Très ancienne puisqu’elle remonte aux premières années du XXe siècle, l’amitié entre Jacques Maritain et le P. Réginald Garrigou-Lagrange (1877-1964) fut une amitié difficile, traversée d’orages puissants. La crise de l’Action française (1926), puis surtout la guerre d’Espagne (1936-1939) creusèrent entre eux des désaccords profonds. Alors que le théologien dominicain reprochait au philosophe de « s’aventurer sur un terrain » qu’il ne connaissait pas, ce dernier revendiquait la continuité de sa démarche d’intellectuel laïc engagé dans la fidélité « aux stricts principes de saint Thomas ». C’est précisément l’application du principe de l’analogie appliquée aux relations entre le spirituel et le temporel qui suscita la critique la plus dure du maître de l’Angelicum à l’encontre de l’auteur d’Humanisme intégral (1936) comme le montre sa propre édition annotée de l’ouvrage. A-t-il été jusqu’à vouloir faire « condamner » les thèses de Maritain sur la « nouvelle chrétienté » par le Saint-Office ? On trouve en tout cas un écho de ces critiques dans un long votum du P. Marie-Rosaire Gagnebet (1904-1983), proche confère du P. Garrigou-Lagrange à l’Angelicum, à la veille du Concile.
L’amitié entre Jacques Maritain et le P. Réginald Garrigou-Lagrange (1877-1964) est une amitié ancienne puisqu’elle remonte aux premières années du XXe siècle lorsque les deux jeunes hommes fréquentaient ensemble le même cours de philosophie de Gabriel Séailles à la Sorbonne. Dans son Carnet de notes (1965), Maritain parle de « l’enseignement théologique » du P. Garrigou-Lagrange comme d’« une lumière de grâce et une bénédiction pour nos intelligences ». Quelques années plus tard, dans l’une de ses dernières lettres au cardinal Journet, il confessera : « Que serais-je devenu, Charles, sans vous ! et sans le Père Garrigou, et sans le Père Dehau… . » Du côté du religieux dominicain, les témoignages d’affection et même d’admiration à l’égard de celui que Bergson considérait comme « la plus grande tête philosophique d’Europe » ne manquent pas.