Le sens de l’analogie permet à saint Thomas de tenir une position équilibrée et d’une féconde actualité quant à la relation entre l’Ancienne et la Nouvelle Alliance, et par suite entre judaïsme et christianisme. Les justes de l’Ancienne Alliance bénéficiaient assurément de l’adoption filiale en vertu de la foi au Christ à venir, mais après l’incarnation du Christ, sa passion et sa résurrection rendent efficients en eux-mêmes les rites, jusque-là figuratifs, et l’Esprit confère à la filiation de grâce une plénitude qui ne connaîtra d’autre dépassement que dans la Gloire.
La théologie des religions ne saurait éluder la question de la nouveauté et de la spécificité du christianisme par rapport au judaïsme dont il est héritier. Deux écueils menacent la réflexion. Le premier, gros d’un antisémitisme latent qui ne manque peut-être pas de racines réelles dans nos sources théologiques passées, est de déprécier le judaïsme antique en le réduisant à un christianisme en puissance ; ici le judaïsme ne fait que « pâle figure ». Le second écueil, qui est opposé au premier et se présente comme plus actuel peut-être, est de souligner à l’excès la continuité entre l’Ancienne Alliance et la nouvelle, de sorte que le christianisme n’est véritablement que le judaïsme en acte : l’Incarnation, le Christ, l’Évangile, le baptême, trouvent au mieux un statut d’éminence mais non de singularité ou de nécessité ; là le christianisme court le risque d’une dévalorisation. La question peut se cristalliser autour de l’identité du croyant ou, pour éviter toute ambiguïté, du juste. Parmi bien d’autres textes, essentiellement pauliniens et johanniques, 1 Jn 3, 1 déclare : « Voyez quelle manifestation d’amour le Père nous a donnée pour que nous soyons appelés enfants de Dieu. Et nous le sommes ! » Qui désigne ce « nous », quels sont les heureux bénéficiaires de cette magnifique identité de fils de Dieu ? Plus précisément, cela vaut-il déjà des juifs de l’Ancienne Alliance ? L’enjeu n’est évidemment pas simplement historique, car répondre affirmativement pourrait incliner à inclure aussi dans ce « nous » ceux des juifs actuels qui n’opposent pas de refus personnel, volontaire, à la foi au Christ. Par une lecture fidèle et large de l’Écriture, saint Thomas, surtout dans ses commentaires bibliques, fournit un éclairage permettant d’éviter les écueils signalés. Oui, les juifs de l’Ancienne Alliance sont fils adoptifs de Dieu. Non, il n’est pas vrai que l’Incarnation n’apporterait alors aucun progrès, aucune nouveauté à notre identité d’enfants de Dieu.