Prédestination, grâce et libre arbitre, tentative de synthèse personnelle (II)

Basile Valuet o.s.b.
5,00 € l'unité
2019 - Fascicule n°2 2019 - Tome CXIX
1800
299 - 322
Article
Grâce, Prédestination, libre arbitre

Résumé

L’auteur cherche ici à recueillir le meilleur de la position de saint Thomas, à en discerner les limites et à proposer quelques explicitations ou améliorations. La volonté divine permissive rend possible le mal moral, mais celui-ci ne s’ensuit pas nécessairement. Lorsque saint Thomas affirme que rien ne résiste à la volonté de Dieu à propos d’un effet donné ayant lieu à un instant du temps, cela vaut seulement de la volonté conséquente, laquelle tient compte de tout ce qui aura eu lieu avant cet instant. Donc la volonté de donner la grâce efficace tient compte de la non-résistance antérieure de l’homme à la grâce suffisante, et la volonté de donner la gloire à tel instant tient compte de la vie antérieure de mérite. Ce n’est pas de volonté antécédente que Dieu veut, indépendamment de toute considération des démérites, qu’il y ait des hommes à punir pour que sa justice soit manifestée. Ce n’est pas pour avoir des hommes à damner que Dieu a permis leur péché. Si l’acte de prédestiner, et l’ensemble de ses effets sont indépendants des actes des hommes, en revanche, la prédestination à un don précis tient compte de la prescience d’actes humains antérieurs à ce don. Le plan général du salut d’une personne use d’une série de moyens faillibles pour arriver à sa fin. L’esse communiqué par Dieu à l’effet de la cause seconde à travers celle-ci même est contracté par l’essentia (soit naturelle, soit intentionnelle) de la cause seconde. De ce fait, parmi les prémotions, seules les prémotions morales proposent comme objet de choix une spécification, et ce, de manière faillible, tandis que les prémotions physiques fournissent seulement le passage de la puissance à l’acte de délibérer et de choisir, c’est-à-dire l’exercice, et ce, éventuellement de manière infaillible. La grâce-motion n’est  pas autre chose que le mouvement même de l’âme. Si Dieu est en train de mouvoir la volonté créée à l’exercice de tel choix, il est incompatible avec cette hypothèse que la liberté créée ne soit pas en train d’exercer ce choix-là, mais cela n’entraîne nullement que sous la même motion efficiente de Dieu à l’exercice du choix à propos de la même spécification, le choix n’aurait pas pu être autre.

Extrait

2. L’exécution du plan divin dans la créature
L’exécution du plan divin dans la créature temporelle a lieu a) d’une part au moyen du concours divin général, b) d’autre part par le biais d’un concours relevant de la grâce.

a) Concours divin et liberté créée en général

14. Un des principaux autres inconvénients du vocabulaire thomasien, vu de notre côté, c’est son opinion selon laquelle la « coercition » (et son usage de cogere est d’ailleurs polysémique) est seule à s’opposer à la « liberté », tandis que la nécessité ne s’y opposerait pas. Le Maître médiéval est ici tributaire d’une formule de l’évêque d’Hippone, laquelle a sans doute contribué à embrouiller ultérieurement les débats autour du jansénisme. Plus exactement, dans les questions qui nous occupent, et sans prévenir, il use du mot libertas dans deux sens bien différents, à savoir pour désigner soit simplement la libertas a coercitione, soit de manière plus restreinte la libertas a necessitate, le libre arbitre proprement dit, ou liberté psychologique. C’est seulement de temps en temps qu’il met en place la distinction entre les deux. C’est donc avec précaution qu’il faut citer les textes de saint Thomas affirmant que la « liberté » de l’homme est sauvegardée par telle ou telle motion divine (car certaines grâces actuelles sont opérantes et donc nécessitantes, et correspondent alors à des mouvements indélibérés de la créature, dotés de la seule liberté de spontanéité).