Après avoir rappelé la connaissance du monde qui pouvait être celle de saint Thomas, cette étude examine sa position à l’égard des trois grandescatégories de non-chrétiens dont il a pu avoir connaissance : les païens, dont il parle surtout d’après la Bible et à l’égard desquels il a plutôt un préjugé favorable ; les juifs qui, mis à part les lieux communs péjoratifs dont il se fait l’écho, bénéficient à ses yeux de la promesse divine qui n’a jamais été révoquée ; les sarrasins, à l’égard desquels il fait preuve d’une incompréhension à peu près totale. En conclusion, le rappel de quelques grands principes thomasiens permet d’envisager favorablement le Salut des non-chrétiens de bonne foi.
Dans une page qui mérite encore d’être relue, le P. Chenu décrivait jadis à grands traits la situation du monde telle qu’elle était au moment où vivait saint Thomas :Il n’est pas indifférent que saint Thomas soit arrivé à Paris au temps de saint Louis et de Frédéric II, à l’heure où, dans la société nouvelle de l’ère communale, la corporation universitaire concentrait la ferveur et la curiosité qui vont introduire en Chrétienté Aristote et la raison antique, à l’heure où s’achevait Notre-Dame de Paris et s’écrivait le Roman de la Rose, à l’heure où, après Bouvines, défaite conjointe du Saint-Empire et de sa hiérarchie féodale (1214), l’Europe entre dans une ère nouvelle où elle cessera d’être une entité théocratique, à l’heure où l’Islam enveloppe l’Occident de ses succès militaires et le séduit par sa science et sa philosophie, à l’heure enfin où marchands et missionnaires découvrent jusqu’au pays de Catay [comprenez : la Chine] les dimensions de l’univers et la variété des civilisations. Il n’est pas indifférent que, dans la Chrétienté d’Innocent III, Thomas d’Aquin ait été frère prêcheur, et qu’il ait à point trouvé comme maître chez ces nouveaux religieux Albert le Grand.Cette fresque suggestive appelle bien des compléments et des nuances, mais elle est assez évocatrice au moment où nous nous apprêtons à parler de saint Thomas et des non-chrétiens. Qui sont ces non-chrétiens ?