Parmi les moralistes français qui ont œuvré au renouveau de la théologie morale catholique au XXe siècle se distingue la figure du dominicain Jean Tonneau (1903-1991), qui a enseigné la IIa pars pendant plus de trois décennies au couvent du Saulchoir. Une relecture attentive de la contribution de Jean Tonneau aux débats sur la nature et les méthodes de la théologie morale permet de discerner les grands traits auxquels individualiser une sensibilité doctrinale et épistémologique propre aux moralistes du Saulchoir et dont l’illustration la plus convaincante a sans doute été la Théologie morale (1953) de l’Initiation théologique des éditions du Cerf. Pour le P. Tonneau, de resserrer les liens indûment distendus entre dogme et morale et de réintégrer la spiritualité dans le domaine d’études des moralistes passaient forcément par la relégation définitive des morales du probable et de l’obligation.
Après plusieurs siècles de relative stabilité, la théologie morale catholique a connu d’intenses réaménagements à l’époque contemporaine. À l’instar de leurs collègues allemands, les moralistes français ont assez tôt manifesté leur présence dans un débat où ils considéraient, à juste titre, qu’il en allait du statut scientifique de leur discipline. Du concert des théologiens qui font entendre leurs voix dans la discussion se signalent en particulier les thomistes, et notamment, en France, le dominicain Thomas Deman (1899-1954), qui, dans un article publié en 1934 par la Revue des sciences philosophiques et théologiques et intitulé « Sur l’organisation du savoir moral », défend la sphère de compétence des théologiens moralistes contre les tentatives d’empiétement de la philosophie morale — récemment illustrées par le philosophe Jacques Maritain (1882-1973), néo-thomiste illustre, dans Distinguer pour unir ou les degrés du savoir (1932) — et dont le copieux article « Probabilisme » publié en 1935 dans le Dictionnaire de théologie catholique réaffirme les intransigeantes positions antiprobabilistes des disciples de l’école de saint Thomas contre la doctrine morale à quoi la Compagnie de Jésus s’était ralliée depuis plusieurs siècles.