Dans les années 1580, le projet et l’élaboration de la Ratio studiorum destinée à imposer une uniformité doctrinale au sein de la Compagnie de Jésus est révélateur d’un moment particulier de l’histoire du thomisme. Le magistère théologique thomasien est devenu si prestigieux qu’il paraît désormais impossible de ne pas s’en prévaloir si l’on veut asseoir l’autorité d’une nouvelle école parmi les théologiens catholiques.
Destinée à être le fer de lance de la reconquête catholique face aux progrès de l’hérésie, la Compagnie de Jésus a été très vite confrontée à la nécessité d’observer en son sein une uniformité doctrinale dont le respect des enseignements de Thomas d’Aquin devait être l’imprescriptible fondement. Les travaux d’Anita Mancia et les analyses plus récentes de Paolo Broggio et de Markus Friedrich ont permis de mieux connaître les étapes par lesquelles s’est constituée la discipline jésuite d’une doctrine uniforme. Le moment de l’élaboration de la Ratio studiorum a été essentiel, mais les jésuites avaient tôt proclamé leur volonté d’adopter l’Aquinate pour docteur commun. Au chapitre XIV de la 4e partie des Constitutions (1556) de la Compagnie de Jésus, il est ainsi déclaré : « En théologie, on enseignera l’Ancien et le Nouveau Testament, et la doctrine scolastique de saint Thomas. » Très méfiant à l’égard de la nouveauté en théologie, Ignace de Loyola (1491-1556) s’était astreint lui-même à toujours suivre les enseignements de l’Aquinate, si l’on en croit le vibrant éloge délivré en consistoire le 19 janvier 1622 par le cardinal Francesco Maria del Monte (1549-1627) en présence du pape Grégoire XV.