Il manquait à la théologie catholique française un traité De Deo ut uno, c’est chose faite avec la parution de l’opus magnum du P. Serge-Thomas Bonino. L’ensemble suit de près le texte de la Somme de théologie de saint Thomas d’Aquin, Prima Pars, q. 2-26. Il ne s’agit pas cependant d’une intelligente paraphrase, mais d’une explication raisonnée de l’œuvre et de son contenu, suivant l’ordre des perfections divines et en commençant par la question très débattue de la possibilité de connaître Dieu en théologie philosophique et en théologie sacrée. Un texte magistral conçu avec soin, dont ce compte rendu tente de mettre en lumière la construction et le déploiement.
De facto, la question de Dieu n’est certes pas en postmodernité la question philosophique fondamentale ; c’est une question annexe pour ne pas dire latérale. Il y a longtemps — en fin de modernité déjà — qu’elle n’appartient plus au programme des études philosophiques des élèves de terminale ou des étudiants à l’université. Il y a longtemps aussi que les étudiants en théologie n’étudient plus — ou alors seulement par le biais d’autres questions, comme la souffrance de Dieu — les questions relatives à ce que l’on appelle les attributs ou les perfections de Dieu. Le monde francophone, depuis Bertrand de Margerie en 1981 et Jean-Hervé Nicolas en 1994 ne disposait plus d’un traité de Dieu de grande ampleur. Ces derniers auteurs ne prétendaient d’ailleurs pas proposer un traité complet. Il faut remonter à 1962, avec le P. François-Marie Genuyt pour trouver quelque chose d’équivalent, en plus bref, et plus récemment à Louise-Marie Antoniotti. Les changements, parfois radicaux, intervenus après la période conciliaire, expliquent cette désaffection. La critique radicale du paradigme métaphysique en théologie catholique, l’exclusion rapide de l’entreprise thomiste construite sur lui rendait quasiment impossible, en tout cas inaudible et illisible, toute tentative de défense et illustration d’un traité de Dieu en l’unité de son essence, un Deo uno, ou plutôt un Deo ut uno, comme le précise, très à propos, le P. Serge-Thomas Bonino. La collection de la Bibliothèque de la Revue thomiste nous gratifie d’un volumineux traité, organisé d’après la structure de la Somme de théologie, Prima Pars, q. 2-26. Le plan adopté par l’A. est, en effet, avec quelques aménagements pédagogiques, et quelques retranchements (providence et prédestination), celui de l’Aquinate en sa dernière formulation technique, telle qu’elle a été reçue et enseignée par la tradition dominicaine. Il n’hésite pas, outre l’analyse historico-doctrinale de chaque question, soigneusement conduite et justifiée, à entrer dans certains détails avec clarté et précision, et à faire appel — avec discernement — à la tradition des commentateurs, que, jusqu’ici, il était de bon ton d’exclure ou de taire. Le projet de l’A. est aussi de manifester qu’au-delà de tel ou tel infléchissement ou rupture éventuels, il existe une vraie continuité doctrinale et même un authentique développement. Cependant l’objet premier de l’ouvrage est de proposer une synthèse « thomiste » — ni néothomiste ni même paléothomiste — de ce qu’il est possible de dire en théologie catholique à propos de Dieu et de ses perfections, avec saint Thomas comme guide, dont le texte est analysé et commenté méthodiquement. Cette ambition relève le défi qui était adressé à la théologie « classique » ou « scolastique » par la modernité finissante puis la postmodernité, après la déconstruction, pour lesquelles un tel traité était devenu, de fait et de droit, inintelligible. Le résultat, pour unique qu’il soit en langue française, est d’autant plus remarquable qu’il semblait presque relever de la gageure.