Thomas d’Aquin est un représentant d’une vision non positiviste de l’existence du droit positif, en ce sens qu’il fonde dans la nature humaine le rapport de l’être humain à la loi. En effet, la nature humaine est le siège d’une première loi, la loi naturelle, qui est la manifestation originaire de la dimension naturellement législatrice de l’être humain. La loi positive elle-même, que Thomas d’Aquin nomme significativement lex humana, s’enracine dans la nature de la loi naturelle. Mais l’être humain est naturellement législateur, qu’il s’agisse de la loi naturelle ou de la loi humaine, parce qu’il est naturellement agissant. La vision qu’a Thomas d’Aquin de la loi naturelle, de la loi positive ainsi que du rapport de la loi à l’action manifeste ainsi la dimension anthropologique de l’activité législatrice.
Sans parler du fait qu’un propos portant sur la nature de l’homme en général apparaît souvent aujourd’hui comme étant dépourvu de sens, une des conséquences de la domination intellectuelle du positivisme juridique est d’avoir diffusé, logiquement, une vision positiviste du droit positif. Qu’est-ce à dire ? Simplement le fait, comme l’on sait, que les différents positivismes juridiques ont une approche de la production du droit positif à partir du seul droit positif : seul du droit positif rend compte de l’émission de nouvelles normes de droit positif. Toute autre explication serait une régression en deçà de la scientificité. Par conséquent, la science du droit, entendu au sens positiviste, ne peut se proposer, par exemple, de répondre à la question de savoir en quoi il appartient à l’être humain de faire des lois, car ce serait sortir de sa méthode et des objets que cette méthode permet d’étudier.La perspective d’un Thomas d’Aquin, par contraste, ambitionne de rendre compte de l’activité législatrice à partir d’une vision de la nature humaine. Il s’agit donc d’une conception non positiviste de l’émergence et de l’existence du droit positif. Mais en quoi, d’après lui, appartient-il à la nature de l’homme d’être législateur ? C’est à cette question que nous nous proposons d’apporter des éléments de réponse ici, en procédant en trois moments. D’abord, il s’agira de manifester comment la loi naturelle, chez saint Thomas d’Aquin, est pour ainsi dire la première expérience de la loi pour l’homme. Ensuite, il conviendra de faire voir la manière qu’a la conception thomasienne de la loi naturelle de rendre l’homme législateur, législateur du droit positif. Enfin, nous terminerons ces considérations par un examen de ce que la loi naturelle et laloi positive ont en commun chez Thomas, et qui explique que l’être humain, naturellement, soit législateur.