Causalité première et seconde

Causalité première et seconde. La pensée médiévale à la croisée de l’aristotélisme et du néoplatonisme 

Primary and Secondary Causality: Medieval Theories at the Crossroads between Aristotelianism and Neoplatonism

Colloque à Vienne, 16–17 février, 2023

Organisé par Dragos Calma et Tobias Hoffmann

 

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Le propos de ce colloque est d’étudier les théories médiévales de la causalité première et seconde, telles qu’elles proviennent du croisement de l’aristotélisme et du néoplatonisme. Aristote développe un « modèle horizontal » du rapport entre les causes. Aucune des quatre causes aristotéliciennes n’est absolument supérieure à l’autre, mais toutes sont interdépendantes ; par exemple, la fin est la raison que l’efficient agit, et l’efficient réalise la fin ; la matière n’est en acte que par la forme, et la forme n’existe que dans la matière. Le néoplatonisme conçoit quant à lui un « modèle vertical » entre cause première et cause seconde, au sein duquel il y a dépendance et collaboration, mais pas interdépendance. La cause première (c’est-à-dire supérieure et antérieure) peut agir sans la cause seconde (postérieure), par exemple dans la constitution des choses immatérielles ou matérielles par les intelligences supérieures, alors que l’inverse n’est pas le cas. Cependant, sans la cause seconde, l’effet de la cause première est moins déterminé. La rencontre entre ces deux modèles dans l’Occident latin a été occasionnée principalement par les traductions latines du Livre des causes et des Éléments de théologie, mais la réception de Boèce, d’Isaac Israeli, d’Avicenne, d’al-Ghazālī et d’autres a aussi joué un rôle notable.

Selon le modèle vertical néoplatonicien, la primauté d’une cause par rapport à l’autre est soit ontologique, soit opérationnelle. Ontologique, car une cause est supérieure – donc première ou primaire – en tant qu’elle est plus simple ; opérationnelle, car la cause supérieure agit antérieurement (selon la nature, non selon le temps), davantage et plus noblement que toute autre cause qui est moins simple, donc inférieure, seconde, postérieure. Selon ce modèle, la différenciation graduée des causes est nécessaire, et c’est ainsi que chaque cause contribue selon son propre ordre à la structuration de l’univers. En revanche, selon le modèle horizontal aristotélicien, la cause prochaine contribue davantage à l’effet que la cause lointaine. En outre, ce modèle ne présuppose pas la différenciation graduée, mais il ne l’exclut pas d’emblée pour autant.

L’ouverture du modèle horizontal à la conception de causes hiérarchisées permettait aux penseurs médiévaux d’articuler les deux traditions conceptuelles. En effet, ils ont fait preuve d’une inventivité théorique extraordinaire, soit en harmonisant les deux modèles (sous la pression de la fausse attribution du Livre des causes à Aristote), soit en les contrastant (une fois la paternité d’Aristote du Livre des causes réfutée, grâce à la traduction des Éléments de théologie). La réception médiévale des deux modèles est attestée dans de nombreux contextes : les discussions sur les rapports essentiels ou accidentels dans l’enchaînement causal, la création médiate ou immédiate, l’occasionalisme ou le concours des causes secondes, la providence, la pluralité des formes substantielles, et bien d’autres encore.

Malgré sa grande richesse doctrinale, le croisement des deux modèles chez les médiévaux a été jusqu’ici peu étudié. Ce colloque offrira l’occasion de l’aborder, selon ses origines et selon la longue durée, pour mieux comprendre l’ampleur d’une tradition de pensée qui s’est nourrie de ce croisement.

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The purpose of this conference is to study medieval theories of primary and secondary causality as they issue from the encounter between Aristotelianism and Neoplatonism. Aristotle develops a “horizontal model” of the relation among the causes. None of the four Aristotelian causes is absolutely superior to the other, rather all are interdependent; for example, the end is the reason why the efficient acts, and the efficient produces the end; matter is only in act due to the form, and the form exists only in matter. Neoplatonism conceives of a “vertical model” between the primary and the secondary cause. There is dependency and collaboration, but not interdependency. The primary cause (that is, the superior and anterior cause) can act without the secondary (posterior) cause, for example in the constitution of immaterial and material things by the superior intelligences, but the opposite is not the case. Nevertheless, without a secondary cause, the effect of the primary cause is less determined. In the Latin West, these two models came into contact mainly because of the Latin translations of the Book of Causes and the Elements of Theology, but also due to the reception of Boethius, Isaac Israeli, Avicenna, al-Ghazālī, and others.

According to the Neoplatonic vertical model, the primacy of one cause over another is both ontological and operational. It is ontological, since one cause is superior – and hence first or primary – insofar as it is simpler; it is operational, because the superior cause acts before (as to nature, not time), more substantially and more nobly than other causes which are less simple, and hence inferior, secondary, and posterior. According to this model, the gradual differentiation of the causes is necessary, and it is thus that each cause contributes, according to its proper order, to the structuring of the universe. By contrast, according to the Aristotelian horizontal model, the proximate cause contributes more to the effect than the remote cause. Moreover, this model does not presuppose a gradual differentiation; yet it does not exclude it.

The openness of the horizontal model to the conception of hierarchical causes allowed medieval thinkers to relate the two conceptual traditions to another. They did so with extraordinary theoretical ingenuity, both in order to harmonize the two models (under the pressure of the false attribution of the Book of Causes to Aristotle) and in order to contrast them with another (once, due to the translation of the Elements of Theology, the Book of Causes was no longer attributed to Aristotle). The medieval reception of the two models happens in various contexts: the discussions about essential vs. incidental causal chains, mediated vs. immediate creation, occasionalism vs. the contribution of secondary causes, providence, the plurality of substantial forms, and many others.

Despite its doctrinal richness, the encounter between these two models in medieval thought has not been studied. This conference will provide the occasion to do so, both according to its origins and to its long-term reception, in order to achieve a better understanding of a philosophical tradition that grew out of this encounter.