Le rapport à l’eschatologie a permis à saint Thomas de situer le statut des juifs qui ne croient pas au Christ dans une perspective plus nuancée que celle de la pure théologie de la substitution, qui domine de manière plus écrasante dans les écrits des Pères de l’Église. Pour lui, si tout est accompli dans le Christ, tout n’est pas achevé. Quant à cet achèvement eschatologique, il ne peut pas se faire sans Israël. Saint Thomas compris cela et, tout en honorant dans son Commentaire des Galates la prise de position de saint Jérôme et de saint Augustin contre la soumission des chrétiens de la Gentilité à la loi mosaïque, en commentant les Romains il a vu la Loi comme liée pour les juifs à leur permanence dans l'élection divine.
La place, dans l’économie divine de la Nouvelle Alliance, des juifs qui ne croient pas en Jésus comme Messie, ainsi que son interprétation théologique chez saint Thomas d’Aquin, font depuis quelques années l’objet de nombreuses études. Ces études sont parues surtout aux États-Unis dans le cadre de ce que les Américains appellent le supersessionism, c’est-à-dire la théologie de la substitution par l’Église des Gentils (ecclesia ex gentium) d’un Israël rejeté par Dieu comme Peuple de Dieu. La théologie de la substitution, élaborée dès le iie siècle par des Pères apologètes comme saint Justin Martyr ou saint Irénée de Lyon, puis devenue une opinion commune dans la théologie patristique et médiévale, est en voie de réexamen sinon de révision dans le Magistère et dans la théologie catholique depuis le concile Vatican II. Il serait temps que les théologiens européens, et les thomistes en particulier, entrent à leur tour dans cette quaestio disputata dans laquelle leurs confrères américains ont sur eux une bonne longueur d’avance.