fondent également sur des paradigmes philosophiques différents. Sont particulièrement prises en compte les oeuvres des jésuites Juan Bautista Poza, Pedro Hurtado de Mendoza, du clerc régulier Tomás Hurtado, du franciscain Juan de Rada, ainsi que de théologiens séculiers de la Sorbonne (Louis Bail), de l’Université de Douai (Adrien Delcourt) et de Louvain (Martin De Swaen), ainsi que plusieurs auteurs jansénistes et dominicains.
Le monde de la scolastique du XVIIe siècle est un monde en guerre : un bellum scholasticum, expression qui revient souvent sous la plume de ses principaux protagonistes, qui divise une philosophie et une théologie qui furent dans leur immense majorité un phénomène d’école. D’une manière générale, les querelles doctrinales de ce qui fut l’un des plus hauts moments de la théologie dite de controverse avaient l’aspect de batailles rangées, agrémentées de leurs lots de surprises, d’escarmouches, de traîtrises ou encore d’assassinats en règle.