On affirme souvent que le binôme nature-grâce est né en théologie avec la scolastique : il est en effet certain que celle-ci disposait d’un outil métaphysique élaboré après la redécouverte de la plupart des textes d’Aristote. On entend aussi fréquemment dire que saint Augustin présente une conception de la grâce très imprégnée de l’histoire du salut et de son expérience personnelle, et qu’il n’analyse pas le don salutaire de Dieu de manière métaphysique. Or, un examen plus approfondi de ses textes, et particulièrement de ceux de la crise pélagienne, montre qu’il avait bien envisagé cette distinction nature et grâce, et qu’elle ne lui est pas postérieure : cet article s’interroge sur certaines expressions qu’il emploie, comme celle de « bien de nature » ; il montre également que l’évêque d’Hippone entrevoit différents apports de la grâce par rapport à la nature.
Cet article fait suite à une précédente contribution publiée dans la Revue thomiste en 2015 qui traitait de l’expression « grâce de la Création » que l’on peut trouver dans le livre des Sentences de Pierre Lombard. Elle manifeste l’intérêt grandissant pris, au début du Moyen Âge, pour la nature humaine en tant que telle. Mais est-il possible de remonter plus loin dans cette analyse ? Et quelles sont les origines de cette manière de voir le sujet humain, assez typiquement occidentale ? Tel est l’objectif que nous nous fixons dans ce travail.Une des premières attestations théologiquement certaines d’une distinction entre la nature humaine et la grâce se trouve dans un ouvrage longtemps attribué à saint Augustin, mais qui n’est pas authentique : l’Hypognosticon.