Maritain et saint Paul

Michel Fourcade
8,00 € l'unité
2015 - Fascicule n°2 2015 - Tome CXV
197 - 214
Article
Saint Paul, Jacques Maritain

Résumé

Publié à New York en 1941, La Pensée de saint Paul n’est pas un livre de hasard dans l’œuvre de Jacques Maritain. Cette anthologie commentée met au contraire en évidence le soubassement scripturaire de quelques-unes des  principales inflexions de l’œuvre du philosophe. Par-delà  les emprunts pauliniens de sa « philosophie dans la foi », Paul fut surtout pour Maritain et son épouse le guide dans la « contemplation sur les chemins » vers la « liberté des parfaits » et leur mission corédemptrice.

Extrait

On sait la profondeur avec laquelle Léon Bloy habitait le calendrier liturgique, et l’amitié toute particulière qui le liait notamment à saint Barnabé, introducteur de Saul auprès des apôtres et compagnon de ses premières missions chez les gentils, fêté chaque 11 juin. « Est-ce vous, saint Barnabé, qui m’envoyez ces âmes ? Mystère d’affinité entre cet Apôtre et moi. Je m’étonnais, depuis le 11, jour de sa fête, de n’avoir pas, comme les autres années, senti sa main. Deux êtres [qui nous sont devenus bientôt comme des voisins du Paradis], un jeune homme et sa jeune femme s’offrent tout à coup, exprimant leur ambition de se rendre utiles, de devenir nos amis. » Un an plus tard, le 11 juin 1906, Jacques, Raïssa et Véra recevaient le baptême à la paroisse saint Jean l’Évangéliste de la rue des Abbesses : « Me voilà parrain de ces trois êtres aimés de Dieu, conquis par mes livres et que m’envoya, l’an dernier, le même grand seigneur du Paradis, saint Barnabé, mon protecteur. » À leur tour, les Maritain marqueront chaque année l’anniversaire, faisant leur cette sémiologie sacrée qui plaçait d’emblée leur vie chrétienne sous une étoile apostolique et paulinienne.
Par Bloy et son Salut par les Juifs — l’ouvrage les bouleversant assez pour qu’ils dégagent son intuition centrale et le rééditent aussitôt à leurs frais —, le Paul du « mystère d’Israël » et de la théologie de l’histoire accompagne leur temps de catéchuménat : « Nous lûmes ce livre à la campagne au mois d’août 1905. Il nous découvrit saint Paul, et ces extraordinaires chapitres 9, 10 et 11 de l’Épître aux Romains, où Léon Bloy a pris l’épigraphe et le point d’appui de l’exégèse du Salut par les Juifs. » Mais Jacques et Raïssa trouvent également chez saint Paul le climat où mûrit leur « éros métaphysique », par la médiation cette fois de Bergson : « Le jour où il affirma, dans une de ses plus lumineuses leçons : “Dans l’absolu nous vivons et nous nous mouvons et nous sommes”, il fit tomber pour nous des murailles » — la formule que le maître avait empruntée au discours devant l’Aréopage, et par laquelle Paul lui-même, en invoquant la vie, le mouvement et l’être, avait baptisé la triade platonicienne, leur transmettant l’appel « d’une liberté plus divine que celle de l’absolu métaphysique [… :] C’est à ces sources qu’il nous menait boire ». Une page retenue dans le Carnet de notes — Heidelberg, 30 décembre 1906 — méditait sur cette « liberté plus divine », la « liberté des fils de Dieu », en suivant le « Tu n’es plus esclave, mais fils » de l’Épître aux Galates (4, 7)...