Définition : acte
L’idée d’acte (actus) veut traduire l’energeia ou l’entelecheia (entéléchie) d’Aristote. L’energeia aristotélicienne renvoie à l’action et à l’opération qui ne signifient pas chez saint Thomas exactement la même chose. Voir Action, Opération.
1. L’acte désigne ce qui est achevé et parfait, par opposition à ce qui est en puissance. Il exprime l’être en ce qu’il a d’achevé ou plutôt l’achèvement lui-même. Est en acte ce qui possède sa détermination propre. La notion d’acte est corrélative de celle de puissance, la puissance étant ce qui appelle un achèvement. Cependant l’acte prime sur la puissance (actus est prior potentia) en tant que l’acte est perfection et achèvement. Il est aussi ce qui sépare et distingue (actus est qui separat et distinguit), car, étant principe de détermination, il est, par le fait même, principe de distinction. Ce qui peut être quelque chose, mais ne l’est pas, l’est en puissance ; ce qui l’est déjà, l’est en acte. Tout acte, qui est l’accomplissement d’une puissance, est limité par elle. La matière est pure puissance, la forme est acte.
2. Dans l’étant fini, on distingue l’acte premier ou entitatif qui fait formellement qu’un être est, et qu’il est ce qu’il est ; et l’acte second ou opératif en vertu duquel l’étant agit. Purement et simplement, l’étant est ou existe en vertu de son acte d’être (esse ou actus essendi). Selon telle ou telle forme (forma) ou essence (essentia) il est ceci ou cela. L’acte second ou opératif, qu’il s’agisse de l’agir ou du faire (agere ou facere), est l’activité propre d’un étant (son opération) qui résulte précisément de son acte premier, de son acte d’être et de ce qu’il est. Par cet acte second l’étant communique son actualité (action dite transitive) ou s’actualise lui-même, s’il est spirituel, dans l’ordre de la pensée ou du vouloir (action dite immanente). L’acte premier d’être et l’acte second opératif constituent, pour l’étant fini, deux ordres de perfection ou d’actes terminaux réellement distincts. Les étants finis, en effet, par la limite même qui les caractérise, comportent une certaine imperfection. L’acte d’être n’actualise en eux l’essence que dans l’ordre universel de l’être, mais ce don de l’existence laisse subsister dans l’essence une réserve de potentialité quant à l’agir. C’est pourquoi se pose, pour les étants finis, le problème de leur achèvement, c’est-à-dire de l’acquisition par leurs opérations, de déterminations accidentelles nouvelles conformes à leur nature propre. En ce sens on peut dire que l’étant fini est ordonné à l’acte opératif comme à son bien. Mais ce n’est pas l’acte d’être qui est, comme tel, en puissance à l’opération. L’acte d’être n’ordonne l’étant à l’opération que pour autant qu’il est limité par la potentialité de l’essence. Ainsi l’essence est-elle doublement en puissance : par rapport à l’acte d’être, et, selon les facultés ou puissances (actives) opératives qu’elle comporte, par rapport à l’acte opératif. L’opération n’est donc un « plus être » ou un achèvement de l’étant que dans la mesure où cet être second, accidentel, qu’est l’opération, tient toute sa réalité de sa participation à l’être premier substantiel ou entitatif. À ces deux actes distincts que sont l’être premier (l’acte d’être substantiel) et l’être second (accidentel) de l’opération correspondent donc deux puissances distinctes : à l’être premier, entitatif (l’existence substantielle), fait face l’essence substantielle ; à l’être second, opératif (l’existence accidentelle de l’opération), fait face la puissance opérative que comporte l’essence à titre de propriété ou d’accident propre. L’opération a donc rapport aux facultés ou puissances opératives comme à son principe prochain et à l’essence substantielle comme à son principe radical. L’étant, en acte premier d’existence, opère en acte second selon son essence substantielle (principe radical de l’opération) et par ses facultés ou puissances opératives (à titre d’instrument). L’acte demeure donc antérieur à la puissance de deux manières : d’une part, dans l’ordre de la génération, l’acte premier est antérieur à l’acte second, d’autre part, dans l’ordre de la perfection propre à l’essence, l’acte est antérieur à la puissance dans la mesure où il est son complément et sa fin. L’antériorité de l’acte sur la puissance joue ainsi un rôle capital dans le rapport entre l’acte premier et l’acte second. En effet, ce qui est en acte premier n’est que sous un certain rapport (l’essence en puissance à des déterminations nouvelles par le moyen de puissances opératives) en puissance par rapport à un acte second ; quant à l’acte second, il n’est antérieur à l’acte premier qu’au sens où il est sa fin. Autrement dit, l’acte d’être (actus essendi) entitatif est l’acte suprême dans la ligne de la causalité formelle, et l’acte opératif (agere et facere) est l’acte suprême dans la ligne de la causalité finale. L’être est pour l’agir sous le rapport de la cause finale et l’agir découle de l’être comme de sa cause efficiente et formelle. Voir Étant, Être, Esse, Facultés, Puissances de l’âme.
3. L’acte est soit naturel, soit non naturel (surnaturel). Il est naturel à une double condition : 1) s’il réalise un appétit naturel ; 2) s’il est accompli par l’agent naturel. Si une des deux conditions vient à manquer l’acte n’est plus naturel. Un acte naturel (actus naturalis) implique et suppose une puissance naturelle et un agent naturel. L’acte est dit non naturel quand il se produit : 1) dans une puissance passive non naturelle réalisée par un agent naturel, mais cette hypothèse est impossible car il n’existe pas d’agent naturel réalisant comme tel autre chose qu’un appétit naturel ; 2) dans une puissance passive naturelle mais réalisée par un agent non naturel : par hasard, un agent naturel d’un autre effet réalise fortuitement la finalité d’un sujet auquel il n’est pas ordonné, ou bien un homme libre se substitue à un agent naturel, ou encore Dieu réalise surnaturellement la finalité d’un sujet comme, dans le cas de la Vierge Marie, la conception virginale de Jésus (l’effet est alors non naturel, c’est un miracle, mais qui ne fait pas appel à la puissance obédientielle d’un sujet comme dans d’autres miracles prodiges) ; 3) dans une puissance passive non naturelle réalisée par un agent non naturel : a) un acte de violence ou de hasard ; b) l’activité d’un agent supérieur qui utilise des objets pour un résultat auquel ils ne sont pas naturellement proportionnés, prédisposés ou ordonnés ; c) Dieu qui amène (par un acte de puissance) une créature à un effet (miracle) qui ne correspond à aucun appétit naturel et pour lequel il n’y a pas d’agent naturel ; d) on peut ajouter le don par Dieu de la grâce sanctifiante à laquelle ne correspond, dans la créature spirituelle, aucune puissance naturelle. Néanmoins, saint Thomas souligne que lui correspond, dans la créature en tant que créée à l’image de Dieu et appelée à la fin surnaturelle de la vision, un appétit naturel qui n’a d’aucune manière valeur d’exigence puisque cette créature désire ce à quoi aucune puissance naturelle ne peut donner satisfaction. Voir Agent, Désir naturel de voir Dieu.
Voir Philippe-Marie Margelidon, Yves Floucat, Dictionnaire de philosophie et de théologie thomistes, p. 29-31.