Aristote au Latran

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2012 - Fascicule n°1 2012 - Tome CXII
9 - 30
Article
Aristote, Thomas d'Aquin, Dietrich, Transsubstantiation, Philosophie, Eucharistie

Sous titre

Eucharistie et philosophie selon Thomas d'Aquin et Dietrich de Freiberg

Auteurs : Ruedi IMBACH et Catherine KÖNIG-PRALONG

Résumé

Le dogme de la « transsubstantiation » eucharistique formulé lors du concile de Latran IV use de l’outillage conceptuel aristotélicien, en particulier de la distinction entre substance et accident. En contradiction avec les principes de l’ontologie aristotélicienne, ce dogme introduit en scolastique un conflit des orthodoxies philosophique et théologique que Thomas d’Aquin tente de résoudre en théologien lecteur d’Aristote. Opposé à cette stratégie de compromis, Dietrich de Freiberg ignore les décrets ecclésiastiques récents pour asseoir une orthodoxie philosophique aristotélicienne sans intrusion du théologique.

Extrait

Si la constellation de questions qui tournent autour de la dite « querelle des universaux » domine la scène des débats philoso- phiques du xiie siècle, l’accident, tel qu’il fut défini par Aristote, occupe une place insigne dans le questionnaire philosophique du XIIIe siècle. Vers 1300, Dietrich de Freiberg considère la question de l’accident comme un lieu discriminant de l’orthodoxie philosophique. Une part de ses plus vives polémiques contre des collègues ou d’illustres prédécesseurs concerne la manière dont il faut concevoir l’accident par rapport à la substance. La manière dont le concile du Latran IV a décrit ou défini le sacrement eucharistique, suite au débat autour des doctrines de Béranger de Tours, peut être considérée comme un départ et un lieu problématique déterminant de l’histoire des discussions scolastiques autour de l’accident. Dans le premier chapitre des actes du concile du Latran IV apparaît pour la première fois dans un texte officiel le verbe transsubstantiare : [Christus] cuius corpus et sanguis in sacramento altaris sub speciebus panis et vini veraciter continentur, transsubstantiatis pane in corpus, et vino in sanguinem potestate divina. Comme l’a souligné récemment Dorothea Weltecke, la réception de cette détermination ne fut exempte de difficultés ni dans les milieux cultivés « orthodoxes », ni dans les cercles « hétérodoxes », ni dans la caste des théologiens, ni chez les laïcs. Au vu des discussions qu’il a sus- citées, ce dogme n’allait pas de soi dans le monde culturel même d’où il émanait. Lorsque Thomas d’Aquin explique cette définition de l’eucharistie dans sa Somme de théologie, il précise que « toute la substance du pain est convertie en toute la substance du corps du Christ et toute la substance du vin est convertie en la substance du sang du Christ». Il insiste sur l’orthodoxie de cette détermination établie contre l’erreur de Béranger, contre son interprétation métaphorique des paroles eucharistiques « hoc est corpus meum… ».