Dans sa Critique de la faculté de juger (1790), Emmanuel Kant réhabilite les concepts majeurs de la physique aristotélicienne, à l’encontre du mécanicisme classique, qu’il avait pourtant lui-même voulu consacrer dans la Critique de la raison pure (1781). Si la notion de finalité naturelle se trouve ainsi restaurée dans son véritable sens, il n’en va pas de même de la notion de cause formelle, que Kant présente comme une force, à l’instar d’auteurs critiqués en son temps par Thomas d’Aquin.
Au risque de donner le sentiment d’une intrusion, j’ai souhaité proposer une réflexion sur un passage célèbre de la troisième des « Critiques » kantiennes : un extrait du § 65 de la Critique de la faculté de juger, publiée par Kant en 1790.Comme le suggère l’intitulé de mon intervention, ce texte m’intéresse à un double titre : non pas seulement au titre de l’histoire des idées, et de la place qu’y a tenue Kant sur un point particulier de philosophie de la nature, mais plus encore au titre de la connaissance philosophique, soit de ce que l’examen du texte de Kant nous apprend quant à l’objet dont il traite.Voir dans ce texte une « redécouverte de la cause formelle », c’est assurément le ramener à ce qui n’en constitue que la pointe finale : l’introduction ultime de la notion de forme, qui surgit à la faveur d’une distinction entre ce que Kant appelle d’une part une « force motrice (bewegende Kraft) », et d’autre part une « force formatrice (bildende Kraft) ». La mention en est à vrai dire très passagère, mais il n’est pas rare que, chez les grands philosophes, des propositions apparemment tout à fait incidentes à première lecture se révèlent à l’examen d’une grande portée.