Lorsqu’ils cherchent à définir l’état de la nature au moment de sa création, les auteurs médiévaux recourent à plusieurs témoignages extraits de l’œuvre d’Augustin. Or ils y recourent en sens opposé comme si la pensée augustinienne ne s’était pas clairement prononcée sur ce point à savoir le premier moment de l’existence des créatures spirituelles. Un article de J.-P. Torrell a montré comment dans ce débat Thomas d’Aquin prend fermement position contre l’opinion alors commune : Dieu crée l’ange et l’homme en leur accordant simultanément les biens naturels et les biens gratuits qui seuls leur permettent de mériter. Pour ce faire, en plus de reprendre les citations augustiniennes déjà utilisées dans le débat, il met en évidence une citation nouvelle et peu présente dans la réception augustinienne. C’est à l’étude de cet extrait du de ciuitate dei, précédée de deux autres citations présentes tout au long du débat médiéval que se consacre cet article. Il continue de faire connaître davantage le lecteur d’Augustin que Thomas demeure tout au long de sa vie.
Réfléchir sur « le concept de nature selon saint Thomas d’Aquin », est l’occasion de fêter le vingtième anniversaire de la publication de l’article « Nature et grâce chez Thomas d’Aquin », par le P. Jean-Pierre Torrell, en 2001. Cet article fondamental appartenait au colloque de la même revue qui faisait alors mémoire du cinquantième anniversaire de la parution de Surnaturel par Henri de Lubac. Dans cet article, le lecteur est conduit à envisager d’abord le commencement de la nature : le point de son existence où elle sort du néant. L’instant de sa création. Cet instant, appartenant au seul secret du Créateur, est-il l’occasion d’une première et simultanée diffusion de grâce ? Ou est-il plus convenable de dissocier l’acte créateur du don de la grâce qui achemine vers la béatitude, c’est-à-dire de la grâce qui permet le progrès spirituel que l’on peut appeler avec précaution le « mérite » ? Au temps du Maître d’Aquin, rappelle J.-P. Torrell, une forte tendance consistait à préférer une telle dissociation : l’homme n’était pas créé en même temps in naturalibus et in gratuitis. Thomas, quant à lui, après avoir tenté de se ranger à l’avis commun, prend non sans audace et fermement le contre-pied, précédé seulement de quelques auteurs. De telle sorte qu’il finit par s’exprimer ainsi dans la dernière partie de sa vie : « Je ne crois pas qu’il soit vrai que le premier homme ait été créé avec ses seules forces naturelles (in puris naturalibus). » Il rejette donc avec force « l’opinion de ceux qui pensent que la grâce sanctifiante n’est pas comprise dans la justice originelle », « ce qu[il] croi[t] être faux ».