Comment le thomisme de langue française a-t-il, principalement au cours du xxe siècle reçu, compris, et critiqué la philosophie théorétique de Descartes ? Pour répondre à cette question, nous expliquons, dans la présente étude, le rapport à Descartes de trois séries de deux auteurs, selon trois fils conducteurs. En premier lieu, nous examinons comment Jacques Maritain, puis Marcel De Corte discernent dans la conception cartésienne de l’idée le premier surgissement explicite de l’idéalisme philosophique. En second lieu, nous interrogeons Joseph Maréchal et Joseph de Finance, tous deux jésuites, sur la nature et la valeur du cogito en tant que premier principe de la connaissance. Enfin, en troisième lieu, nous présentons les thèses d’Étienne Gilson et d’André de Muralt sur la place et le rôle du cartésianisme dans le devenir de la philosophie théorétique. Pour mieux mettre en valeur l’originalité et la profondeur des thomistes du siècle dernier, nous avons exposé brièvement, à titre liminaire, la critique de Descartes élaborée par un dominicain du Grand Siècle, Antoine Goudin.
Un cliché bien connu voudrait que la pensée de Descartes eût exprimé le génie français de manière emblématique, en particulier celui du Grand Siècle puis des Lumières. Pourtant, la philosophie cartésienne fut contestée dès le XVIIe siècle par une famille intellectuelle de Français — français de nation ou de langue — dont certains membres allaient révéler une remarquable puissance spéculative au XXe siècle : les thomistes. Comment ceux-ci ont-ils reçu, interprété et critiqué le maître de la méthode et du cogito ? Ne pouvant traiter ici de manière exhaustive cette thématique, qui exigerait un volume entier, nous en allons seulement exposer quelques grands axes. Nous procéderons à cette fin en quatre étapes :1. À titre liminaire, nous montrerons comment Antoine Goudin, dominicain de la province de Toulouse, entreprit de réfuter Descartes vingt ans après sa mort, alors que le cartésianisme s’était déjà largement répandu dans la culture européenne.2. Nous aborderons ensuite la grande saison thomiste du siècle dernier, en commençant par l’analyse de la noétique et de l’épistémologie cartésienne développée par Jacques Maritain et, subsidiairement, par Marcel De Corte.3. Successivement, nous examinerons comment le P. Joseph Maréchal puis le P. Joseph de Finance, jésuites tous deux, mettent en question le statut critique et le statut ontologique du cogito à la lumière des principes du Docteur angélique.4. Enfin, nous présenterons la façon dont Étienne Gilson et, plus près de nous, André de Muralt, situent le rationalisme cartésien, de manière à la fois historique et théorétique, dans le devenir de la philosophie occidentale.