Perfection chrétienne, spiritualité dominicaine et contemplation : Le P. Réginald Garrigou-Lagrange face au succès du système de la mystique étendue (1923-1927)

Sylvio Hermann De Franceschi
8,00 € l'unité
2021 - Fascicule n°1
121
CXXI
1
2021
5 - 50
Article
Contemplation, Garrigou-Lagrange, mystique, Perfection, Spiritualité

Résumé

À la fin de 1923, le P. Garrigou-Lagrange publie Perfection chrétienne et contemplation. Le livre constitue une magistrale synthèse qui présente au public le système thomiste de la mystique étendue telle que le dominicain l’a défendu dans la revue La Vie spirituelle depuis 1919. Face aux partisans des thèses caractéristiques de la mystique restreinte, les représentants de l’orthodoxie thomiste ont clairement remporté la victoire en 1923. Incarner une mouvance dont la domination doctrinale est désormais admise mais dont les thèses donnent lieu à des interprétations abusives fait pourtant peser de nouvelles responsabilités sur les théologiens qui animent La Vie spirituelle. De 1923 à 1927, le P. Garrigou-Lagrange est ainsi progressivement conduit à modérer la radicalité de ses engagements. Après une réflexion de plusieurs mois, le dominicain propose finalement en septembre 1927 un tournant liguorien de la ligne éditoriale de La Vie spirituelle.

Extrait

Lourdement pénalisé par la condamnation romaine du quiétisme, le statut de la mystique a mis plus de deux siècles à se rétablir en catholicité. Il a fallu attendre les années 1890 pour que l’on observe un véritable renouveau des publications théologiennes consacrées à une spiritualité particulièrement exigeante. À la veille de la Première Guerre mondiale, les débats suscités par la question mystique ont abouti à la constitution de deux principales mouvances doctrinales. La première se reconnaît dans les thèses défendues par le chanoine Auguste Saudreau (1859-1946), qui a notamment publié Les degrés de la vie spirituelle (1896), L’état mystique, sa nature, ses phases (1903), et enfin Les faits extraordinaires de la vie spirituelle (1908), et qui enseigne qu’il y a un appel général des âmes à la voie unitive, dès lors accessible à chacun, et que la vie spirituelle doit se concevoir selon un progrès graduel depuis les étapes indispensables de l’ascétique jusqu’au degré suréminent de la contemplation infuse. La seconde suit au contraire la doctrine prônée par le jésuite Augustin Poulain (1836-1919), qui a fait paraître en 1901 son traité Des grâces d’oraison, où il défend la thèse d’une séparation radicale entre la voie de l’ascétique, dont les exigences peuvent être observées de chacun, et celle de la mystique, dont les états caractéristiques ne sont en revanche atteints que par de rares élus. Les partisans des deux systèmes, celui de la mystique étendue et celui de la mystique restreinte, sont désormais aux prises.