La honte a disparu de la théologie morale et spirituelle contemporaine. Le pape François exhorte pourtant à retrouver le sens de la honte comme une grâce. À l’école de saint Thomas d’Aquin, cette étude vise à mieux cerner ce qu’est la honte dans la vie morale. Sans atteindre au rang de vertu, elle en est une partie intégrante qu’il convient de réhabiliter. Un détour par la tradition chinoise permet d’enrichir la conception occidentale de la honte, d’en éviter les écueils et d’envisager sa réhabilitation comme vecteur indispensable à la sainteté chrétienne.
À deux reprises au moins, le pape François a exhorté dans ses homélies à retrouver le sens de la honte, qu’il qualifie de grâce. Il y méditait un verset commun aux prophètes Daniel et Baruch : « À toi, Seigneur, la justice, à nous la honte » (Dn 9, 7 ; Ba 1, 15) et invitait à solliciter la « grâce de la honte » qui complète la mémoire du péché et oriente vers l’accueil de la miséricorde divine.Ce recours à la honte pour son caractère médicinal, en relation avec le processus qui va de l’attrition à la contrition jusqu’au pardon reçu dans l’absolution sacramentelle, est enraciné dans la tradition médiévale. Dans les manuels de l’époque, l’expérience pénible de la honte est même parfois réputée rendre la pénitence inutile, puisqu’elle constitue en elle-même une pénitence suffisante. C’est ainsi qu’un célèbre traité anonyme de pénitence du xie siècle, longtemps attribué à saint Augustin et pillé abondamment par les médiévaux, le De vera et falsa poenitentia, explique :
En elle-même, la honte contient une partie de la rémission […]. Et puisque la honte est une grande peine, celui qui rougit de honte pour le Christ devient digne de miséricorde.