Saint Thomas d’Aquin semble être le grand oublié des études sur le millénarisme. Sans doute est-ce parce que, dans l’histoire des doctrines, il se situe après le millénarisme patristique et avant le chiliasme moderne. Pourtant, le docteur angélique a étudié cette doctrine plus que ses pairs. L’analyse qu’il fait de cette aporie de l’eschatologie collective est un modèle de travail théologique. Pour en saisir toutes les harmonies, le présent article commence par replacer la question du millénarisme à la fois dans l’ensemble du donné révélé eschatologique et dans le contexte du xiiie siècle. Puis vient la présentation des textes de Thomas sur le millénarisme joachimite et le chiliasme patristique, avec un sommet spéculatif atteint sur la question du temps à la résurrection. Cette étude s’achève par une brève explicitation de la thèse thomasienne du millénium ecclésial, où l’Aquinate semble largement revisiter l’héritage augustinien. Autour du mystère de l’Incarnation, des ponts sont jetés vers une eschatologie que saint Thomas n’a pas connue, celle du royaume des justes de saint Irénée de Lyon.
d) Des pierres d’attente dans l’eschatologie thomasienne
Les pierres d’attente dans l’eschatologie de saint Thomas constituant une ouverture au chiliasme des Pères sont de deux sortes. Les premières concernent l’éternité définitive, au-delà de l’ultime transformation qu’entraînent la Parousie, la résurrection et le jugement. Les secondes ont trait à une certaine prise en compte, malgré les réticences observées ci-dessus, du temps à la résurrection.
Sur l’éternité après l’ultime transformation
Ce sont surtout les changements que provoquera la Parousie, résurrection et jugement, qui sont traités de manière assez spirituelle par saint Thomas. Passée cette dernière étape, le Docteur angélique semble adopter une position qui va davantage dans le sens « réaliste » des auteurs millénaristes primitifs. Cette nouvelle orientation concerne à la fois la « matière » de la chair et le « temps » dans l’éon futur.