Saint Thomas d’Aquin et la politique : Pourquoi l'homme est-il un animal politique ? L'épreuve eschatologique de la cité, entre émulation et tentation

Philippe Vallin
5,00 € l'unité
2014 - Fascicule n°1 2014 - Tome CXIV
59 - 94
Article
cite, Thomas d'Aquin, politique, homme

Sous titre

Pourquoi l'homme est-il un animal politique ? L'épreuve eschatologique de la cité, entre émulation et tentation

Résumé

À la question de savoir pourquoi l’homme est un animal politique, le théologien redoute de donner une réponse qui ne serait pas recevable par le philosophe. Ainsi, la mise en valeur de la sociabilité originelle du premier couple humain, outre qu’elle repose sur un récit de forme mythique, étonnera par l’importance qu’y prendront à la fois Dieu et le Tentateur comme sujets, certes asymétriques, de la Cité primordiale. Or, Thomas d’Aquin va retirer de ce récit trois dimensions essentielles de la Cité en tant que fondatrices de l’énergétique sociale : 1, le drame humain des intelligences libres engage de soi l’eschatologie de la sanction divine ; 2, le perdant eschatologique (Satan) ne peut qu’attirer à sa perte les libertés par le jeu ostentatoire de la tentation ; 3, trop discrète, l’émulation demeure malgré tout la raison la plus profonde pour expliquer les formes de l’animalité politique. Cette émulation n’est donc pas assimilable à celles des sociétés animales. Contre le vertige inévitable né des approches de la Nature divine infinie, le désir de l’humanité immortelle doit s’apprivoiser par l’émulation politique de la recherche métaphysique et des pratiques de religion. La cité humaine est en vue de Dieu, et c’est à cause même de ce qu’est Dieu qu’elle est requise de s’organiser.

Extrait

À ceux qui ne s’en seraient pas encore avisés, nous voudrions redire à quel point les récits de Révélation sur le paradis terrestre sont puissants et capables d’éclairer toute l’histoire et toute la logique humaine, au moins jusqu’au Nouvel Adam qui les éclaire en retour bien davantage. On pourrait penser qu’au regard de notre matière, la politique, ils sont hors sujet, ou plutôt, en attendant que l’humanité s’élargisse par le nombre jusqu’à former une manière de cité, que ces récits intimistes sont, en somme, hors d’oeuvre et font une saillie étrangère au gros de l’édifice, l’histoire sainte du Peuple de Dieu, laquelle relèverait, en effet, d’un examen de politiste.
Nous estimons, au contraire, en nous autorisant d’une certaine définition de principe sortie de l’anthropologie thomasienne, que ces récits nous reconduisent à l’essence même, conçue dans le style le plus économe, de l’animalité politique du genre humain. Sans doute, cette cité primordiale, à la différence de la Jérusalem céleste où se consomme l’histoire du salut (Ap 21, 12), n’a pas eu le temps d’ériger des murs glorieux : si réduite en nombre et en majesté publique qu’elle se présente devant nous, elle n’en offre pas moins tous les caractères du défi citoyen, supposé qu’on le prenne dans sa densité et à sa hauteur authentiques, lesquelles ne réclament rien de ces politiques en surplomb auxquelles nous sommes accoutumés, et qui trop souvent nous dégagent de l’entreprise, de l’épreuve, de la mêlée politiques, au lieu de nous y engager.