Le commentaire de Thomas d’Aquin dans l’histoire médiévale de l’exégèse de Job : Intentio et materia

Gilbert Dahan
5,00 € l'unité
2019 - Fascicule n°1 2019 - Tome CXIX
1800
31 - 54
Article
Thomas d'Aquin, Exégèse, histoire medievale, job, intentio, materia

Sous titre

Intentio et materia

Résumé

Le commentaire de Job dû à saint Thomas occupe une place centrale dans l’histoire de l’exégèse de ce livre, qu’il renouvelle d’une manière fondamentale. Avant lui, l’influence dominante est celle des Moralia in Iob de Grégoire le Grand, qui voit dans Job une figure du Christ et exalte sa patience, dans une démarche d’exégèse spirituelle. En définissant comme littéral son commentaire (Expositio litteralis), Thomas aborde de front toutes les difficultés posées par ce livre étonnant. Roland de Crémone (o.p., † 1259) et quelques autres maîtres du XIIIe siècle annoncent cette nouvelle approche mais d’une manière encore très timide. Pour Thomas, le thème central du livre est le rôle de la Providence divine dans les actions de l’homme ; il fait entrer son exposé dans le cadre d’une disputatio, opposant donc deux thèses. Au service de cette nouvelle approche, Thomas se livre à une analyse précise du langage du livre et intègre à son étude des éléments scientifiques. Il semble également que les réflexions du philosophe juif Maïmonide dans son Guide des égarés, traduit en latin sans doute vers 1240, aient pu orienter saint Thomas vers cette approche nouvelle, qui constitue une étape majeure dans l’histoire de l’exégèse de Job.

Extrait

Le livre de Job est certainement l’un des plus étonnants de la Bible : dans un cadre narratif surprenant (qu’il faut prendre au second degré ?), une série de dialogues, ou plutôt de monologues, vient poser des questions fondamentales. Si les répliques des amis de Job paraissent religieusement correctes, elles sont balayées par Dieu dans son intervention finale, alors que les discours de Job, théologiquement dérangeants, reçoivent son approbation. Sans parler des problèmes liés à la composition du livre ou à sa structure, avec notamment l’intervention de l’« intrus » Elihu, Job a suscité des lectures diverses à travers le temps. Pour nos contemporains, Job apparaît comme l’homme révolté et certains penseurs s’interrogent encore plus intensément sur le silence de Dieu, après les catastrophes du xxe siècle : les thèmes de la souffrance du juste, des voies mystérieuses de Dieu, de la présence du mal dans le monde (est-il livré au pouvoir d’un criminel, comme le suggère Job en 9, 24 ?) sont au coeur des réflexions actuelles. Il n’en a pas été ainsi de tout temps : l’exégèse ancienne voit en Job un saint (une figure du Christ, même), dont elle exalte la patience. D’une manière assez significative, certaines réécritures anciennes s’en tiennent au cadre narratif et omettent le coeur même du livre.
Or, il semble bien que ce soit le commentaire de Thomas d’Aquin qui ait modifié en profondeur la perception que l’on pouvait avoir du livre de Job.