Le XIIIe siècle est l’époque où la théologie se définit comme science et où l’exégèse de la Bible prend une dimension scientifique, notamment avec l’enseignement à l’université. Saint Thomas se livre à propos de l’exégèse à une réflexion élaborée dont on rassemble ici les éléments principaux. Les interrogations portent sur la juxtaposition du sens littéral et de sens spirituels : une fois posée la pluralité des sens, le système des quatre sens est-il le plus opérationnel ? L’analyse des « modes de langage » utilisés dans l’Écriture semble mieux répondre aux exigences d’une herméneutique renouvelée : on examine alors comment sont traités chez saint Thomas les modes narratif, parabolique et poétique. Le problème majeur de l’exégèse médiévale est bien celui du « saut herméneutique », le passage du sens littéral aux sens spirituels ; est-il possible de le justifier ou tout au moins de l’analyser grâce à une comparaison avec les mécanismes de la métaphore et de l’allégorie ? L’étude se fonde sur les commentaires scripturaires de saint Thomas et sur plusieurs œuvres théologiques, dont la Summa theologiae et certaines questions quodlibétiques.
La période pendant laquelle saint Thomas d’Aquin rédige son œuvre philosophique, théologique et exégétique est sans doute l’une des plus marquantes dans l’histoire de la pensée occidentale. Entre 1230 et 1260, une réflexion intense aboutit à la définition d’une théologie comme science, séparée de l’exégèse de la Bible (et, notons-le au passage, entraînant la constitution de ce que nous appelons les « sciences humaines »). L’une des conséquences les plus remarquables est que l’exégèse de la Bible prend elle-même, d’une certaine manière, son autonomie du fait de cette séparation ; car l’Écriture est au centre de cette réflexion qui produit la science théologique ; on se rappelle que le débat naît modestement dans les prologues des commentaires des Sentences à propos du style de la théologie (prise alors à la fois comme Parole de Dieu et comme discours sur cette Parole). En fait, la dissociation sera double : au premier stade, la distinction entre la science (théologique) et son objet ; au second stade, par ricochet si l’on peut dire, la distinction entre un discours sur Dieu, proprement dit (notre théologie, qui va s’efforcer de dire Dieu dans des termes humains et selon des modalités régies par la raison humaine), et un discours sur la Parole de Dieu (l’exégèse, qui va s’efforcer d’analyser la Parole divine avec les moyens que fournit la science de l’homme). L’Écriture est alors en quelque sorte objectivée, autorisant l’analyse scientifique (et l’on pourra parler aussi de « l’exégèse comme science » au XIIIe siècle).