Tout au long de sa vie, Jacques Maritain n’a cessé de méditer sur le mystère du Christ. Quelques années avant sa mort, il a livré sous la forme d’un opuscule d’une grande densité, le fruit de sa réflexion. Le P. Marie-Vincent Leroy, dominicain, directeur de la Revue thomiste, et ami du philosophe de Meudon, propose une lecture bienveillante, admirative et discrètement critique de l’oeuvre majeure du maître en ce domaine, De la grâce et de l’humanité de Jésus.
Voici un titre apparemment bien prétentieux, que Maritain aurait sans doute été le premier à réfuter. En effet, s’il est légitime de parler de christologie de saint Paul et de saint Jean, de saint Cyrille d’Alexandrie et de saint Thomas d’Aquin, et aussi des théologiens de profession qui y ont consacré une partie essentielle de leurs travaux — Karl Rahner et Hans Urs von Balthasar, Edward Schillebeeckx et Hans Küng —, l’oeuvre de Maritain, lequel s’est toujours refusé à être considéré comme un théologien, n’offre rien de comparable.Cependant, en son oeuvre, il y a deux textes importants dans lesquels Maritain prend position à propos des thèmes fondamentaux de la théologie de l’Incarnation. En 1954, à Princeton, préparant une édition anglaise des Degrés du savoir, il fut attiré, suite à des observations critiques qui lui furent présentées par un théologien hollandais, dom Herman Diepen, moine bénédictin de l’abbaye d’Oosterhout, à reprendre l’étude et la notion de subsistence et à proposer quelques réflexions sur son application à la théologie de l’union hypostatique. Quelques années plus tard, retiré à Toulouse et stimulé par un climat de recherche théologique existant dans la Fraternité d’études des Petits Frères de Jésus dans laquelle il vivait, — et aussi, dans cette ultime étape de sa carrière, en raison de la conception qu’il se faisait de la philosophie chrétienne qui, pour être pleinement telle, devait étendre sa recherche au-delà du domaine qui lui est propre jusqu’à atteindre le champ de la théologie — Maritain tint deux réunions de travail avec les responsables des Petits Frères, le 10 février et le 25 mars 1964, dédiées à la christologie et centrées sur la psychologie humaine du Christ. Le texte qui résulta de ces travaux apparut en premier dans la revue Nova et vetera, revu et un peu développé ; il fut ensuite publié dans un volume en 1967 par les éditions Desclée de Brouwer, sous le titre : De la grâce et de l’humanité de Jésus. Nous avons ainsi, dans l’oeuvre de Maritain, deux textes qui regardent l’un l’ontologie du Christ, l’autre sa psychologie, comprenant non la totalité mais au moins les thèmes fondamentaux d’un traité théologique du Verbe incarné, de manière à tracer les lignes essentielles de ce qui semble légitime d’appeler la christologie de Jacques Maritain.