Notes sur la goutte de sang : Histoire d’un motif de ses origines jusqu’à l'hymne adoro te deuote. Présentation de quatre nouveaux témoins

Éric Pohlé o.p.
8,00 € l'unité
2023 - Tome CXXIII 2023 - Fascicule n°1
123
CXXIII
Mars 2023
4
2023
187 - 201
Article

Sous titre

Histoire d’un motif de ses origines jusqu’à l'hymne adoro te deuote. Présentation de quatre nouveaux témoins

Résumé

Parmi les nombreuses expressions qui constituent la trame théologique et poétique de la prière eucharistique Adoro te, le présent article s’arrête sur l’évocation du pouvoir infini d’une unique « goutte de sang » (vers 23) versé par le Seigneur. Le contraste vertigineux entre le salut du monde entier et la petite perle de sang est un motif dont l’étude permet d’approfondir notre connaissance du poème attribué à saint Thomas d’Aquin : une sensibilité spirituelle s’y dévoile qui prend ses racines loin dans le temps. Il est possible de
remonter jusqu’à l’Antiquité. Finalement, ces pages tentent de prouver que l’enquête sur les sources (quatre nouveaux témoins du motif découverts) renouvelle et confirme la présence d’un texte d’âge en âge médité dans l’action liturgique.

Extrait

Si l’esthétique n’a cessé à travers les siècles d’exprimer la fascination qu’exerce une simple goutte de sang, la littérature ecclésiastique non seulement lui en fournit de beaux exemples mais encore donne à ce thème une singulière noblesse. En effet, dans la sixième strophe de l’hymne Adoro te, le contraste est vertigineux entre le salut du « monde entier » et une « unique goutte de sang ». C’est qu’il s’agit du très précieux sang du Christ, énoncé avec cette épithète dès la Première Épître de Pierre (1 P 1, 18-19 4) et dont les premiers auteurs chrétiens ont transmis l’écho. Ambroise de Milan est dans le domaine latin le premier à donner une certaine ampleur à cette expression. Mais si l’éloge du sang du Christ est sans cesse développé, l’attention portée sur une unique goutte de sang est beaucoup plus rare. Les notes qui suivent se proposent d’enregistrer quelques témoins supplémentaires de cette histoire. Depuis 1996, on pouvait en découvrir plusieurs dans l’apparat de l’édition des Quodlibets de Thomas d’Aquin. En effet, le motif apparaît dans le Quodlibet II où il est attribué à Bernard. Ces textes peu connus accompagnent comme en sourdine les vers célèbres de l’hymne Adoro te où le motif apparaît avec l’éclat particulier que lui confèrent l’art poétique, l’image dramatique du pélican qui en précède l’introduction et le choix de stilla de préférence à gutta présent dans tous les autres textes :

Me immundum munda tuo sanguine
cuius una stilla saluum facere
totum mundum posset ab omni scelere.

Il importe ici d’élargir l’ensemble des textes qui font entendre le même motif pour accroître encore la connaissance que nous avons de la prière attribuée à frère Thomas.