La nature souffre-t-elle d’un manque de consistance dans la pensée bonaventurienne ? Enracinée dans la théologie trinitaire et définie par sa communicabilité, la notion de nature trouve dans la « créature du monde » un lieu d’expression qui manifeste à la fois la solide structure trinitaire de toute nature et sa vigueur, dont l’activité régulière constitue le « cours habituel des choses » (saint Augustin). Aussi la physique, y compris dans ses développements aristotéliciens, s’intègre naturellement à l’édifice de la sagesse chrétienne, comme science qui a pour objet la nature comme dynamisme et pour mystère lumineux ou medium « le corps mobile du Christ » en son incarnation.
Dans les milieux thomistes, il existe une thèse assez répandue au sujet de la nature chez les auteurs franciscains d’inspiration augustinienne, dont saint Bonaventure, thèse qui a peut-être émergé par contraste avec la fréquentation des écrits du Docteur angélique. Elle consiste à affirmer que dans leur dépendance radicale vis-à-vis du Créateur, les créatures manquent de consistance et d’autonomie, et qu’elles sont définies comme des signes plutôt que comme des substances. L’ensemble formé par ces signes et par ces symboles, que nous avons pris l’habitude d’appeler « la nature » mais que Bonaventure appelle plutôt, suivant l’expression paulinienne retenue dans la Vulgate, « créature du monde (creatura mundi) » (Rm 1, 20), serait donc lui aussi frappé d’inconsistance.On trouve une formulation de cette thèse, plus favorable au Docteur séraphique, mais identique sur le fond, dans La Philosophie de saint Bonaventure d’Étienne Gilson, plus précisément dans le chapitre sur l’analogie universelle.