Cet article examine les passages de saint Thomas d’Aquin évoquant les sujets que nous appelons aujourd’hui économiques. Même si la notion n’est pas présente chez lui, saint Thomas a analysé avec finesse les réalités économiques de son temps, et représente une étape essentielle dans l’élaboration de la pensée économique occidentale. Cela vise trois thèmes : 1) des notions générales (la propriété, la justice, le travail) ; 2) la justice des échanges ; 3) le taux d’intérêt ou usure. Ces analyses ont un objectif fondamentalement normatif, et elles ont le mérite d’étudier avec objectivité les faits économiques sous-jacents, avant de se prononcer sur le plan moral. La notion de justice est au centre de cette réflexion. On notera en particulier que pour lui la justice s’apprécie en fonction d’une évaluation éthique des rapports sociaux réels, à analyser avec précision, et non à partir d’a priori. Dès lors, même si on peut remettre en question certains aspects de cette analyse, comme dans le cas de l’usure, l’essentiel de ses leçons conserve leur valeur et demeure d’actualité.
L’objet de cette étude est de faire le point sur les passages de saint Thomas qui visent des questions que nous classons de nos jours comme économiques, et d’examiner quelles leçons peuvent en être tirées. Il va de soi que cette catégorie n’existait pas comme telle du temps de Thomas, et que l’objectif de Thomas n’était pas d’explorer en eux-mêmes ces champs dans l’optique de ce que nous appelons économie. En outre, l’état d’avancement de l’économie était bien sûr éloigné de ce que nous connaissons depuis, ce qui limitait par nature la contribution qu’il lui était possible d’apporter. En revanche, comme on le verra, il a apporté sa pierre de façon significative dans l’immense effort alors accompli par la scolastique, posant les bases de ce qui sera plus tard l’économie politique. Puisant dans une tradition déjà non négligeable, notamment dans l’œuvre d’Aristote, il a été une étape essentielle dans ce processus. Je me concentrerai toutefois ici sur ses écrits, n’évoquant ses prédécesseurs et successeurs que pour mieux éclairer et comprendre ses propos, les principes qu’il pose, leur portée et l’appréciation que nous pouvons en faire.Corrélativement je n’examinerai pas l’usage possible par Thomas d’arguments ou de comparaisons issues du champ économique mais appliqués à d’autres sujets.